InterviewG4E. Florent Balmont : « Ca donne envie d’aller dans un club comme Bordeaux »
Il est probablement le profil de joueur qui a manqué ces dernières années aux Girondins de Bordeaux : un joueur avec du caractère, de l’expérience, de la gouaille, qui mouille le maillot. Un vrai joueur de club, fidèle, respectueux, avec des valeurs, qui se perdent parfois au profit d’autres. Lui, c’est Florent Balmont, passé par Lyon, Toulouse, mais surtout Nice notre prochain adversaire, Lille où il fut Champion de France, et enfin Dijon où il termina sa carrière sur plus de 500 matches. Désormais consultant Telefoot, faisant partie des révélations chez les anciens joueurs dans le monde médiatique – alors qu’il n’était pas forcément prédestiné à ce milieu – Florent va nous donner sa vision globale des Girondins de Bordeaux qu’il a croisé à de très nombreuses reprises dans sa carrière. Il est d’ailleurs très étonnant qu’il n’ait jamais été approché par notre club car nul doute que Jean-Louis Triaud appréciait son profil à l’époque. Merci à Florent pour le temps qu’il nous a accordé, et bonne fin de saison. Interview.
Que représentent pour vous les Girondins de Bordeaux dans l’histoire du football français ?
Les Girondins ont une place quand même importante. Ca fait de nombreuses années que c’est un club qui est reconnu dans le championnat français. Il a toujours été un club phare même si depuis plusieurs années, c’est un peu plus compliqué. Mais cela reste un club très respecté du championnat.
Est-ce que dans votre carrière vous avez eu l’opportunité de jouer aux Girondins et si oui, pourquoi ça ne s’est pas fait ?
Je n’ai pas eu l’opportunité mais je pense que si on interroge beaucoup de joueurs, ça donne envie d’aller dans un club comme ça. Je pense qu’il y a les structures, avant il y avait Chaban Delmas, un beau stade, aujourd’hui, il y a les installations que l’on connait. C’est un club qui a une histoire. A chaque fois qu’on allait jouer à Bordeaux, on était content d’y aller. Je pense que c’est un club qui donnait envie d’aller là-bas.
Vous signez à Lille, l’année où les Girondins sont champions de France. Avec Lille, vous n’avez pas perdu contre Bordeaux cette année-là (victoire 2-1 à Lille et 2-2 à Bordeaux), mais les Girondins avaient fait une fin de saison incroyable, en remportant notamment ces 11 derniers matches de la saison. Quels souvenirs gardez-vous de cette équipe ?
C’était une très belle équipe. Yoann Gourcuff faisait une saison exceptionnelle et devant il y avait Marouane Chamakh qui était énorme. Je me rappelle que c’était un joueur qui était très dur à prendre. A côté de lui, il y avait Fernando Cavenaghi aussi… c’était des attaquants qui étaient disponibles. Il y avait un bon milieu de terrain brésilien aussi, Fernando (Menegazzo). Il était très bon, on avait souvent des duels entre nous. Derrière, il y avait Marc Planus et tout ça donc c’était quand même une équipe qui avait l’air d’être très solide et qui était difficile à jouer. C’est vrai que cette saison-là, c’était mérité qu’ils soient champions.
Vous avez assisté aux derniers pas de Yoann Gourcuff en tant que footballeur professionnel lors de cette saison 2018-2019… Comment expliquer qu’il n’ait jamais réussi à se sortir de ses blessures cette année-là ? Est-ce vraiment physique, ou mental ?
C’est dur à dire. Je pense qu’il faudrait lui poser la question. Tous ses pépins physiques l’ont empêché d’être au haut niveau chaque année. C’est vrai qu’il avait fait une saison exceptionnelle à Bordeaux. On le sentait, même à Dijon, qu’il avait des qualités mais c’est toujours pareil. Quand on a des pépins physiques, ce n’est pas qu’on est sur le reculoir mais on est sur la défensive par rapport à son corps. Il se connaît et je pense que ça l’a empêché de pouvoir enchaîner les saisons. C’est plus ce côté-là parce qu’en termes de qualité, il les avait, on le voyait. Sauf que d’avoir enchaîné autant de blessures, ça lui a certainement fait freiner sa progression.
Il y a encore quelques temps, venir à Bordeaux était quelque chose de redouté par les joueurs… Ces dernières années, et vous avez dû certainement le ressentir, Bordeaux est très prenable à la maison. Comment le ressentiez-vous en tant que joueur, et comment l’expliquer ?
Je ne sais pas vraiment comment le ressentir mais ça montre peut-être ce qui se passe au club. Il y a une dizaine d’années, quand on allait à Bordeaux, c’était pour affronter une équipe de Top 5, Top 6. C’était un peu compliqué, difficile, physique. Puis au fil des années, le club a eu, pas un manque d’ambition, mais un changement de propriétaires. Il y avait de l’incertitude, peut-être des mauvais choix par moment qui fait qu’après, à un moment donné, ils sont restés un peu en milieu de tableau. Je pense que le doute s’est installé et à domicile, on les sentait moins présents à la maison. Je pense qu’il y a eu aussi un changement de stratégie. Après, j’entends parfois dire que les joueurs sont trop bien à Bordeaux. Il y a ce contexte à Bordeaux, c’est le sud-ouest, c’est possible que ça y joue mais il y a une dizaine d’années, c’était pareil aussi sauf qu’il y avait des résultats.
Oui, donc l’image du Club Med pour les Girondins de Bordeaux est répandue dans le milieu professionnel ?
Moi, je l’entendais. On me disait que Bordeaux, il y faisait bon vivre. C’est un bon club et il n’y a pas trop de pression. Peut-être qu’inconsciemment, les gens ont cette image-là, mais je trouve ça dommage parce que c’est un club qui a tout pour être en haut de tableau chaque année.
Aujourd’hui, le club n’a plus le même standing que dans les années 2000. Le club a traversé de nombreuses crises ces dernières années, entre le rachat du club par un fonds d’investissement américain, les tensions internes et avec les supporters. Le président Longuépée annonce un prévisionnel de déficit à 80 millions d’€, dû à la crise économique et la mauvaise gestion du club – selon nous. Est-ce qu’on peut s’inquiéter de l’avenir du club d’après vous, vu tous les évènements liés aux Girondins ?
Non… Après je pense que la période pour le football en ce moment est compliquée, avec cette crise sanitaire aussi. Là, ils sont dans une phase compliquée, comme la majorité des clubs. Je pense qu’ils vont pouvoir rebondir car c’est un club qui donne envie d’aller y jouer. Je pense que si on parle de Bordeaux aux joueurs, ils ne seraient pas contre d’y aller. Il y aura toujours ce côté attractif qui permettra de relancer le club. Je ne me fais pas de souci pour eux. Maintenant, c’est plus la stratégie qu’ils veulent mettre en place. Sur le côté déficit, si on demande à tous les clubs français en ce moment, je ne pense pas qu’il y en a énormément qui sont positifs. Ça fait partie un peu de la période compliquée des clubs français. Je ne suis pas inquiet pour Bordeaux parce qu’il y a une grande ville derrière, avec des soutiens, des supporters. Il y a un contexte et des installations, je ne suis pas trop inquiet pour un club comme ça.
En parallèle, on observe que le sportif est en train de se structurer doucement. Le retour au club d’anciens qui connaissent la maison, comme votre ami Rio, ou encore Alain Roche en tant que directeur sportif et Jean-Louis Gasset comme coach a fait du bien au club. Est-il important d’après vous de s’appuyer sur les anciens pour retrouver une âme de club ?
Pour moi, c’est capital. Après, je fais partie des anciens, mais pour moi, c’est reprendre les bases, aller chercher ceux qui ont connu de bonnes années avec Bordeaux. C’est vrai que pour Rio, c’est difficile d’en parler parce que c’est mon pote. Je ne peux que dire que ce soit positif qu’une personne comme Rio vienne encadrer les jeunes au club. Ils reprennent des anciens et pour moi, c’est la base. C’est comme ils ont fait à Lyon, qui est un gros club, mais il y a beaucoup d’anciens derrière qui ont participé à la structure du club. Je pense que c’est important de prendre ces bases-là et pour moi, le meilleur choix a été de prendre Jean-Louis Gasset. Pour moi, Gasset est très bien dans l’évolution du club de Bordeaux. C’est un entraîneur qui a du vécu, qui est apprécié et qui fait du bon boulot avec ce qu’il a pour l’instant à Bordeaux.
Justement, quel bilan vous faites de ces premiers mois à Bordeaux ? Est-ce qu’il peut remettre Bordeaux, sachant qu’il n’est là que pour deux saisons ?
Oui, je pense qu’il peut le faire. Au début, il fallait qu’il trouve un peu ce qu’il voulait mettre en place, sa volonté de jouer. Au départ, on disait qu’il n’y avait pas trop de jeu à Bordeaux mais il fallait qu’il mette ça en place. Hatem Ben Arfa, je pense que s’il est venu à Bordeaux, c’est par rapport à Gasset. Il y a beaucoup de joueurs qui sont venus parfois pour des entraîneurs et Gasset a du vécu dans le championnat. Pour moi, je pense que petit à petit, il est en train de mettre en place quelque chose mais ça ne peut pas venir en un mois ou deux mois. Mais pour moi, il peut s’installer durablement au club.
Une des demandes de Jean-Louis Gasset est de rééquilibrer l’effectif actuel. Certains postes sont en surnombre, alors que d’autres sont en sous-effectif. Nous sommes justement en période de mercato. Est-ce que d’après vous, à part écrémer le groupe, peut-on vraiment avoir des recrues, au vu de la situation financière du club ?
Ça, c’est compliqué à dire, je ne suis pas dans le club pour savoir s’ils ont un budget pour recruter mais c’est sûr que quoiqu’il arrive, ils cherchent. Je pense que Jean-Louis Gasset cherche quand même quelques joueurs. Après, est-ce qu’ils pourront les faire ou non ? Mais c’est sûr que s’ils veulent franchir des paliers, ils vont devoir recruter. Est-ce que ça sera au mercato d’hiver ou au mercato d’été, par rapport à l’impact de cette crise sanitaire ? Le budget des clubs est en difficulté en ce moment. Ils vont sûrement essayer de faire des coups, en prenant un joueur pas trop cher et essayer de le revendre derrière. C’est un peu la nouvelle mode. Mais prendre un joueur plus expérimenté qui pourra faire partager son expérience, c’est important. A Bordeaux, il y a quand même un joueur comme Laurent Koscielny qui apporte beaucoup et d’autres joueurs d’expérience.
Notre seule recrue au dernier mercato était Hatem Ben Arfa. Vous disiez en octobre que votre crainte ne se portait pas sur ses capacités techniques ou son talent, mais plutôt sur son physique. Il est blessé actuellement, même s’il a des chances d’être de retour plus tôt que prévu. Qu’est-ce que vous pensez de son retour à Bordeaux et son influence sur le jeu ?
En effet, la crainte que j’avais au début, c’était sur son physique. Ce n’est pas que c’était un peu compliqué mais il fallait qu’il reprenne le rythme. Il était arrêté pendant des mois à l’étranger. Et c’est vrai qu’une fois qu’il était mieux physiquement, il était mieux sur le terrain. Il fait partie des joueurs qui ont le talent au départ mais il faut qu’ils soient bien physiquement pour pouvoir vraiment s’éclater sur le terrain. C’est ce qu’il a vraiment fait lors des derniers mois avec Bordeaux. C’est un joueur qui a un gros talent et quand il est bien physiquement, il pousse l’équipe à aller plus haut. Mais il ne peut pas tout faire, il faut qu’il y ait du monde, même si on sent qu’il y a quand même de la qualité à Bordeaux.
Vous l’avez croisé d’ailleurs à Lyon rapidement en tant que coéquipier. Avec du recul, quelles sont les différences entre le Hatem Ben Arfa de l’époque, et celui d’aujourd’hui ?
Quand je l’ai connu à Lyon, c’était vraiment le joueur qui pouvait éliminer à tout moment un joueur. Ça, il peut toujours le faire mais c’est vrai qu’avec l’âge, ce n’est pas qu’on est un peu moins vif mais pour lui, on sent encore un peu de vivacité. Je pense que Gasset le gère bien parce qu’il lui demande beaucoup offensivement, mais défensivement, il ne peut pas tout faire. Il a vraiment un rôle pour essayer d’apporter quelque chose devant.
Paul Baysse a prolongé jusqu’en 2024. Alors qu’il aurait pu signer à Nice pour un salaire plus important, il a préféré la stabilité et le choix du cœur. Est-ce que des joueurs comme lui manquent au football actuel, avec des valeurs, et un profil identifié club ?
Je ne peux que confirmer ce côté-là. Je suis un joueur qui, quand il rentre dans un club, essaie d’aller le plus loin possible. Je pense que c’est important d’avoir des joueurs comme ça dans les clubs. C’est vrai que ça fait partie du football d’aujourd’hui de prendre des jeunes joueurs pour les revendre rapidement. C’est bien parce qu’il le faut pour le budget des clubs mais il faut avoir aussi des joueurs qui portent les valeurs du club, qui le connaissent. C’est important que des joueurs puissent rester et préfèrent le faire plutôt que d’aller ailleurs et toucher un peu plus.
Vous étiez milieu défensif quand vous étiez joueur. Dans l’effectif bordelais, on ne compte qu’un seul joueur ayant réellement le profil de ce poste, c’est Otávio. Le groupe est réellement dépendant de lui et n’a personne pour le remplacer en cas de blessure. Que pensez-vous de ce joueur ?
C’est un bon joueur. J’ai pu le rencontrer sur ces dernières années. J’avais moins de vivacité que lui sur la fin ce qui est assez logique. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il ne se cache pas, c’est important. Il va demander les ballons, il est toujours en mouvement. Il a ce côté brésilien qui fait que techniquement, il est au-dessus de la moyenne. Il est très disponible et ça pour moi, en tant que milieu de terrain défensif, c’est essentiel. Il court beaucoup, il est là pour aider l’équipe. C’est sûr que s’il se blesse, ce que je ne lui souhaite pas, c’est un peu compliqué pour l’équipe. Mais c’est important de l’avoir car il y a des équipes qui n’ont pas de joueur comme ça, c’est quand même un plus.
L’objectif annoncé par le président de Bordeaux est la 8ème place. Au vu de l’effectif et du début de saison, est-ce que vous pensez que c’est un objectif atteignable ?
Oui ! Je pense que c’est largement jouable, même s’il faudrait qu’ils soient plus consistants, mais ça peut le faire. Franchement, avec l’effectif qu’ils ont, leur entraîneur, je pense que c’est faisable. Il faut voir s’ils recrutent un petit peu mais c’est un objectif réaliste de finir 8ème à la fin de la saison.
Un des problèmes actuels de Bordeaux est le fait qu’ils manquent de régularité. Cela fait plus de deux ans qu’ils n’arrivent pas à enchaîner deux victoires d’affilée. Jean-Louis Gasset explique cela par un manque de confiance de la part des joueurs. Est-ce que cela peut-être aussi dû à une sorte de relâchement après une victoire, pensant que « maintenant, ça va aller » et au final, on retombe dans un piège ?
Le manque de confiance je ne pense pas mais des fois quand on gagne, inconsciemment, on se dit que ça va s’enchaîner, sauf que chaque match est différent et l’équipe est différente aussi. On le dit souvent que faire deux victoires de suite, ce n’est jamais facile. C’est pour ça que si dans la seconde partie de saison ils arrivent à passer ce cap en enchaînant deux victoires, ils seront vraiment plus haut dans le tableau, je pense. On disait souvent qu’en enchaînant deux victoires, on gagne des places. Là, c’est compliqué, ils stagnent un petit peu.
Dimanche, Bordeaux se déplace à Nice, votre ancien club. Les deux clubs sont en milieu de classement (Nice à un match de retard et 3 points de retard sur Bordeaux). Les résultats sont irréguliers pour les deux équipes. Nice n’a pas gagné de match depuis un mois (16/12 – 1-0 contre Nîmes). Comment voyez-vous ce match ?
Je pense que ça sera assez ouvert. C’est une équipe de Nice qui essaie de jouer, qui a les qualités, les joueurs et qui avait fait un très bon recrutement en début de saison. Pour l’instant, il n’y a pas tout qui a marché mais il y a de la qualité. Et Bordeaux, ce n’est pas une équipe qui va aller là-bas pour fermer le jeu connaissant Jean-Louis Gasset. Je pense que ça sera un match assez ouvert parce que ce sont aussi deux équipes qui doivent être dans la première partie du tableau. C’est un match important pour les deux équipes.
Un pronostic ?
Oula, c’est difficile (rires). Nice, c’est mon ancien club et Bordeaux, je ne voudrais pas me mettre les supporters bordelais à dos ! Je vais dire un match nul pour ne pas me mouiller. Un match nul. avec deux buts, donc on va dire 2-2.
Merci Florent, bon match !