Laurent Perpigna : “Ils veulent des Ultras dépolitisés, des Ultras qui sont seulement là pour chanter et ambiancer […] Nos tribunes sont devenues des zones à défendre et des zones dans lesquelles on lutte”

    Comment gérer les contradictions d’un football populaire et d’un football business ? Une question difficile aujourd’hui. Mais voici l’avis de Laurent Perpigna justement sur ce sujet.

    « C’est un fil sur lequel on marche au quotidien, qui nous questionne, qui nous tourmente parfois. C’est vrai qu’on a eu des débats assez profonds, de fond, sur la place qu’on devait adopter au sein des changements en cours, notamment au niveau du rachat des Girondins de Bordeaux. Il y a plusieurs stratégies qui s’opposent. Une stratégie de rejet absolu qui se comprend, on peut parfois avoir envie de claquer la porte. Et puis il y a le côté qui est que le football reste un vecteur de lutte, et une manière pour beaucoup de supporters d’occuper le terrain. Je pense que les Ultras français ont subi différentes vagues de répression. Ce n’est pas nouveau, cela date depuis le milieu des années 90, après il y a eu les interdictions administratives de stade, de déplacement… Il y a tout un tas de mesures coercitives qui ont été appliquées contre les supporters, et aujourd’hui, même si le football français ne peut pas se passer des Ultras, il faut bien comprendre que quand on parle des Ultras, ils ne nous veulent pas à nous en tant que supporters militants. Ils veulent des Ultras dépolitisés, des Ultras qui sont seulement là pour chanter et ambiancer. Et parmi les reproches qui nous sont parfois adressés quand on réalise un mouvement de contestation comme on est en train de le faire maintenant, c’est quelque chose qui revient assez souvent : ‘les Ultras, vous êtes bons à chanter, donc chantez, point’. Ça, c’est la vision des Ultras partagée par les élites. Il faut bien comprendre que nos tribunes sont devenues des zones à défendre et des zones dans lesquelles on lutte. Pour parler franchement, sans ce caractère très important de lutte, je ne sais pas si je serais encore dans les tribunes aujourd’hui. Mais ce qui en découle c’est qu’il y a toute une jeunesse qui a décidé de réécrire l’histoire, de lutter, de s’impliquer dans un combat extrêmement inégal, qui peut parfois nous dégoûter, mais dans un combat où on a notre place. Aujourd’hui, sans les groupes Ultras en France, le prix des places serait certainement multiplié par deux ou par trois. Il y a plein de gens qui ne pourraient pas aller au stade tout simplement, toute une jeunesse qui en serait dépossédée. Sur cette question de la contradiction, c’est difficile à vivre, mais c’est réellement une nécessité que de questionner déjà la moralité du football, et ensuite que de s’engager pour essayer de le changer ».

    Revue Far Ouest