#Interview. Jean-Marc Furlan: « Bordeaux a largement les moyens, la culture, de rester en L1 »
Samedi à 20 heures, les Girondins se déplacent sur le terrain de Troyes, dans un match crucial, pour la 20ème journée de Ligue 1 Conforama. L’occasion pour Girondins4ever d’aller à la rencontre de Jean-Marc Furlan, coach du Stade Brestois, qui a connu la maison troyenne pendant 9 saisons, et formé comme joueur à Bordeaux.
À la trêve, vous occupez une bonne cinquième place en Ligue 2, où plusieurs équipes se tiennent en quelques points. Que retenir de cette première partie de saison brestoise ?
Je retiens qu’on a dû reconstruire un groupe pour la deuxième saison d’affilée. 80% du groupe a été reconstruit encore cette année, et c’est la 2ème saison qu’on vit ça. Et je suis très surpris de l’adhésion des joueurs, de la cohésion du groupe par rapport au projet. Si je compare, il y a quatre titulaires par rapport à l’équipe de l’an passé, qui sont encore là. C’est très peu. Et du coup, il a fallu reconstruire un projet, et surtout un projet humain. De ce point de vue-là, ce qu’il y a de bien c’est que, véritablement, les garçons ont adhéré. Et aussi sur le plan du football. Mais comme le disent les portugais et les espagnols, ce qu’il y a d’important, c’est la gestion des émotions et la gestion de l’humain. Et de ce point de vue-là, ça va bien.
On peut donc dire que la montée est de bon augure ?
En Ligue 2, à part Clermont Foot, tout le monde est monté en Ligue 1. Donc, quand tu entraînes en Ligue 2, tout le monde te dit « il faut aller en Ligue 1 ». Après, tu te rends compte que, parfois, c’est beaucoup de réussite. L’an passé par exemple, très sincèrement, en termes de football, les meilleures équipes c’était Reims, Lens et Brest. En fait, tu te rends compte, qu’aucune des 3 équipes n’est montée. Parce que la Ligue 2, c’est quelque chose d’assez particulier. Mais évidemment, quand t’es entraîneur de Ligue 2, vraiment, ton objectif, et qui que tu sois, que tu t’appelles Arles-Avignon, Istres, qui que tu sois, tu te dis « Je peux monter » parce que c’est arrivé dans l’histoire du football. Donc évidemment, être le meilleur c’est l’objectif, bien sûr. C’est l’ambition. Mais maintenant, attention! Au club, on ne m’a pas donné d’objectif précis en me disant « Jean-Marc tu dois aller en Ligue 1 »! Absolument pas. D’ailleurs, c’est une de leurs grandes qualités depuis deux ans. Mais, plutôt que de parler d’objectif, je pense que cela doit être l’ambition de tout le monde d’être le meilleur. Que tu sois en Ligue 2 ou en Ligue 1.
Brest semble être un club sain tout de même…
Dans les clubs bretons, c’est-à-dire Brest, Rennes, Lorient et Guingamp, Brest est un club où il y a une très grande ferveur populaire. C’est le public le plus chaud des quatre clubs que je cite. Vraiment, c’est très chaud! En plus, ils sont dans un stade qui est très très vieux (NDLR: Stade Francis Le Blé, inaugurée en 1922). D’ailleurs, il y a le projet qui va se mettre en place, de faire un nouveau stade, tout neuf. C’est un club très sain oui, parce que c’est un club qui a énormément de partenaires, et qui a un très gros business. Au niveau « business-partenariat », c’est très important. Par rapport à tout ce que j’ai comparé, parce que dans ma carrière d’entraîneur et de joueur, j’ai fait quand même onze clubs donc, je peux comparer.
Vous êtes resté 359 matchs sur le banc troyen. Vous avez connu trois montées en Ligue 1, une demie finale de Coupe de la Ligue et une demie finale de Coupe de France. Pensez-vous qu’aujourd’hui, l’ESTAC, qui pointe à la 14ème place, a les moyens de se maintenir ?
Très sincèrement, je pense que l’ESTAC a les moyens de se maintenir, oui. Ils ont un bon groupe, et je ne pense pas qu’ils connaissent de problèmes par rapport à ce qu’ils vivent cette année. Oui oui, ils ont les moyens de se maintenir. Ma réponse est sincère là-dessus.
Quels sont les points forts de cette équipe troyenne ?
C’est le bloc défensif. Leur capacité effectivement, à bien défendre et bien contrer. Ils ont ce savoir-faire, qui est très important. Comme je dis, c’est « le made in France ». C’est-à-dire, un bon bloc qui joue, comme on dit au rugby, les ballons de récupération. Ils jouent sur les pertes de balles de l’adversaire, et ils contrent. Et donc, c’est leur grande force. C’est une tradition française depuis 20-25 ans. Il y a des équipes qui le font très bien. Et l’ESTAC le fait très bien.
Vous parlez de bloc défensif, et justement, en ce moment il y a une rumeur qui rapproche Christophe Hérelle des Girondins de Bordeaux. Que pouvez-vous dire sur ce joueur ?
Alors moi, je le connais très, très peu. Mais c’est un joueur qui est arrivé l’année dernière et qui déjà, l’an passé, marquait les esprits. Et c’est effectivement, un des défenseurs centraux du championnat de France les plus courus de ces 18 derniers mois oui, sans aucun doute.
Bordeaux traverse sa pire période depuis une dizaine d’années. L’équipe pointe à la 15ème place et vient de se faire éliminer lamentablement contre Granville. Est-ce qu’une descente en Ligue 2 est envisageable ?
Non non, ça n’arrivera pas non. Parce que Bordeaux a largement les moyens, la culture, par rapport à d’autres équipes qui sont en difficulté, de rester en Ligue 1. Il y a des équipes qui sont beaucoup plus en difficulté. Le problème, c’est de pouvoir garder son sang-froid, garder sa solidarité. Faut savoir aussi que ça va très vite, dans les deux sens. L’année dernière, Bordeaux a fait une bonne saison. Et là, même si ça se passe mal, non, je ne crois pas que Bordeaux se retrouvera en Ligue 2 l’année prochaine. J’en suis certain, quasi-certain. Même si dans le football, les gens qui ont des convictions, doivent faire très attention à ce qu’elles disent. Comme on disait avec Matthieu Chalmé, « Quand t’as joué aux Girondins, tu as le scapulaire tatoué sur la poitrine », donc rien que ça, ça m’influence beaucoup. C’est pour ça que mon avis n’est pas forcément objectif (rires). Mais non, les Gigis n’iront pas en Ligue 2 l’année prochaine, ils seront en Ligue 1.
Vous avez vu éclore des joueurs comme Blaise Matuidi, Djibril Sidibé, Mounir Obbadi…
En plus de ce que tu as énuméré lors de mon passage à l’ESTAC pendant 9 saisons, il faut savoir que lors des six dernières saisons, et cela nous a pénalisé pour maintenir le club à flot sur le plan financier, ça a été 15 ventes (de joueurs formés au club)! 15 ventes en 6 ans! C’est énorme. C’est plus de deux joueurs par an. Quand tu vends plus de deux joueurs par an, formés au club, ou en post-formation… Je parle de Thuram, de Carole, de Collin, de N’sakala, Cabot, Jean, Bernardoni… C’est 15 ventes en 6 ans! Comme me disait à l’époque le président « Je te vends 2 joueurs par an, donc c’est difficile d’avoir une équipe et de faire des résultats ». Il avait raison à l’époque. Pour moi, c’est très important de faire éclore plein de jeunes, de très haut niveau. C’est quelque chose qui fait plaisir! Quand je vois jouer l’Equipe de France, où il y a Gameiro, qui a quasiment débuté avec moi en Ligue 1, quasiment car il avait déjà un petit peu joué en Ligue 1 avant que j’arrive. Quand tu vois Schneiderlein, que j’ai fait débuté à Strasbourg à 17 ans, Gameiro, Sidibé, Matuidi, tu te dis « Là, Jean-Marc, tu peux être content! ».
C’est vrai que certains entraîneurs ont un palmarès important, mais ont toujours eu à faire à des effectifs de joueurs confirmés, et n’ont, au final, fait éclore personne!
J’aime bien ce que dit Didier Deschamps, avec qui j’ai passé le diplôme d’entraîneur professionnel, quand on lui demande ce qu’est un bon entraîneur. Il répond, « C’est un homme, au bon endroit au bon moment ». Même si c’est résumé d’une façon caricaturale, c’est un peu ça. Il y a des mecs qui ont des titres, mais qui étaient juste au bon moment, au bon endroit, et qui après, disparaissent. Je lisais dernièrement un article dans Sofoot de Mauricio Pochettino, l’entraîneur argentin de Tottenham. Il disait « Tout le monde ne gagne pas des titres. Mais parfois, faire sortir un joueur, qui vient après t’embrasser et te dire « Coach, merci pour tout! », 5 ou 10 ans après, qui sont tes adversaires, et qui viennent t’embrasser parce que tu leur as beaucoup donné, ça fait très plaisir ». Ca vaut tous les titres.
Pensez-vous que les Girondins doivent davantage faire confiance aux jeunes ? Ou continuer à laisser un 11 type, avec des joueurs qui semblent ne pas être concernés par cette situation ?
Il faut faire très attention à ça. Toi Jérémy, tu vis le quotidien des Girondins. Moi, je vais te donner une réponse en bois, parce que je ne vis pas leur quotidien. Quand nous, on vit le quotidien d’un vestiaire, ce sont des choses très très complexes. Déjà, pour pouvoir faire des résultats pérennes et sur le long terme, il ne faut pas mettre en danger les jeunes. Les jeunes, il faut les faire rentrer, quand tu les mets en sécurité, quand il y a des gens qui les encadrent. Moi, juger ce qu’il se passe dans un club, que ce soit Bordeaux, Troyes, Marseille, alors que je suis à 200% dans mon club de Ligue 2, c’est impossible. Car il faut être dedans. Même un supporter, un journaliste, un intervenant de Canal + ou de beIn, qui parle d’une équipe, il ne connait que 5% de ce qu’il se passe dans le vestiaire, ou dans le club. Donc à partir de là, il faut être très prudent. Quand j’étais à Libourne, j’étais entraîneur des petits, des U13. Et Jean-Louis Petitbois, l’entraîneur de l’équipe première, il savait que je venais aux matchs. Moi je n’étais que bénévole avec les U13. Ca ne marchait pas très bien. Il me disait « Jean-Marc, dis-moi ce qui ne va pas. Toi, tu viens aux matchs… ». Je lui disais « Mais Jean-Louis, je viens juste aux matchs! Je peux te dire qui a été bon, qui n’a pas été bon, mais je ne peux pas te donner de conseils sur ce que tu dis au quotidien à l’entraînement, de ce que tu vis dans le vestiaire! Parce que c’est toi qui doit sentir les choses, de ce que tu vis dans le vestiaire ». Donc c’est très difficile, de porter un jugement de l’extérieur.
Un pronostic pour ce match de ce week-end ?
C’est très difficile, c’est fatidique oui parce qu’à la fois, moi j’ai vécu neuf ans à Troyes, j’ai des liens très forts avec le Maire, avec plein de gens. Et de l’autre côté, je suis né aux Girondins moi! C’est très difficile pour moi. Mais compte tenu de la situation actuelle et de ce qui se passe, je donne les Gigis bien sûr! Largement. Ceci dit, je dis ça mais ce n’est pas du tout subjectif. Je dis ça, pour qu’il y ait un équilibre justement. Pour redonner un petit souffle d’air pur aux Girondins! Mais tu poses une question à quelqu’un qui a vécu neuf ans à Troyes, et qui a beaucoup d’attaches là-bas…