#InterviewG4E. Gernot Rohr : « Il a fait le club, il a fait Le Haillan. Il a fait franchir une étape exceptionnelle »
21 ans : c’est le nombre d’années qu’a donné Gernot Rohr aux Girondins de Bordeaux. L’actuel sélectionneur du Nigéria, tout fraîchement revenu du Mondial russe, s’est entretenu avec Girondins4Ever. Souvenirs, analyses… Le franco-allemand nous raconte, avec sa douceur légendaire, sa maison marine et blanche.
Comment avez-vous vécu cette Coupe du Monde 2018 ?
La Coupe du Monde s’est bien passée, parce que l’équipe a montré un beau visage. C’est une équipe jeune, une équipe qui a de l’avenir. C’est une équipe qui a pratiqué un bon football, j’étais content de ce qu’ils ont fait. Ils ont fait un beau match contre l’Islande. Le premier match était un peu difficile, contre une très belle équipe croate, qui a d’ailleurs confirmé après tout le bien qu’on pensait d’elle. Ensuite, il y a eu cette belle victoire. Puis le troisième match, un peu malheureux. On aurait pu accrocher le nul : je pense même qu’on l’aurait mérité. Le bilan est positif car l’équipe a bien joué, elle a de l’avenir. On est resté sur une bonne impression générale, confirmée par les gens qui nous ont vu jouer. On a eu de bons échos un petit peu partout, même au pays, malgré l’élimination. On a été très bien reçu, on a eu un bel accueil. Après la Coupe du Monde, on est tous rentrés au Nigéria, quelques jours après notre dernier match. Les gens, les supporters, étaient très contents. Même si nous étions un peu déçus, bien sûr.
Vous n’avez plus entraîné de clubs depuis 2009 et votre passage à Nantes. Vous avez depuis été sélectionneur de 4 équipes nationales. Avez-vous tiré un trait sur les clubs ?
Oui ! Là je suis passé à autre chose, à plus d’observations, d’analyses. La sélection, ça me plaît davantage. Travailler dans un club, c’est au quotidien, j’ai fait ça pendant 40 ans. À la fois comme joueur, puis comme entraîneur. Maintenant, ce travail de sélectionneur me convient beaucoup plus que ce travail au quotidien dans les clubs, que j’ai connu pendant des décennies.
Vous avez entrainé les Girondins de Bordeaux à 3 reprises. Depuis 1998, avez-vous déjà été contacté par la direction pour revenir exercer en Gironde ?
On oublie les conditions du départ… C’était une autre direction… Mais je n’ai pas gardé d’amertume, de mes 21 ans au club. 12 comme joueurs, 9 dans différences fonctions. J’ai quitté les Girondins pour Francfort, en Allemagne, d’abord. Puis je suis parti de Francfort, je suis revenu. Afflelou m’avait appelé à Créteil. J’ai fait un peu plus d’une année à Créteil, avant de devenir « le vagabond », l’entraîneur qui va bouger tout le temps. Malheureusement c’est comme ça. C’était intéressant aussi, ça m’a permis de découvrir d’autres régions. Non, les Girondins ne m’ont pas recontacté, pour revenir au club. Mais je suis resté ami avec le club. Je suis resté un ami qui a essayé parfois de les aider un petit peu : si j’avais un bon joueur, je leur disais, comme pour le cas Poko, rappelez-vous. Même si à la fin il est parti après une bêtise sur Snapchat. Mais c’était un bon garçon, un bon joueur, pas cher. Même aujourd’hui, si j’en ai un qui est intéressant, je le leur signale. Mais ils ont leur propre réseau aussi. Mais je viens avec plaisir à chaque match, quand le temps me le permet. J’ai gardé une certaine relation amicale avec certains membres du club. Ce sont des liens que j’ai toujours gardés, puisque j’ai mon domicile à Claouey, ce sont des liens qui ne se sont jamais rompus. C’est le sens de tout, de garder une amitié avec les gens, d’avoir de bons souvenirs. Et c’est le cas avec quelques anciens joueurs aussi, on est resté amis. J’ai vu Patrick Battiston, Marius Trésor aux matchs, d’anciens coéquipiers : c’est toujours un plaisir de se revoir.
Vous avez supervisé jeudi dernier l’attaquant prometteur de Ventspils, Adeleke Akinyemi. Que pouvez-vous nous dire sur ce joueur, qui n’a, apparemment, pas laissé les dirigeants girondins insensibles ?
Ce joueur, je l’ai découvert, parce que cela ne fait pas longtemps qu’il est en Europe. Il est parti directement d’une académie, et pas d’un club, au Nigéria. On ne l’a vu ni dans les sélections de jeunes, ni dans la ligue du Nigéria. J’ai vu ses statistiques, et je me suis dit qu’il fallait que je le regarde. Et en effet, il a été bon. Il a des qualités, je risque de l’inviter un de ces jours, peut-être pour le prochain match, s’il confirme dans son club. Il m’a bien plu. Ils ont regardé le match, l’ont supervisé, pour le mettre sous l’éteignoir. Cela veut dire qu’ils le prennent très au sérieux. Moi je pense, qu’il vaudrait le coup de le recruter, carrément. Je le pense personnellement. C’est un joueur qui est très jeune, qui ne coûte pas cher. Il a certainement une marge de progression énorme. Il est puissant, il rentre dedans, il marque des buts. C’est quand même rare d’avoir toutes ces qualités.
Bordeaux tient sa première recrue en la personne de Samuel Kalu. Quelles sont ses qualités et ses défauts ?
Je ne l’ai jamais sélectionné. Je l’ai vu jouer, mais dans son équipe, j’en ai pris un autre, qui est Simon Moses. Il est dans mon groupe depuis le début, il y a 2 ans. C’est également un ailier, rapide. C’est presque le même, mais je l’ai trouvé meilleur que Kalu. On a beaucoup d’ailiers rapides au Nigéria. Devant il y a une pléthore d’attaquants, de qualité. Ce garçon n’a pas pu, encore, rejoindre notre sélection. Mais maintenant, peut-être qu’il va franchir un cap, on va le suivre. Simon Moses était dans mon groupe. Il s’est blessé, c’est le seul joueur blessé que j’ai eu avant la Coupe du Monde. Celui qui joue avec Kalu à La Gantoise. Il a râté la Coupe du Monde à cause d’une blessure musculaire. Il a été remplacé par un autre joueur, un avant-centre. Samuel Kalu va vite, c’est un bon dribbleur, c’est un ailier de débordement. Il est explosif, il donne beaucoup de bons ballons, des centres. Il déborde, il peut jouer des deux côtés. J’espère que les Girondins auront la satisfaction de le voir évoluer avec ces qualités-là.
A-t-il des points communs avec Malcom, qu’il vient remplacer sur le couloir droit ?
Oui je pense, oui !
Quel est votre meilleur souvenir sous le maillot bordelais ?
Il y a 2 souvenirs. Un souvenir de joueur, un souvenir d’entraîneur. Ce ne sont pas les mêmes sensations. Le souvenir de joueur, c’est le premier titre de champion de France en 1983-1984, où on s’impose à Rennes 2-0. On est champion après 30 ans et quelques… Remporter ce titre, ça, c’est MON souvenir de joueur. Après, j’ai eu d’autres souvenirs en coupe d’Europe, mais celui du titre, il était très fort. On a remis ça en 1984-1985. Puis, mon souvenir en tant qu’entraîneur, c’est la finale de la Coupe d’Europe, évidemment. Mais, le plus important, c’était la remontée en 1991-1992. Là, c’était le virage du club qu’il ne fallait pas rater. Il fallait que l’on finisse premier. Nous étions en 2ème division, c’était beaucoup moins médiatisé. Mais pour l’avenir du club, c’était le plus important, de réussir la remontée dès la première année. Alors que des clubs comme Brest, Nice, étaient restés des années en 2ème division. Il y avait 2 groupes, et il n’y avait que le premier de chaque groupe qui montait. Et on l’a fait. Avec de jeunes joueurs, que l’on avait formé nous-mêmes. Bixente Lizarazu, Christophe Dugarry…
Et le plus mauvais ?
On essaie de les oublier les mauvais souvenirs. Le plus mauvais souvenir était mon départ en 1998. En tant que joueur, c’est la défaite malheureuse contre la Juventus en demi-finale de la Champion’s League, en 1985. Je pensais que l’on pouvait passer en finale. C’était le fameux 3-0 à Turin et au retour, on n’a fait que 2-0. On aurait pu faire 3-0 aussi… C’est une déception mais on en est sorti avec la tête haute. On ne garde que les bons souvenirs.
Quels sont les personnes qui vous ont le plus marquées durant toutes ces années à Bordeaux ?
Claude Bez en premier. C’est lui qui est venu me chercher à Offenbach, en 1977, avec Didier Couécou. C’est le personnage qui m’a le plus marqué. Son charisme, son ambition, ses résultats, l’esprit club. C’était un cran au-dessus, que tous les autres que j’ai connu. Ensuite, il a fallu aussi trouver les gens pour sauver le club, en 1991. J’étais délégué du personnel. Il y a eu des histoires… Quelqu’un qui devait amener de l’argent, qui finalement ne l’avait pas… Il y a eu un plan de cession, donné par des dirigeants locaux. Ils nous ont permis de repartir de zéro. Ce fut un moment important du club. Rétrogradé, certes, mais remonté aussitôt. C’est une histoire incroyable. Mais pour moi, l’homme du club, c’était Claude Bez. Il a fait le club, il a fait Le Haillan. Il a fait franchir une étape exceptionnelle. Il a été aidé par un maire très sportif, Monsieur Jacques Chaban-Delmas. Il venait toujours nous voir dans le vestiaire. Il avait toujours un petit mot sympa, avant et après le match.
Quel est votre avis sur le rachat des Girondins de Bordeaux par le fonds américain GACP ?
Il faut déjà dire merci à M6, qui est resté aux Girondins 20 ans presque, toujours en première division. Ils ont remporté 2 titres. Ils ont eu plusieurs passages intéressants en Coupe d’Europe. L’époque, aujourd’hui, nous oblige à nous tous de trouver les ressources pour améliorer les équipes. Que l’on soit dans une équipe nationale, dans un club. Il faut des ressources pour rivaliser avec les tout meilleurs, qui ont de gros budgets. Ce repreneur va peut-être pouvoir permettre aux Girondins de retrouver les sommets.
Comment avez-vous vécu la saison dernière des Girondins ? Avec une période très compliquée et une fin européenne.
J’ai souffert, comme tout le monde, lors du début de saison. C’était redevenu triste, c’était devenu sombre. Le club a pris les bonnes décisions, au bon moment, et c’est reparti. Finir européen, alors que c’était tellement difficile au début, plaide pour tous ceux qui ont réussis à garder la tête sereine, l’esprit calme, au milieu de l’hiver. Ce n’était pas évident. Il y a encore de jeunes joueurs qui sont sortis de ce centre de formation. Ils sont là aussi pour pouvoir prendre le relais. Le club a été bien géré, ils ont su prendre les bonnes décisions pour pouvoir repartir de l’avant. L’Europe, c’est bien, c’est magnifique. Contre les Ukrainiens, il faut que ça passe, que Bordeaux puisse faire des matchs de coupe d’Europe. Bordeaux doit être un club européen. Avec ce stade, ce passé, ce prestige, ce centre d’entraînement, cette Histoire. Bordeaux se doit d’être européen. Il faut pour cela se renforcer, former des joueurs comme ils sont en train de faire.
Que peut-on souhaiter aux Girondins pour cette nouvelle saison ?
Pour le moment, je m’interroge encore un peu. J’attends de voir un peu la fin de ce mercato. On va voir ce match de jeudi puis le championnat dimanche. Dimanche, c’est Strasbourg, il faut gagner ce premier match. Strasbourg a toujours fait des bons matchs à Bordeaux.