Interview. Michel Audrain : « Bordeaux restera gravé à jamais pour moi »
Un ancien girondin est forcément un homme bien. Michel Audrain est passé par les Girondins de Bordeaux pendant trois saisons lorsqu’il était joueur professionnel. C’est d’ailleurs en Gironde qu’il a découvert le professionnalisme, et qu’il a appris des plus grands à son poste mais aussi dans le comportement. Il faut dire qu’il tomba dans une période faste de notre club, les années 80, avec à la clé deux titres de Champion de France auxquels il a pleinement participé, quoi qu’il en dise ou pense. Aujourd’hui entraineur d’Avranches, après avoir été l’adjoint de nombreux coaches de renom, il a toujours gardé un œil sur le Club au Scapulaire, qu’il va se faire un plaisir de retrouver, même s’il aurait certainement préféré que ce ne soit pas en National 2. Nous avons découvert quelqu’un de simple malgré un palmarès et une expérience qui forcent le respect. Un moment que nous avons le plaisir et l’honneur de vous partager. Merci Michel. Entretien.
Avranches
On dit souvent, et on est bien placé pour le savoir, qu’un club est marqué pendant plusieurs mois après une relégation. Est-ce que c’est aussi le cas d’Avranches ?
Cela dépend des endroits, cela dépend des clubs, cela dépend du palmarès du club aussi, mais je pense que c’est vrai. Il y a un temps qui est très long. Je ne connais pas sa durée. Avranches a été pendant dix ans en National, ils avaient construit quelque chose de bien. Le National est devenu très compétitif pour se maintenir. Malheureusement, lors des deux dernières années, il y avait six descentes… L’année précédente, ils se sont sauvés lors du dernier match, et l’année dernière, avec bien sûr ma participation sur les dix derniers matches, je n’ai pas pu les laisser en National. Ça s’est joué à peu de chose… Il y a eu malheureusement ce match d’Epinal qu’on perd chez nous, et ça nous a mis un frein. Ça a laissé vraiment des traces, et on n’a pas pu récupérer ces trois points sur les quatre derniers matches. Maintenant, oui, ça laisse des traces au niveau du club, au niveau de l’esprit. Même moi, j’ai hésité à resigner, parce que ça fait mal, même si je n’ai fait qu’un tiers du championnat. Mais quand même, quelque part tu descends avec ton équipe, tes joueurs. On a libéré quand même 16 joueurs, ce qui fait qu’aujourd’hui c’est une restructuration, complètement un autre projet je dirais. Le projet de remonter est difficile, compliqué, aujourd’hui, quand on perd autant de joueurs. On connaissait bien le championnat de National, et on avait une méconnaissance du championnat de National 2. Il faut bien prendre en compte tous ces paramètres, et pour se lancer des objectifs, il faut vraiment attendre, voir un petit peu les premiers matches, la première partie de saison, pour savoir si on peut être dans le haut ou bien dans le ventre mou.
Votre discours en fin de saison dernière était de remonter immédiatement mais c’est vrai qu’avec tous les changements, avec 16 départs, 11 arrivées, ainsi que l’incorporation des jeunes, c’est trop tôt pour penser à une éventuelle remontée…
C’est vrai que je me suis un peu précipité dans ma communication à la fin de la saison parce que c’est un peu humain et logique que lorsqu’un club descend, l’on pense tout de suite à remonter. Mais ce n’est pas comme ça dans la vraie vie… Il y a très peu de clubs qui remontent immédiatement, ou alors il faut avoir un objectif très fort. Il faut mettre vraiment aussi des moyens importants. A n’importe quel niveau, pour remonter, c’est déjà garder une structure, une ossature, et là on a tout perdu. Il n’y a que trois joueurs de la saison dernière qui sont restés, donc il faut reconstruire avec des nouveaux joueurs qu’on connaissait à peine. On fait des choix qui sont précipités aussi… L’objectif aujourd’hui est de faire un premier bilan après dix matches de championnat, on sera à un tiers, et là on verra à peu près si on n’est pas trop lâchés par rapport aux premières places, et si on envisage de jouer quelque chose. On essayera de toute façon de jouer le plus haut du classement, mais tout en sachant que la remontée n’est pas forcément une priorité.
Vous avez un projet de jeu qui est parfaitement clair, à savoir être une équipe joueuse, avec des sorties de balle, de la possession… Est-ce vraiment adaptable en National 2 ?
Je vais vous répondre oui et non, une réponse de Normand (sourire). Je pense que c’est adaptable, mais maintenant il ne faut pas faire n’importe quoi. On sait que le championnat de National 2 est très dans les duels, les seconds ballons, sur un jeu un peu plus direct que le National. Il y a aussi la notion de duel en National 1, dans tous les niveaux, mais le National 2 est un championnat difficile, très homogène, et on peut perdre contre n’importe qui. Peut-être que d’avoir cette ambition de jouer… Alors, il faut l’avoir, j’essaye de l’inculquer à l’équipe, mais c’est vrai que ce n’est peut-être pas forcément ce qu’il faudrait faire. Maintenant, on essaye de garder ses principes, et je m’adapterai ensuite en fonction du niveau et des résultats…
Ce sont des principes que vous avez toujours eu…
Oui, ce sont des principes que j’aimerais bien mettre en place. Mes choix de joueurs ont été fait par rapport à la technique et à la vitesse pour certains. Maintenant, je n’ai pas pris non plus des joueurs d’1.90m, ce n’est pas mon truc. Mais c’est vrai qu’à un moment donné, il va peut-être nous manquer quelques centimètres, quelques moments d’agressivité… Mais ce n’est pas parce qu’on a une équipe moyenne en taille et en puissance qu’on ne peut être agressif, ça n’a rien à voir. Maintenant, gardons ces principes de jeu, en espérant monter un peu l’intensité dans ce même jeu.
Les Girondins actuels
De loin, vous avez probablement suivi ce qui s’est passé ces dernières années aux Girondins… Quel est votre regard sur cette descente en enfer ?
Ce n’est plus un enfer, là… Je connais très bien Jocelyn Gourvennec, et quand il est arrivé il a aussi essayé de prôner un beau jeu. Il y a eu d’autres entraineurs derrière. Puis, il y a eu une nouvelle direction étrangère qui a pris le pas. D’année en année, on pensait que c’était la bonne saison pour que les Girondins reprennent un peu de couleurs, et on s’est aperçu qu’il y a eu des mauvais choix, des mauvais investissements… Il y a eu un effectif important en Ligue 1, avec des coups, et on s’aperçoit aujourd’hui qu’ils ont un déficit énorme… Je ne connais pas du tout Gérard Lopez, mais c’est vrai que son arrivée n’a pas forcément été une réussite. Maintenant, est-ce qu’il en est conscient ou pas, est-ce que c’est à 100% de sa faute, je ne sais pas… Sur le plan économique, je ne connais pas les finances, mais c’est vrai que sur le plan sportif il y avait pourtant de très bons joueurs et de très belles équipes. Ça n’a pas marché, fonctionné, dans ce qu’il voulait mettre en place. Maintenant, les voir aujourd’hui en National 2, et les rencontrer sur un championnat, ça fait mal au cœur par rapport au palmarès et au passé… C’est un gros club qui part vraiment en sucette, c’est le cas de le dire. Parce que là, remonter, c’est bien beau, mais il faut construire quelque chose de solide. Ce n’est pas évident. Je l’ai vu de loin, je ne suis pas comme les anciens, les purs, les Giresse, Liza, qui ont fait toute leur formation là-bas… Ou Marius, Battiston, les joueurs qui ont donné quand ils étaient joueurs, mais aussi après en inculquant quand ils étaient entraineurs. Pour eux, c’est quelque chose d’inacceptable…
Il y a effectivement les deux côtés, le sportif qui n’a pas tourné, et le côté financier… C’est vraiment un ensemble de choses qui fait qu’il n’y a pas de surprise quelque part.
C’est fou. On peut s’apercevoir que ça peut arriver à n’importe quelle équipe, si on n’a pas une rigueur financière, si on ne fait pas les bons choix. Ce que je reproche peut-être à ce club, c’est qu’ils n’ont pas trouvé à un moment donné quelqu’un qui… Il y avait Alain Roche à un moment qui était directeur sportif, et ils n’ont pas mis quelqu’un de la maison pour définir le contour du recrutement, du projet de l’équipe. En fin de compte, ils ont pris des entraineurs, des entraineurs étrangers, des français… Je pense qu’on a perdu une certaine philosophie du jeu à la bordelaise. La formation aussi était de bonne qualité, et très peu de joueurs sont sortis. Ou alors, on les a vendus beaucoup trop vite, comme les Tchouaméni, Koundé… Tout ça fait qu’on ne profite pas de la formation parce qu’on les vend. Il y a un côté quand même business… C’est dommage que le club n’ait pas profité de ces très bons jeunes pour construire quelque chose avec eux.
Cela s’est fait au détriment de l’identité donc.
Complètement. On a perdu l’identité, par le fait de changer souvent d’entraineur, de direction… Il n’y a pas eu un directeur sportif fort, et je pense qu’un garçon comme Alain, que j’ai bien connu, avait cette capacité-là. Il avait fait de très bonnes choses avec le PSG. Je pense qu’il lui a peut-être manqué de soutien au club, même s’il est aussi arrivé quand il n’y avait pas du tout d’argent à sa disposition.
Par rapport aux objectifs de montée, personne ou presque n’en parle ici, mais on se doute que ce doit être l’objectif. Vous déclariez en début de saison que cela ne pouvait pas être notre objectif. Vous pensez qu’il y a une amélioration ces dernières semaines qui pourrait faire penser le contraire ?
Bien sûr. Avant que Bruno arrive, et avec aussi le temps de mettre en place un projet de jeu et un effectif, c’est difficile à ce moment-là de les mettre vraiment à la première place, d’autant plus qu’il n’y a qu’une seule montée. C’est le championnat le plus dur du niveau du football. Je ne les voyais pas au début parce qu’ils n’avaient pas d’effectif, que c’était forcément des joueurs qui arrivaient au dernier moment, sans préparation… Aujourd’hui, Bruno essaye de mettre en place son jeu, avec son propre objectif. Maintenant, le fait de voir arriver Andy Carroll, Cédric Yambéré… Je les vois jouer, et c’est une équipe qui s’améliore. Elle ne domine pas non plus ses adversaires, mais c’est parce que c’est le niveau du championnat. Les joueurs sont de qualité, mais si vous mettez des joueurs de Ligue 2 en National 2, ce n’est pas dit que l’équipe va remonter. C’est un championnat très compliqué et surtout, ils l’ont pris de loin. Ils n’ont peut-être pas non plus encore un effectif complet, et d’autres joueurs vont arriver. Mais c’est sûr que plus ils auront le temps de bien se préparer – et les matches de Coupe de France leur permettent de jouer et ne pas trop se mettre de pression à ce stade de la compétition – tout peut arriver. Mais c’est vrai qu’ils ont pris du retard. Ils ont aussi deux matches de retard, et ils seront importants pour les Girondins, afin d’éventuellement savoir où ils veulent se situer dans ce championnat.
L’entraineur de Châteaubriant, Papy Leye, a expliqué que la présence des Girondins de Bordeaux était une anomalie, et que le budget du club faussait l’équité. Etes-vous d’accord avec cela ?
Oui et non. Papy se disait certainement qu’il valait mieux jouer Bordeaux en début de saison, et qu’au moment où il les jouait, ils allaient forcément être meilleurs. Bordeaux a recruté Andy Carroll au dernier moment, donc c’est vrai que c’est quand même une plus-value hein… Quatre buts en deux matchs. A mon avis, c’est le côté de la frustration. Après, on a un règlement, on peut prendre des joueurs jusqu’au 31 janvier… Moi, je peux changer mon équipe si j’ai l’argent. Cannes, cette année, a pris des joueurs avec des salaires, etc… Il y a un règlement. Aujourd’hui, en Ligue 1, Ligue 2 et National, c’était le premier septembre la date butoir, mais en National 2 on peut prendre deux joueurs, trois joueurs, quatre joueurs… Il faut faire attention aux mutés évidemment, mais on peut prendre des joueurs jusqu’au 31 janvier. Bordeaux est dans son droit. Maintenant, c’est vrai qu’en les jouant maintenant, c’est sûr que c’est un peu plus solide que quand Locminé aurait dû les jouer (lors de la première journée, reportée, ndlr)… Locminé, quand ils vont jouer les Girondins dans quelques semaines, ils vont forcément se dire ‘merde, j’aurais bien voulu les jouer au premier match’ (rires). Là, je peux comprendre la frustration. Mais sinon, après, les entraineurs, on a tous une idée, et parfois on peut être maladroits.
Bordeaux-Avranches
Vous venez de vous qualifier en Coupe de France contre Tessy Moyon Sport (R3) (1-3), alors que les Girondins jouent ce lundi soir. Est-ce qu’en plus d’une préparation tronquée/inexistante, et quelques jours de repos en moins pour Bordeaux, vous allez tenter de jouer sur la fraicheur ?
Je pense que c’est plus l’arrivée en retard de certains joueurs, je pense plus à ça que le fait qu’ils aient joué lundi. Il n’y a que 48 heures d’écart, c’est quand même des joueurs qui sont passés pour les trois quarts dans des centres de formation, qui ont été professionnels pour certains. Si on avait fait mardi-vendredi, peut-être qu’éventuellement… Mais là, ce sont des joueurs qui ont une certaine expérience, et ils savent faire. Les entrainements entre le mardi et le samedi ne seront pas intensifs. Non, je ne pense pas à ça. Mais de match en match, les points sont importants pour les deux équipes. Aujourd’hui, le classement, on va le lire après la dixième journée. Avec un point de plus, une victoire ou une défaite, tu peux descendre ou monter de quatre ou cinq places. Le classement n’est pas réel et lisible. Je pense qu’au niveau de la récupération, ce sont des joueurs qui ont tous connu de très bons championnats, donc il n’y a pas du tout d’inquiétude pour eux.
Evidemment, vous avez vu l’arrivée d’Andy Carroll, qui en est à 4 buts en 2 matches… Que vous inspire cette arrivée, et y aura-t-il un plan ‘anti-Carroll’ ?
Ça m’inspire beaucoup de vigilance. C’est quand même un garçon qui a fait de la Premier League, il a joué à Amiens. Même si aujourd’hui il a 35 ans, il a quand même un palmarès. Dans ce championnat de National 2, on peut jouer à 35-36-37 ans, c’est une question de passion et de générosité. Et puis, il a un profil de joueur… Ce n’est pas un joueur de rupture, ce n’est pas un joueur de course, mais c’est un joueur de fixation qui est terriblement fort. Et puis, c’est un joueur de coup de pied arrêté… Pour nous, ça va être un combat. Je les ai préparés déjà. Maintenant, on ne pourra pas le défier sur le jeu de tête. On va essayer de trouver un moyen pour ne pas être en déficit à chaque fois. Il n’y aura pas de plan anti-Carroll, mais il y aura une vigilance terrible c’est sûr, parce qu’autrement… C’est un joueur aujourd’hui, pour n’importe quelle équipe, qui serait un atout majeur quand même.
Vous allez jouer samedi dans grand et beau stade, cela va être un beau rendez-vous…
Ah oui, je pense… Il y a beaucoup de mes joueurs qui n’ont jamais joué dans un stade de Ligue 1. Venir sur Bordeaux et jouer au Matmut, c’est super. Il y aura quand même 12000 personnes autorisées. L’environnement, le contexte… On a tous envie de jouer ces matches-là. Pour nous c’est… Et même pour moi, retrouver un peu ces stades-là, c’est vrai que c’est quand même quelque chose d’important. On fait ce métier pour justement jouer ces matches, et en National 2 il n’y en a pas des matches comme ça. Il faut en profiter, tout en jouant un match pour le gagner, pas pour regarder le stade et être content d’être présents sur le terrain… Il faut participer à ce match avec une ambition et une motivation extrême, parce que Bordeaux aura l’intention et l’obligation de gagner. Ils sont plus dans l’obligation que nous aujourd’hui de gagner., même si nous, on n’est pas forcément sereins au classement. Mais c’est la 8ème journée, et les points perdus on les récupère rarement… Il faut faire après des grosses séries pour revenir, et c’est très difficile. Cela va me faire plaisir de revenir parce que je suis revenu presque tous les ans quand j’étais adjoint en Ligue 1 et en Ligue 2. Quand il y avait Jean-Louis (Gasset), Jocelyn (Gourvennec), même Willy (Sagnol)… Ces entraineurs qui ont quand même donné quelque chose au club… ça va me faire plaisir de refouler ce terrain.
Puisque vous parlez d’entraineurs, c’est vrai que ces dernières années on a eu beaucoup d’entraineurs différents en tous points, étrangers pour la plupart. Là, avec Bruno Irles, on a quelqu’un d’identifié, on sait où on va… Là, on a vraiment l’impression qu’on repart sur quelque chose qui peut s’avérer stable pour la suite avec Bruno Irles.
Je n’ai rien contre les entraineurs étrangers, parce que je ne les connais pas, et ils font du très bon travail, mais c’est vrai que quand on arrive dans ces clubs-là, où il y a un passé quand même, un palmarès… En étant français, on connait l’historique, on connait l’histoire. Je pense que Bruno est l’homme pour construire. Il a toute son intelligence, il a son plan de jeu… Mais même avec tout ça, on n’est pas sûr de réussir quelque chose. C’est vrai que cela devient très difficile. On est aidés par nos joueurs. L’entraineur ne fait rien tout seul aujourd’hui. Si on n’a pas les joueurs qui ont cette détermination, cette générosité, qui ont envie de sortir un peu de leur train-train… Il faut un don de soi en football, et ce don de soi n’est pas pour tout le monde quand on est joueur de football. Il faudrait l’inculquer chez les jeunes. Aujourd’hui, on ne parle que du talent. Ok, le talent est légitime, mais des fois il est naissant. Parfois, on le développe avec le travail. Je pense qu’il faut plus favoriser le don, la générosité, le don de soi, de faire des courses… Très peu de joueurs ont cette capacité-là. Les champions l’ont. C’est ce qui m’ennuie un peu dans le football moderne. On veut vendre trop vite des joueurs de 16-17 ans, et on les perd car ils n’ont pas eu le temps de se construire intérieurement. Aujourd’hui, le talent est inné, mais celui qui a le talent et qui veut faire des efforts, qu’il a cette capacité à vouloir faire des courses, cette générosité : ce sera un très grand joueur. C’est sûr que là-dessus, on n’est pas tous pareils. Ce championnat est encore beaucoup plus vrai, car on n’a pas de talents en National 2. Je veux dire, il y a des talents de ce niveau, mais si on n’a pas la volonté de se faire mal aux entrainements et en match, on ne gagnera pas des rencontres. Car il n’y a pas un joueur qui te fera une différence. En Ligue 1 et en Ligue 2 il y a des joueurs de qualité qui font des différences qui font qu’on marque un but, tu fermes derrière, et tu peux gagner le match. Mais en National 2, il faut travailler, c’est des combats à chaque fois. Et on n’a pas forcément des joueurs qui sont capables de faire des différences. Il y a un peu de maladresse, un peu de tout ça, mais c’est là-dessus que je travaille avec mes joueurs, sur cette générosité, cette volonté, et cette détermination. Après, quand on a dit ça, on n’a rien fait (rires).
Sans faire les vieux combattants, on a quand même l’impression que le football a changé sur ce point. On l’a vu avec la descente en Ligue 2, avec un retour des valeurs de combativité. En National 2, on retrouve encore plus ça…
Il y a trois choses, la détermination, l’agressivité, et l’abnégation. Ce sont des mots que j’ai connus de mes anciens entraineurs et que j’ai toujours essayé de mettre en place. Après, si tu as un ou deux joueurs de talent, tu prends, bien sûr, mais plus tu descends de niveau, moins c’est le cas. Donc il faut trouver une force collective, avec malheureusement des carrières individuelles, même en National 2 ou National, qui sont importantes. C’est dur aujourd’hui de construire quelque chose avec tous ces mots-là car ces jeunes, malheureusement, n’entendent plus ça.
Lui et les Girondins
Passons à votre parcours aux Girondins…
(rires) Oula, c’est vieux tout ça… Je réfléchissais, ça fait quand même pas loin de 40 ans… Ah lala… Ce n’est pas possible. Je suis arrivé en 82, je suis parti en 85, donc cela va faire 39 ans que je suis parti… Non, mais ma carrière aux Girondins de Bordeaux est magnifique. Je suis arrivé à 20 ans du SCO d’Angers, j’étais espoir à l’époque. Je suis tombé dans un grand club, dans une grande équipe. Il n’y avait que des internationaux. En 82, ils revenaient d’une demi-finale contre l’Espagne… Il y avait Gigi, Tigana, Battiston, Specht, Girard, Lacombe… Il y avait 7-8 internationaux. Je suis arrivé tout petit… J’ai une qualité, c’est que j’observe. Je suis peut-être trop dans la hiérarchie et le respect, mais j’ai observé pendant ces trois années-là, et j’ai pris du temps. J’ai eu du temps de jeu. Pas assez, et c’est pour ça qu’il y a eu mon départ en 85, sans écouter Aimé Jacquet d’ailleurs, on n’écoute pas les plus anciens malheureusement quand on est jeune. Il me manquait un peu de temps de jeu, je faisais 15 matches par an à peu près. Aimé avait cette intelligence pour faire souffler Dieter (Muller) et Bernard (Lacombe) avec la Coupe d’Europe des Clubs Champions, la Coupe de France… Il y avait pas mal de matches, beaucoup de déplacements, donc il faisait souffler certains joueurs. Je me suis approprié du temps de jeu comme ça. Par contre, j’ai fait trois années magnifiques. Je pense que ça a été mes meilleures années. Après, je me suis un peu perdu ailleurs, parce que je n’avais peut-être pas un caractère un peu égoïste, qu’il faut à un moment donné quand on est attaquant. Là, dans la rivalité, je n’ai pas forcément su faire. Mais les trois années à Bordeaux, c’était deux titres de Champion de France, une place de deuxième, et une demi-finale de la Coupe d’Europe…
Vous avez quand même fait au final 61 matches (10 buts) alors qu’il y avait une forte concurrence à votre poste, et qu’il n’y avait pas autant de remplaçants et de remplacements qu’aujourd’hui…
Oui, parce qu’on était 13 sur la feuille de match… On était tous les deux avec Tonio (Antoine) Martinez, qui était vraiment un ami à l’époque et que j’ai perdu de vue avec notre vie de nomade. On était tous les deux souvent sur le banc, on rentrait. J’avais cette capacité de rentrer et de marquer, car j’avais un jeu assez généreux. Il m’a manqué quelque chose pour titiller un peu plus les deux attaquants qu’étaient Bernard et Dieter, mais c’est vrai qu’il y avait peu de chances de rentrer, ou on rentrait vraiment à la fin, parce que l’entraineur poussait ses joueurs. Il n’y avait pas cinq ou six changements comme maintenant.
Et donc, Aimé Jacquet voulait vous conserver pour que vous continuiez à grandir ?
C’est une anecdote que j’ai toujours en tête. J’étais en fin de contrat, j’avais signé trois ans aux Girondins. Bernard (Lacombe) avait 34 ans, et il était gêné avec son genou à la reprise. Je suis parti début juillet. J’ai été contacté par Marseille avec Tonio Martinez, et Aimé m’a dit ‘non, resigne, reste une année ou deux, tu es jeune’. Oui, j’avais 24-25 ans, mais je voulais jouer un peu plus souvent, je voulais être un peu plus considéré comme un titulaire… Il m’a dit ‘mais non, Bernard a 34 ans, il ne jouera pas tous les matches, tu en feras un peu plus’. C’est vrai, j’aurais dû l’écouter… Même Jean Tigana m’avait dit de rester parce que je n’avais pas la mentalité pour Marseille… Il est de Marseille, il venait des Caillols, donc il connaissait (rires). Et puis, j’ai eu tort de partir… Oui, j’ai joué, un peu plus d’ailleurs, mais on a fait une année très moyenne, on finit 16èmes… On fait la Coupe de France d’ailleurs et en finale c’est contre Bordeaux… Eh beh c’est Bordeaux qui gagne, avec Giresse qui marque dans les prolongations. Il y avait peu de joueurs qui bougeaient à cette époque, les transferts étaient moins évidents que maintenant, les équipes étaient plus stables. Et je n’ai pas écouté Aimé, peut-être à mon détriment. C’était Marc Pascal qui est arrivé à Bordeaux, avec Jean-Charles De Bono. En fin de compte, il y a eu deux bordelais qui sont partis, et deux marseillais qui sont arrivés. Peut-être que j’aurais pu m’inscrire un peu plus avec les Girondins de Bordeaux à ce moment-là, mais bon, c’est la vie, c’est comme ça. Je ne regrette pas.
Vous dites encore aujourd’hui que c’est toujours un club qui restera à jamais gravé pour vous…
Ah oui, Bordeaux restera gravé à jamais pour moi.… Bordeaux, c’est mes meilleures années en tant que joueur, dans l’enrichissement aussi. J’ai appris mon métier. Au SCO d’Angers, j’étais stagiaire, et je débutais. J’avais entre 18 et 20 ans quand j’ai joué mes premiers matches. Mais là, là, c’était vraiment un niveau largement au-dessus. Tu te confrontais à des internationaux en puissance. Et là, j’ai appris ce que c’était le professionnalisme. Les joueurs, qu’il y avait… mamama… Bernard, Gigi, Specht, Battiston… Il y avait une certaine préparation de match. Les entrainements, c’était un régal, avec René Girard, avec sa force… Quel bon mec René aussi. Il mettait des coups à l’entrainement, ça bataillait avec René. Mais c’était ça, j’ai appris mon métier. J’ai connu différents clubs ensuite, mais je n’ai jamais retrouvé cette homogénéité que j’avais à Bordeaux.