[InterviewG4E] Michel Audrain (Châteaubriant) : “Quand je vois que Bruno dit qu’il est dans le dur au bout de la deuxième journée…”

C’est toujours un plaisir d’avoir Michel Audrain au téléphone. “C’est normal, c’est un bordelais” diraient certains. Oui. Profondément attaché au club qui l’a vu être deux fois Champion de France, l’entraineur de Châteaubriant a choisi cet été de quitter Avranches, et a tout de suite enchainé avec les Voltigeurs, prochain adversaire du Club au Scapulaire. Dans cet entretien, vous allez découvrir sa vision de son nouveau club, lui qui succède à Pape Leye, ainsi évidemment que toute l’actualité autour de cette rencontre de samedi. Interview.
Comment s’est passé le début de saison Michel ?
On a démarré par les matches de préparation, et l’on termine avec une seule victoire contre Vitré. Cela confirme un peu notre début de saison. On a un manque de tranchant. Pourtant, on a fait venir des joueurs, mais c’est encore un peu juste, ils sont un peu jeunes. Il faut attendre, il faut être patients, mais le problème c’est que dans le football, on n’est pas patients, il nous faut des points tout de suite… On va jouer Bordeaux, puis on va recevoir Granville qui, même s’ils ont été repêchés, ont des moyens pour recruter. Je me demande comment ils font. Puis tu vas à Saumur… Donc il faut prendre des points assez vite. Il y a une urgence de points et de jeu. Je ne suis pas satisfait de ce qu’on produit.
La combinaison des résultats et du jeu, c’est un peu la même chose chez nous…
Oui, j’ai regardé le premier match (contre Avranches). Bon, on n’a pas été mieux des fois, mais… Nous, on a joué contre Avranches, on a fait 20 minutes où on les a emmerdés, mais après, quand tu ne marques pas, tu prends un but, et tout s’écroule. Sur ce premier match, Bordeaux n’a pas une seule occasion… Le terrain aussi peut gêner les équipes, mais… Je connais très bien Bruno, cela reste un bon entraineur, il faut lui laisser le temps… Le souci, c’est qu’on n’a pas le temps dans le football. Quand je vois qu’il dit qu’il est dans le dur au bout de la deuxième journée… Il doit reconstruire une équipe avec 10 nouveaux joueurs titulaires, l’année dernière c’était avec 14 nouveaux joueurs… Tu ne peux pas demander de… Ou alors si, il y a des entraineurs qui le font, mais ils ne sont pas chez nous, ils sont en Ligue 1, dans les grands clubs. Il faut laisser le temps aux entraineurs de travailler, mais il y a la pression qui est trop forte sur les épaules, et les épaules de tout le monde. Il y a une urgence de prendre des points car les Girondins veulent remonter à tout prix… En tout cas, la différence entre les deux équipes c’est que cette pression, on l’a, mais nous c’est le maintien.
C’est comme ça tous les ans…
Oui, c’est la sixième année qu’on démarre en National 2. Papy Leye a fait des miracles tous les ans, je ne sais pas comment il a fait. Maintenant, au fil des années, on perd nos meilleurs joueurs… Son fils, Babacar Leye, lui a tenu la baraque lors des deux dernières années avec 14 buts chaque saison. Mais si on n’a pas le remplaçant, on va souffrir…
Comment s’est fait ce changement cet été d’Avranches à Châteaubriant ?
Il y a eu un épisode qui m’a déçu à Avranches. Il y a eu des échauffourées en interne. La présidence qui avait repris la suite de Gilbert Guérin, qui était décédé il y a un an et demi, ça s’est très bien passé au départ, et puis ça s’est un peu engueulé avec le directeur sportif. Je voyais ça de derrière, car je m’occupais de mon équipe, du sportif. Et puis mon meilleur ami, qui m’a fait venir, a claqué la porte, car il ne reconnaissait plus les valeurs de Gilbert Guérin dans le club. Donc, comme il m’avait fait venir… Mon départ, c’était avec l’adhésion de Xavier (Gravelaine), je n’ai aucun problème avec lui, il m’a laissé travailler sans problème, j’étais dans le confort à Avranches. Je suis parti parce que j’ai les valeurs des anciens… Je ne voulais pas rebondir tout de suite, je voulais attendre, voir un petit peu, et finalement je suis reparti parce que je connaissais très bien le Président de Châteaubriant, Jeff Viol, tout comme l’entraineur Pape Leye. Ils m’ont proposé un projet sur une année, comme Pape voulait prendre du recul. C’était à une heure de route de chez moi. C’est une des raisons aussi parce que vu mon âge, je ne voulais plus repartir sur des déménagements, donc c’était bien.
Mais en arrivant, vous avez vu quelques nouvelles difficultés, au niveau des infrastructures notamment ?
Les infrastructures, c’est dur. A Avranches, on était dans un confort car Gilbert avait compris qu’il fallait de bonnes structures pour bien s’entrainer. Il y avait un complexe sportif, quatre terrains en herbe… Les clubs de Ligue 2 pouvaient prendre note là-dessus. Je suis parti parce que c’est la passion, mais là, effectivement, je sais qu’il va falloir un peu serrer les coudes quand même. En plus, on a perdu cinq titulaires. Aujourd’hui, le National 2 s’organise et se structure de plus en plus. Ils ont presque des contrats fédéraux, dans les trois quarts des clubs. Il y a Saumur et Dinan-Léhon qui seraient peut-être dans le même cas que nous. Maintenant, on s’entraine le midi. On a trouvé un compromis avec les chefs d’entreprise, les responsables de la formation, de s’entrainer de midi à 14 heures. C’est ce que faisait Saint-Brieuc avec Guillaume Allanou, et ça s’est très bien passé, puisqu’il est monté. Je pense que c’est le meilleur compromis pour des clubs comme le nôtre. Entre midi et deux, c’est là où il y a le plus de libertés, des pauses, même s’il faut bien s’alimenter quand même et ne pas manger des sandwichs… On s’organise. On évite donc l’entrainement le soir, parce que tu rentres il est 21 heures… Il y en a qui ont des enfants, des femmes, des familles… Donc c’est un confort. C’est important de l’avoir fait. La difficulté reste qu’on est sur le qui-vive entre les joueurs qui travaillent, qui arrivent après… On n’arrive pas encore à créer une unité. On a des infrastructures compliquées, des Algeco de 20 ans d’âge, on n’a pas de salle de réunion, de salle de vidéo… C’est compliqué. C’est pour ça que c’est des miracles permanents pour se sauver en National 2 aujourd’hui, car les clubs sont très organisés et structurés, car ils ont des moyens.

C’est vrai que ce qu’a fait Pape Leye c’était quelque chose de fort.
Pape et Flo Plantard, son adjoint, sont du cru, donc ils n’ont pas les mêmes yeux que moi quand j’arrive. Dans l’organisation, on a des joueurs mutés, il faut faire attention dans les compositions d’équipe, on n’a pas encore tous nos joueurs. On fait beaucoup de choses à l’arrache, donc on perd de l’énergie… J’avais deux blessés pour Avranches, mais j’avais aussi trois joueurs qui n’étaient pas qualifiés. La qualification, avec les joueurs étrangers, vous avez connu ça aussi, il faut avoir le contrat de travail, le certificat… On se tire parfois une balle dans le pied, parfois tout seul. Il faut qu’on apprenne de nos erreurs, mais ce n’est pas facile.
La question principale pour nous c’est est-ce que la pelouse du match sera bonne ?
Le terrain est génial, vraiment bien. On a joué Les Herbiers la semaine dernière, il est magnifique. C’est une terre végétale, ce n’est pas un hybride, mais vraiment les gens qui s’en occupent, sont très bien. C’est facile pour eux parce qu’il n’y a qu’un match tous les 15 jours, et on l’a laissé presque deux mois et demi sans rien faire, on n’a pas eu de matches amicaux dessus. Il est top de chez top. Bruno Irles doit connaitre, mais le terrain est vraiment top. Au moins, on pourra équilibrer le niveau des deux équipes là-dessus.
Parce que nous, il est complètement sablé, et c’était pire que lors du premier match…
Sur le premier match, je trouvais que ça allait, ce n’était qu’en partie. Je n’ai pas encore vu le match face à Granville (interview réalisée lundi en début d’après-midi).
Le problème, c’est que Bruno Irles a décidé de faire du jeu, d’avoir plus de maitrise au milieu de terrain. L’équipe est effectivement plus technique, mais sur un terrain comme ça, ça ne correspond pas…
Oui, c’est compliqué. Concernant l’effectif, il y a encore certains joueurs que je ne connais pas, donc je vais les découvrir, je vais regarder un peu leur parcours. Mis à part Matthieu Villette et Ludéric Etonde, qu’on a rencontrés la saison dernière, mais les autres, ça ne me parle pas. J’ai vu que Bruno Irles avait changé sur le second match en passant en 4-3-3. J’ai vu contre Avranches qu’il y avait deux pistons très haut, Driss Trichard et Royce Openda, et je ne connaissais pas les deux récupérateurs, Adama Diop et Guillaume Odru. Je connaissais les trois devant, bien sûr, mais pas l’axial gauche ou le gardien. L’année dernière, j’avais perdu 16 joueurs quand on est descendus de National, et il n’y avait plus que trois joueurs titulaires. Je me dis que quand tu dois recomposer un effectif… Les trois ou quatre premiers matches, on n’était pas très bons, puis c’est venu avec l’application, le travail… On a été seconds à un moment donné. Mais je peux comprendre le casse-tête de Bruno…
Sauf que la différence avec ce que tu as vécu, c’est que c’est un choix délibéré. Ils ont vraiment voulu changer 95% de l’effectif.
A part Créteil qui a un milliardaire au club, et donc qui a tout changé, en général, c’est vrai qu’en National 2 c’est 6-7 départs. On en a perdus 6, dont 3 qui sont partis en National, et un à Saint-Malo. Le gardien est parti à Maribor en numéro 2, en Slovénie. En général, le National 2, c’est un laboratoire. Le National, c’est différent, c’est déjà un peu l’élite. C’est dur quand même après ça de reconstruire quelque chose.
On a donc fait le choix cependant de garder Bruno Irles, pour la stabilité. Une bonne chose ?
C’est bien, ça. Ça aurait été dommage de ne pas le garder. Après, je comprends que son début de saison sera décisif pour lui… A un moment donné, on est tous pareils, logés à la même enseigne. Il y a des clubs qui vont être plus patients que d’autres, mais on est tous pareils. On sera liés et vus sur les résultats. C’est normal.
En tout cas, contre Châteaubriant, il aura une certaine pression, n’ayant pris qu’un point en deux matches à domicile. Un peu comme toi ?
Oui, mais il y a deux choses. Nous, on sait qu’on n’est pas attendus sur les favoris. On sait qu’on peut peut-être aussi être dans un ventre mou qui pourrait nous convenir, et au moins faire un championnat un peu plus serein. Mais on sait bien aussi qu’à 90%, Châteaubriant a vécu dans un bas de tableau. La pression, je vais l’avoir certainement samedi parce que c’est normal, on a une pression de match, et le jour J on est dedans. Mais j’ai un recul aussi. C’est ce que j’ai dit à mes dirigeants, il ne faut pas se faire chier. Si on sent que ça ne va pas du tout, qu’on n’y arrive pas, pour X raisons… Moi, je suis à la retraite déjà entre guillemets, donc j’ai un recul. Cela ne signifie pas qu’il y a du dilettantisme ou que je m’en fous complètement, non ! Il y a des sommeils un peu plus agités. Mais c’est vrai que la pression… C’est ce qui fait la force des entraineurs expérimentés ou anciens, c’est qu’on a cette qualité-là, de pouvoir prendre du recul. Mais ce n’est pas pour ça qu’on laissera tout faire… Je pense qu’on n’a pas la même pression entre Bruno et moi, ça c’est évident.
Est-ce qu’on peut quand même dire que Bordeaux, fait partie des favoris cette saison ?
C’est ce que j’ai dit à mon groupe : laissez les journalistes choisir leurs favoris, car à un moment donné dans une saison, il y aura toujours un voire deux clubs, qui ne seront pas là au départ, auxquels on n’a pas pensé. Saint-Brieuc, on n’a jamais pensé qu’ils allaient monter, et ils ont fait un parcours retour exceptionnel. Ils ont fini sur douze victoires consécutives. On pensait à Bordeaux, notamment, à Bourges, puis Saint-Malo et Les Herbiers éventuellement. Mais arrive Saint-Brieuc qui a été exceptionnel sur les derniers matches. En général, les favoris sont souvent quand même présents. Bordeaux n’a plus que son nom, et même si au départ je les ai mis favoris également, parce que je suis parti avec les mêmes données que tout le monde… Je ne connais pas encore la qualité des joueurs. Il va falloir faire un bilan entre huit et dix matches pour savoir la valeur des équipes, mais on oublie aussi La Roche sur Yon, Angoulême qui finit toujours dans les 5-6 premiers du groupe Sud, le groupe le plus dur à mon avis… Après, il y aura peut-être Avranches qui a plutôt gardé son groupe. C’est pour moi beaucoup plus ouvert que la saison dernière. Il y aura peut-être des équipes auxquelles on ne pense pas. Attention, La Roche est toujours là, même s’ils ont fait un début de saison difficile. Mais l’année dernière c’était pareil, et ils ont fini haut parce qu’ils ont fait un parcours retour exceptionnel. Oui, il y aura toujours les mêmes noms concernant les favoris, mais attention, il y a des clubs qui vont surement être présents sur la fin de saison. Il faut prendre en compte que la saison est très longue, et c’est de plus en plus homogène. C’est les dix derniers matches, les mois de mars, avril, et mai. Mais Bordeaux y sera quand même, je pense.
En tout cas, on est reparti pour une saison de National 2, et cela doit te faire quelque chose de voir les Girondins en quatrième division, toi qui as fait partie des belles heures du club…
Ah bah oui… J’ai peur que… Il ne faudrait surtout pas qu’on s’y habitue, parce que ça voudrait dire que ce serait un géant du football qui nous quitterait. Deux, trois, quatre années dans ces championnats-là, feraient qu’on oublierait vite Bordeaux. C’est ce qui me fait peur. Maintenant, c’est à eux de reconstruire quelque chose de solide, mais ça ne se fait pas comme ça. La preuve, on peut mettre de très bons joueurs de National et de Ligue 2, ce n’est pas dit qu’on monte aussi, attention… Il faut une alchimie, des joueurs expérimentés, des joueurs qui connaissent ce niveau-là également. Moi, j’avais associé des joueurs de Ligue 2 et de National avec Avranches… Là, ils ont quatre joueurs qui jouaient en Ligue 2 actuellement, mais ce n’est pas parce que tu les as que… Ça te donne une sécurité en tant qu’entraineur, mais attention, tu joues tous les matches avec des joueurs de National 2 qui connaissent bien le rythme et la difficulté. Ce n’est pas évident. Il faut trouver un collectif, il faut trouver des leaders, des joueurs qui jouent aussi pour ce championnat. Ce n’est pas simple. Il ne faut pas qu’ils jouent pour eux. Dans ce championnat, parfois, tu te dis qu’il y a des équipes faibles, mais quand tu les joues, non, en fait il n’y en a pas. On voit Saumur qui n’a pas du tout recruté. Ils ont fait revenir des anciens et ils sont repartis avec l’équipe de la saison passée, et des départs. Ils ne perdent que 1-0 les deux matches… Ils ont deux défaites quand même, mais ils ne vont rien lâcher.
