Derrien : « Je vais écrire à Marc Planus »
Touché par les mots de Marc Planus hier soir sur le fameux Bordeaux-Lyon du 17 septembre 2005, Bruno Derrien nous a contactés. L’ancien arbitre professionnel et international de football, qui est aujourd’hui consultant pour différents médias, a apprécié les propos tenus par le défenseur bordelais sur Girondins TV hier. « Ça arrive, ça m’est déjà arrivé de passer au travers d’un match. Ça arrive aussi à un arbitre, on est humain. Maintenant, qu’il reconnaisse ses erreurs, c’est bien. J’avais joué ce match là et la première main de Cris, quand Marouane va marquer de la tête sur le centre, elle est aussi évidente que celle de Maradona. C’est ça qui avait été le plus dur. Après, dans le jeu, il y avait eu un centre où Thiago met la main, mais c’était moins gênant. C’était surtout la main de Cris au bout de dix minutes qui nous aurait permis de prendre l’avantage, ça aurait été un gros fait de jeu […] Il accepte son erreur et on passe à autre chose. C’est dommage qu’après il y a eu ce lynchage médiatique, qui l’a fait arrêter. Je crois qu’il a même écrit un livre. Il faut remettre tout dans l’ordre et il ne faut pas que ça prenne des proportions comme ça, ce n’est que du football ».
Effectivement, Bruno Derrien a écrit un livre-confession, qu’il concoctait depuis quelques années au fil de ses matches. Ce Bordeaux-Lyon, qui avait vu trois mains lyonnaises dans la surface non sifflées, a été le début d’un cauchemar. D’abord en le contraignant à raccrocher les crampons, puis à subir ensuite un véritable lynchage, véhiculé par les médias. Si l’affaire est désormais révolue pour tous les supporters bordelais, l’ex homme en jaune s’en souvient encore et doit faire aujourd’hui avec, car cela a été un tournant dans sa vie. Interview.
Bonjour Monsieur Derrien, vous vouliez nous parler ?
On m’a parlé de vous ce matin, par rapport à des propos tenus par Marc Planus sur le Bordeaux-Lyon de 2005. J’ai lu ses propos, et j’estime son témoignage plein de retenue, j’ai trouvé cela très élégant de sa part. En plus, c’est un joueur et un homme que j’ai toujours apprécié. Je vais lui écrire une lettre pour le lui dire, et lui expliquer deux ou trois choses.
Nous sommes des supporters et vous savez, ce match-là reste dans les mémoires, mais l’on vous pardonne bien volontiers, ce n’est que du football.
Vous savez, j’ai été supporter de Brest dans ma jeunesse, et je sais la déception, la frustration que cela peut parfois procurer. La critique, je l’accepte, d’ailleurs si l’on ne veut pas être critiqué, l’on fait autre chose, on arbitre du ping-pong. Derrière, c’est le lynchage qui a été fait, qui m’a conduit à la fin de ma carrière d’arbitre.
Les sanctions ont été aussi rapides que dures pour vous…
On a détruit un homme. Est-ce que je méritais le pilori pour autant ? Ce match a été la fin d’un rêve pour moi, ma carrière a morflé.
Qui a mis fin à tout cela ? Les supporters ?
La DTA. Non, je n’ai reçu aucune menace des supporters, j’ai d’ailleurs pu quitter le stade sans aucun problème. Ce soir-là, vous savez, j’étais le plus malheureux des hommes. J’ai mis des années à pouvoir revoir ce match. Et vous savez, ça ne se joue pas à grand-chose. Vous vous rappelez, sur la main de Cris, Jean-Claude Darcheville était hors-jeu d’un mètre ? Sur les deux mains de Thiago, bien sûr que je les ai vues, elles étaient devant moi. Mais elles étaient involontaires et si j’avais sifflé, on m’aurait accusé de compenser une erreur, par une erreur ? La première main est collée au corps, la deuxième c’est à bout portant.
C’est l’accumulation de mains non sifflées aussi qui a grossi le trait.
Il y a trois mains. Si j’en avais sifflé une ou les deux en seconde période, il y aurait eu moins de palabres. J’ai trinqué. J’en parle d’ailleurs dans mon livre (« A bas l’arbitre, aux Editions du Rocher, ndlr) de tout ce qui s’est passé après le match. Mon livre n’a pas plus à tout le monde mais comme Guy Béart disait « Celui qui dit la vérité doit être exécuté ». J’ai perdu trois ans d’arbitrage.
On imagine la douleur qu’a été la vôtre et que vous avez encore. En tout cas, pour nous, supporters, tout est oublié… Ce n’est que du football.
Moi, je n’ai pas oublié. J’ai mis beaucoup de temps à pouvoir revoir ce match. Bref, pour conclure je vais écrire une lettre à Marc Planus, parce que j’ai apprécié la démarche.
Plusieurs joueurs et dirigeants avaient réagi à la fin de cette rencontre, ayant ensuite rendez-vous devant le conseil national de l’éthique. C’était le cas de David Jemmali qui avait lâché « Lyon est protégé », de Jean-Claude Darcheville « Bordeaux s’était fait voler », de Jean-Louis Triaud à propos des membres de l’International Board qui refusent l’utilisation de la vidéo ; « des diktat de grabataires ». Mais aussi de Jean-Michel Aulas qui parlait d’« un arbitrage à sens unique pour Bordeaux ». Le Président Lyonnais avait ensuite reconnu qu’il en avait rajouté et que c’était une stratégie de sa part.
Au-delà du résultat et de la physionomie de cette rencontre, cette conversation avec Bruno Derrien nous a rappelés que les arbitres étaient des hommes et qu’ils avaient le droit à l’erreur. En revanche, ce qui a suivi, ce besoin de trouver un coupable, n’a pas été très « sport ». Cela a même changé la vie d’un homme, qui restera marqué à vie de ces évènements.
Merci à Bruno pour la démarche et le temps accordé. Tout comme ça a été le cas avec lui, Marc Planus appréciera également en retour cette lettre. A n’en pas douter.
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