#Interview. Brahim Thiam : « Ce 5-0, j’en ai la chair de poule, j’étais fier d’y participer »
Brahim Thiam était un joueur incontournable de
notre championnat, avec l’image de quelqu’un qui donne tout, à
chaque rencontre, tout en étant un leader de vestiaire.
Aujourd’hui, et quelques années après sa retraite sportive, il
devint commentateur sportif pour beIN Sports. Une façon de garder
le contact avec le ballon rond et de poursuivre sa passion, tout en
la poussant dans des analyses de jeu et tactiques. Nous nous y
sommes pris au dernier moment pour le contacter et il a répondu
favorablement à notre demande d’interview, lui qui a souvent
commenté les rencontres des Girondins de Bordeaux, et qui a joué
pendant quatre ans au Stade Malherbe de Caen. Le lien était tout
tracé. Sans concession, sans langue de bois, Brahim s’est confié
sur son métier, son passé de joueur professionnel en relation avec
les Girondins de Bordeaux, la situation actuelle du FCGB et de
Caen, la rencontre face au Stade Malherbe, et bien d’autres
sujets.
Nous le remercions vivement pour sa sympathie et le temps qu’il nous accordé. Un homme simple, sincère et humble qui a toute sa place dans l’environnement audiovisuel du football français.
Tu es consultant sur beIN sport depuis 2012. C’est un moyen de rester dans le foot, toi qui a pris ta retraite il y a quelques années. Tu penses faire ça longtemps encore ?
Pour le moment, oui, parce que c’est une fonction qui me permet, comme tu l’as dit très justement, de rester dans le foot. C’est un plaisir de pouvoir continuer à travailler dans le métier qui nous a bercé depuis tant d’années ! C’est une source de connaissances importantes en termes de volume de jeu, de technico-tactiques. Pour le moment, je suis content d’être chez beIN sport, je m’éclate bien donc je n’ai pas de raison de changer de fonctions.
Tu envisages de passer des diplômes, d’entraîneur par exemple, pour être plus près des terrains ?
J’avais envie de le faire à une époque, c’était en 2009, je commençais à réfléchir à la fin de ma carrière. Puis je suis parti à Reims, avec Luis Fernandez pour le rejoindre. Après, le problème du processus de passer ses diplômes d’entraîneur, c’est long, il faut être dans l’encadrement et la structure du club. Pour moi, ce n’était pas ce que je voulais faire en priorité. Il y a des choses dans la vie qui modifient tes priorités, mais après, on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve ! Il ne faut jamais dire jamais. Mais aujourd’hui, ce n’est pas mon axe numéro 1 de travail.
Aujourd’hui tu es consultant, demain tu peux recevoir une offre intéressante de directeur sportif dans un club attrayant…
Exactement ! Avec toute l’humilité qui est la mienne, j’ai toujours été un élément fédérateur dans un club. Il y a un panel de fonctions dans des clubs ou des sélections qui peuvent m’être dédié, puis en parallèle, créer, aller chercher, un diplôme. Vraiment, l’éventail il est grand. Au jour d’aujourd’hui, je n’ai pas la nécessité absolue d’aller chercher autre chose que ce que je fais actuellement car je m’éclate bien, je suis dans mon milieu, j’ai du temps pour mon travail, j’ai du temps pour ma famille. Je concilie les deux avec passions, donc tout va bien.
Est-ce difficile de garder une certaine neutralité lorsqu’on commente des matches de Caen ? Gaëtan Huard ou Xavier Domergue, qui ont un lien affectif avec Bordeaux, expliquaient récemment qu’ils arrivaient à faire la part des choses…
Pareil. C’est encore plus facile, car on peut même critiquer plus aisément les anciens clubs où l’on a joué. Moi je n’ai aucun problème avec ça et tous les clubs où j’ai joués. Caen, j’ai un lien affectif car j’y ai passé de bons moments. Les gens me traduisent une affection qui m’est pas insensible. D’ailleurs, je n’ai jamais eu de problème majeur en termes de neutralité que ce soit avec Caen ou une autre équipe. Même mieux, ça permet des fois d’être plus intransigeant avec Caen qu’avec une autre équipe parce qu’on sait que j’y ai joué donc non, je n’ai vraiment aucun problème avec ça. Ça fait partie de notre métier de consultant. Tu es consultant pour une chaîne qui retransmet tous les matchs. On n’est pas consultant pour être « consultant supporter ». Quand bien même on a une histoire affective avec un club, c’est important, il faut faire la part des choses. Si on est trop chauvin pour un club, de toute façon, ça se voit et ça se sent tout de suite ! Et ça ne plaît pas à tout le monde.
https://youtu.be/62V5aA7Zd2s
Tu as vécu ce Caen-Bordeaux avec ce fameux 5-0 (2007-2008) avec Micoud, Wendel ou encore Diarra dans le camp adverse. Et la déclaration de Jurietti ‘Ils se prenaient pour Maradona’. Quels souvenirs en gardes-tu ?
Quand je regarde le résumé encore aujourd’hui, j’en ai la chair
de poule ! On avait fait un gros match ce jour-là… Et à l’instar
des déclarations hasardeuses et inutiles de notre ami Franck
Jurietti à cette époque-là ! S’il avait regardé son échauffement à
cette époque, et la manière dont il a été absent sur le premier
but, sur le carton rouge de Planus, où on le revoit trottiner, et
sur le but de Eluchans je me rappelle, où on le voit au deuxième
poteau, il oublie le marquage. Il avait dit ‘oui, on verra au match
retour’, mais Jurietti il n’a jamais fait peur à personne. Je
l’invite à regarder le but de Eluchans, c’est le quatrième but. Un
centre de Gomis pour Eluchans et regardez l’oubli de marquage de
Jurietti ! Il n’a pas pris de petit pont, il n’a juste pas pris le
marquage. Il n’a pas été concentré alors venir remettre ça sur le
fait que Eluchans, après, faisait des petits ponts et se prenait
pour Maradona, c’est un petit peu réducteur mais bon, c’est comme
ça, il était énervé à la fin du match. Quand on prend 5-0, une des
plus grosses claques de Bordeaux de ces dernières années, on peut
l’excuser. Et j’étais fier d’y participer !
Ce jour-là, ils ont pris le match par-dessus la jambe, à la légère.
Nous, on était une équipe qui jouait le maintien et on a joué avec
nos armes, comme on faisait d’habitude. Conjugué, certes, à
des coups du sort qu’on a provoqués, ils se sont noyés et ça a
donné une grande rencontre, dans une des meilleures saisons de
Ligue 1 de l’histoire du Stade Malherbe de Caen.
Tu avais une mentalité de gagnant, d’un joueur qui se bat sur tous les ballons, peu importe l’adversaire en face. Tu retrouves ces valeurs de combat, d’abnégation, dans la nouvelle génération de joueurs en Ligue 1 ?
Oui, on les retrouve forcément car ce sont des ingrédients qui sont intemporels. A partir du moment où tu oublies de mettre l’état d’esprit, la combativité, l’humilité, les joueurs ont du mal et traversent des mauvaises périodes. Maintenant, c’est une adaptation le football actuel. Mais c’est valeurs, ça existe depuis des années, ça existera des années après. Voilà, il faut se battre, il faut avoir l’état d’esprit. J’ai eu la chance de connaître une campagne européenne avec Nice. Et Nice devient vulnérable quand ils commencent à être un petit peu en dedans dans l’état d’esprit. Mais c’est symptomatique et c’est valable pour toutes les équipes.
C’est quoi pour toi, les principales différences dans le jeu d’un défenseur central de ta génération, et un defenseur central d’aujourd’hui, s’il y en a ?
Il n’y en a pas. Il y a des joueurs, aujourd’hui en France, comme Pallois, comme Lewczuk, comme Romain Thomas, qui ont des qualités de défenseurs, qui sont rigoureux, durs sur l’homme et qui jouent simple. Donc, on retrouve, dans les équipes d’aujourd’hui, les mêmes caractéristiques que celles que l’on avait à notre époque. C’est une chose intemporelle. Le travail demande sacrifice et effort, et à partir du moment où tu ne fais pas ça, que tu ne respectes pas les fondamentaux du foot, tu risques d’être puni et Bordeaux l’a appris à ses dépens ces dernières semaines.
Tu étais des nombreux observateurs qui félicitaient Bordeaux pour leur recrutement et leur début de saison. Qu’est ce qui ne va plus selon toi depuis la claque reçue face à Paris ?
Bordeaux, suite à la claque de Paris, a pris un coup dans le moral. J’aime beaucoup Jocelyn Gourvennec, c’est vraiment quelqu’un que j’aime beaucoup en tant qu’homme, en tant qu’entraîneur. J’ai des amis dans cette équipe de Bordeaux, notamment Younousse Sankharé, que je considère comme un petit frère, mais je pense que Bordeaux a pris une claque, même si on sait qu’à Paris c’est dur. Tu ne t’imagines pas être aussi mauvais dans tous les secteurs. Quand tu es en haut de l’échelle, et que tu redescends au milieu de l’échelle, t’as pas beaucoup de chemin à parcourir pour retrouver le haut. Mais quand tu es en haut, et que tu descends tout en bas, le chemin est plus long. Je pense que c’est ce qui arrive à Bordeaux. Ils ont été malheureux contre Marseille car ils ont fait un bon match, ils ont retrouvé des vertus. Ce n’était pas tout le temps brillant dans le jeu, mais on a retrouvé une équipe avec une âme. L’équipe de Bordeaux qui a joué contre Marseille, ce n’était pas celle que j’ai vue contre Amiens ! Toute la différence se fait dans la tête, dans l’état d’esprit. La volonté. Contre Marseille, on a vu une équipe de Bordeaux volontaire, déterminée. On peut louper, ce n’est pas grave. Mais soyons déterminés, concentrés, après, c’est le destin… Ça leur a transmis un message, que ce qu’ils font, c’est mieux. A la sortie du match contre Marseille, si tu gagnes, c’est bien, tu as fait un bon match. Et là, finalement, tu restes à demi convalescent. Tu es sur la bonne voie, ça veut dire qu’il faut continuer à travailler.
On a l’impression, en tant que supporters, de revivre chaque année la même saison avec de belles promesses, puis des trous dans la saison.
C’est dû au club, à l’environnement du club, aux ambitions du club. Bordeaux, ce n’est pas Marseille. A Bordeaux, quand tu perds trois matchs de suite, tu peux aller sur les quais, aller boire un coup, tu n’as pas de problèmes. A Marseille, tu perds trois matches de suite, même tes courses, tu te les fais livrer. Elle est là la différence. C’est un bon club, c’est comme Caen, c’est des clubs, il y a un bien-être, il n’y a pas de pression à Bordeaux. La pression, c’est toi qui te la donne. Il y a une pression naturelle, de par les matchs de haut niveau, il y a un environnement et un état d’esprit de gagneur. A Marseille, si tu perds un match, tu sors du stade la tête basse, ce qui fait que ça maintient tout le club sous pression. A Caen, tu as un bon club, mais tu n’as pas de pression. Quand ça va, c’est bien. Quand ça ne va pas, ce n’est pas grave. Ça ira mieux un autre jour.
Toi qui as été défenseur central de métier, que penses-tu du repositionnement de Jérémy Toulalan à ce poste ?
C’est inévitable. Ce mec-là, il donne tellement pour le collectif que, tu pourrais le faire jouer arrière gauche, il donnerait la même chose. C’est un grand professionnel, il s’adapte. Après, si il est là, c’est parce que Jocelyn n’a pas trouvé de solutions qui lui ont convenu non plus, je pense. Que veux-tu dire sur Toulalan ? Toulalan, t’as besoin de lui au milieu, t’as besoin de lui derrière. C’est le poumon, c’est l’ADN de cette équipe. C’est quelqu’un qui est toujours dans le sérieux, dans la rigueur, dans le combat. Ce n’est pas un leader négatif, il ne montre jamais de signe négatif, c’est pour ça qu’on l’utilise partout dès qu’on peut.
Dans nos souvenirs, tu appréciais beaucoup Nicolas Pallois lorsqu’il était à Bordeaux. As-tu compris ce choix de le laisser partir à Nantes ? L’explication, selon Jocelyn Gourvennec, était d’avoir une meilleure capacité de relance, d’où la descente de Jérémy Toulalan en défense centrale.
Si c’est ce choix sportif-là… Sachant que la saison précédente, Bordeaux, ils ont fait une grosse saison avec Pallois et je suis pas sûr que ce soit celui qui ait eu la plus mauvaise relance. Je respecte les choix de Gourvennec mais je ne suis pas convaincu que ce choix ce critère-là qui l’ait fait partir… La paire Lewczuk-Pallois, c’était une des meilleures en France, ultra complémentaire. Tu as un début de réponse à la situation de Bordeaux. Et est-ce que les tractations de Jovanovic elles n’ont pas tardé non plus ? Ça dépendait du départ de Pallois. Voilà, tout ça mis bout à bout, tu as peut-être un début d’explication de cette situation. Si Pallois il est parti, je ne pense pas que ce soit que sportivement, pour sa relance… Il a peut-être eu des exigences par rapport à la saison qu’il a faite, qu’il n’a pas eu et qu’on lui a donné à Nantes.
Quelles sont les forces et les faiblesses du Stade Malherbe cette saison, qui était jusqu’à récemment une des meilleures défenses du championnat ?
Force. Force, et un esprit collectif retrouvé. Une équipe avec la volonté de bien faire, sans se prendre la tête, sans douter de leurs capacités. Et leur faiblesse, c’est offensif, il leur faut beaucoup d’occasions pour mettre des buts.
Quel est ton regard sur la rencontre de ce week-end entre ton ancien club et les Girondins, et quelle sera la clé de la rencontre ?
L’envie d’entreprendre. C’est celui qui va tenter le plus qui remportera le match. Ils sont capables du meilleur comme du pire. Quand tu as envie d’entreprendre, ça réussit. Et quand tu laisses faire les choses, que tu attends que ça vienne, comme ont fait les bordelais à Amiens, il n’y a rien qui vient. Si les deux entreprennent, ça peut faire un nul. Il faudra oser, et être rigoureux défensivement.
Caen a un calendrier très chargé avec au programme Bordeaux, Lyon, Paris en championnat et Monaco en Coupe de la Ligue jusqu’à fin décembre. Tu penses que les caennais vont pouvoir garder cette 6ème place jusqu’à la trêve hivernale ?
Seul un voyant très réputé, très fort pourrait répondre ! Est-ce qu’ils peuvent ? Oui. Est-ce qu’ils vont ? Je ne sais pas. La coutume me fait dire qu’ils prendront les matchs les uns après les autres. Ça ne sera jamais aussi vrai que maintenant. Mais ils ont connu une saison difficile l’année dernière. Ils ont la fraîcheur mentale et physique pour le faire.
Une dernière fois merci à Brahim et aux personnes de beIN Sports, qui nous ont permis de connaitre cet excellent moment dans un délai très court