#Portrait. Jussiê nous parle de Malcom, la Seleção, la crise bordelaise et sa reconversion dans le vin. Partie [3/3]

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    Jussiê VA

     

    LE BORDEAUX ACTUEL

     

    Toi qui a vécu de nombreuses années à Bordeaux, tu vas peut-être pouvoir maintenant nous expliquer comment les Girondins, chaque année, connaissent un long moment de moins bien ? On parle souvent de conditions trop bonnes, de manque de pression, de « Club Med ». Qu’en est-il réellement ?

    Oui, ça peut être un manque de pression. Cette pression, elle peut venir d’où ? Des supporters ? Je ne sais pas. Du coach ? Oui, parce que c’est quand même le capitaine du bateau, surtout avec une équipe qui n’est pas très expérimentée, ils ont besoin de se faire guider. Ici, en France, on réfléchit trop. C’est difficile de donner un avis parce qu’être coach, c’est compliqué. Quand ça va, tu te dis « Bon, on reste dans cette lignée-là ». Tranquille. Quand ça commence à devenir moins bien, le coach, logiquement, vient mettre un coup de pression pour remonter les joueurs. Des fois, ça marche, et des fois, ça ne marche pas. Si ça ne marche pas, la descente continue, et c’est ce qu’il se passe avec Bordeaux. Là, le coach, en ce moment il se dit qu’il ne peut plus faire ça, il ne peut plus « défoncer » les joueurs. Il ne peut plus mettre trop la pression sur les joueurs, sinon, ça va être pire. Donc ça réfléchit, et on se laisse aller. Donc, du coup, le doute s’installe sur les joueurs, surtout sur les jeunes joueurs, et ça continue à baisser. Quand j’ai vu le début de saison de Bordeaux, je me dis « C’est super ! ». Et forcément, tu te dis que c’est la patte de l’entraîneur ça. C’est l’entraîneur qui fait les choses bien. Je ne suis pas dedans mais, à quel moment il y a eu ce relâchement ? Je n’utiliserais pas le mot « Club Med » car quand on est intelligent, on utilise le club de Bordeaux comme une chance. C’est une chance de pouvoir jouer dans un club comme ça. Mais il y a des joueurs qui croient le contraire, qui pensent vraiment au Club Med, là oui. Malheureusement, quand on est jeune, on se laisse aller, on a moins de compromis. Il y a des joueurs qui sont prêtés, et qui savent que dans six mois ils ne sont plus là. Ou alors, ils se disent « Je vais jouer pour moi, pour ma gueule, parce que je vise un gros contrat ». « Lui, il est en train de marquer beaucoup de buts donc je ne lui fais plus la passe, sinon il aura le bon contrat et pas moi ». Il y a beaucoup, beaucoup d’éléments. Je ne connais pas le travail de Gourvennec mais, mais il faut leur remonter les bretelles le plus rapidement. Pour arriver au top, tout en haut, ce n’est pas difficile. Ce qui est difficile, c’est de le maintenir, d’y rester. Et ils y sont arrivés à un moment donné, c’était bien. Puis, ça commençait à baisser. Quand on parlait de Lens, et je ne dis pas que Bordeaux sera en Ligue 2, mais ça va vite dans le foot. Je pense qu’il y a eu un relâchement, je ne sais pas de qui. Des joueurs, oui, bien sûr. Je ne sais pas si tout le monde s’est vu beau, « On fait une belle saison, ça va être facile ». Effectivement, il y a un manque de compromis de la part des joueurs. La base, c’est ça. C’est une chaîne, chacun doit faire son travail. Le coach doit montrer la voie aux joueurs. Mais des fois, le coach, il montre, et eux ne font pas. Ca, c’est terrible.

     

    Quelle est ta position sur la demande de démission des Ultramarines, à l’égard de Jocelyn Gourvennec ?

    Je pense que les supporters ont toujours leur mot à dire. Les supporters sont dans leur rôle. Leur rôle de s’inquiéter, de faire savoir leur mécontentement. Ils ne vont pas virer Gourvennec parce que les Ultras le demandent. Ce n’est pas comme à Marseille, où les supporters ont peut-être plus de pouvoir. Et je ne dis pas que c’est bien! Ce que demandent aujourd’hui les supporters des Girondins, ils ne vont pas le faire. Mais je le répète, ils ont raison de dire « Faîtes attention, il y a quelque chose qui ne va pas… ». Ca c’est une manière de montrer que les choses ne vont pas bien et qu’il faut changer. Parce que si demain l’équipe elle commence à gagner, ils vont arrêter de demander la démission de Gourvennec. Ils ne vont pas demander de changer toute l’équipe, ou de changer le président, et il faut bien demander de changer quelqu’un, pour que ça marche.

     

    Donc tu penses qu’il y a des joueurs qui jouent pour leur intérêt personnel plutôt que collectif ?

    Je n’ai pas vu assez de matchs des Girondins pour confirmer ça. Le constat que je fais aujourd’hui, c’est que ça manque de compromis de leur part. Je ne vais pas parler de tel ou tel joueur, je parle globalement mais, il faut qu’ils assument ce qu’il se passe aujourd’hui. Ils doivent prendre la décision de changer. Je pense que le plus difficile quand on est dans une équipe comme Bordeaux, et ça s’est passé souvent la période où j’étais là-bas, tu es avec les autres joueurs, vous êtes des amis, une famille, vous êtes ensemble, et tu n’as pas envie de te fâcher avec eux. Et du coup tu ne dis pas les choses en face. Tant qu’il n’y a pas une vraie engueulade dans le vestiaire… Pas de là à se casser la gueule mais, s’ils ne sont pas conscients qu’il faut qu’ils s’expliquent, qu’ils se regardent dans la glace, qu’ils se posent les bonnes questions. Quand ils arrivent à la maison après un match, il faut qu’ils se disent « Qu’est-ce que je peux faire pour faire changer les choses ? ». Tu t’imagines, si chacun se posait cette question déjà. Ca arrangerait beaucoup les choses.

     

    LA COLONIE BRÉSILIENNE

    Fernando Menegazzo et Vieira Jussiê iconsport
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    On a connu Wendel, Jussiê, Fernando notamment. Peux-tu nous donner ton avis sur Malcom, Otávio, Cafú ou Matheus Pereira ?

    Ce sont de jeunes joueurs. Je pense que la qualité, elle est là. Malcom et Otávio se sont intégrés assez rapidement, facilement, à la culture du foot français. Les autres, moins bien. Ils ont beaucoup à apporter. Si j’avais un conseil à leur donner, c’est d’essayer de s’intégrer le plus rapidement possible. C’est important. Quand on est bien dans notre peau et qu’on se sent « à la maison », les choses se déroulent plus facilement. Il faut qu’ils se mettent dans les bonnes conditions. Je ne les connais pas personnellement, sauf Malcom, car je jouais encore quand il est arrivé, et c’est un garçon intelligent, simple, avec un super potentiel. Comme Malcom, les autres aussi ont des choses positives à apporter. Il faut qu’ils se lâchent. Des joueurs, nourrissent le sentiment de ne pas se sentir bien dans un lieu. Par exemple, André (8 matchs avec Bordeaux en 2011, 0 but). Il est arrivé ici et déjà, dans sa tête, il ne voulait pas faire l’effort d’y rester et de faire quelque chose, alors qu’il avait du potentiel. Mais lui déjà, il voulait repartir dès le début. Tu peux faire ce que tu veux, le mec il va rester là, il ne va rien donner. Je pense que les mecs doivent se mettre dans de bonnes conditions pour exprimer leur potentiel. S’ils arrivent à faire ça, ils vont apporter beaucoup aux Girondins.

     

    Les Brésiliens de ton époque avaient semblablement un niveau égal. Un très bon niveau, mais personne ne se démarquait plus qu’un autre. Dans la « colonie » brésilienne d’aujourd’hui, c’est Malcom qui domine. Penses-tu qu’il peut devenir un grand joueur, s’imposer dans un club comme Manchester United ou le PSG par exemple ?

    Oui, je pense. Il est jeune. Il a de la marge de progression encore. A son âge, s’il a beaucoup de choses encore à recevoir, et qu’il arrive à intégrer ça dans son jeu, forcément il va aller dans un grand club. On a vu qu’il a eu une progression incroyable. Ca ne va pas m’étonner si en janvier, et je l’espère pas, ou à la fin de la saison, il parte dans un grand club. Tout ça est une question d’équilibre. S’il continue à jouer comme il joue, forcément, il va y aller. Et s’il en plus il garde cette dynamique, pour moi, ça va devenir un grand joueur.

     

    Tu as toujours été considéré comme un excellent joueur techniquement. As-tu des regrets de ne jamais avoir été sélectionné avec la Seleção ? À l’instar d’un Wendel qui a eu une période dorée à Bordeaux…

    Ca aurait été une vraie fierté, de même que si j’avais été sélectionné pour la France. Ca aurait été un vrai honneur de représenter mon pays, porter le maillot de la Seleção. Mais le constat était clair dès le départ, je n’ai jamais mis ça comme un objectif. Après, tu vas me dire « C’est facile, tu dis ça parce que tu n’as pas réussi à le porter » mais vraiment, je n’ai jamais eu cette ambition. J’avais déjà dit ça dans une interview pour Sud Ouest, quand j’ai arrêté ma carrière, mais Bordeaux pour moi, c’était le max. Des potes me disaient « Tu aurais dû partir au moment où ça pétait, où tout allait bien », mais je ne voulais pas. Je n’ai pas montré l’envie de vouloir partir d’ici. Je te jure que j’ai toujours considéré Bordeaux comme mon point max. Et donc, je n’ai pas fait les choses pour arriver en Seleção. Avec le football que je proposais, je ne pouvais pas aller en Seleção. Tu te rends compte de tous les grands joueurs qu’il y a pour ce pays ? Pour chaque poste, il y a 15 ou 20 très très bons joueurs! Il faut se battre, montrer beaucoup plus que les autres. Mais moi, inconsciemment, je n’ai jamais fait les choses pour en arriver là. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais si je raconte ça aux quatre coins du Monde, les joueurs vont me dire « Mais tu es fou ou quoi ? Tout le monde rêve de jouer pour le Brésil! ». Oui, mais pas moi. Encore une fois, ça aurait été un vrai vrai honneur! Mais, je n’ai jamais mis ça comme un objectif principal. Après, ça dépend aussi du moment. Mais à l’époque où Wendel marchait très bien, il y avait des joueurs au même poste, au Brésil, où ça marchait très très bien aussi! Puis en plus, le niveau des attaquants au Brésil, là ça pète!

    Wendel et Fernando

     

    C’est comme le poste de gardien également. Avec quelques matchs de championnat corrects, tu pouvais jouer en Seleção, contrairement au poste d’attaquant.

    Exactement. Fred, à l’époque, il a décidé de repartir de Lyon parce qu’il voulait être sélectionné. Il voulait repartir jouer dans le championnat brésilien. Il savait que beaucoup de joueurs faisaient ça, mais qu’au Brésil, il aurait plus de chances. Ils sont plus en vue les joueurs là-bas. Un club comme Bordeaux: le club doit être très très bien et il faut que le joueur, il pète la forme. Individuellement et collectivement. Même si le mec pète la forme, si le club ne va pas, ça ne marchera pas. Il faut que tout soit top et que le club soit exposé.

     

    SA RECONVERSION DANS LE VIN

     

    Concrètement, quelle est ta reconversion aujourd’hui ?

    Je suis importateur de vins français. Je représente une quarantaine de domaines en Amérique du Sud et surtout au Brésil. Je travaille avec beaucoup de vins de Bourgogne, c’est ma base. C’est marrant, je suis de Bordeaux, j’ai accès à beaucoup de vins de Bordeaux, mais aujourd’hui ma base, c’est en Bourgogne! Le projet s’est présenté comme ça. C’est très bien, parce qu’à Bordeaux, il y a un côté plus « business », moins fidèle, et en Bourgogne, il a plus de fidélité.

     

    Tu ne vas pas signer à Auxerre ?

    (rires) Non non non!

    Jussie vendanges 2

    Te vois-tu repartir dans le monde du football ? Si oui, dans quelle fonction ?

    Pourquoi pas. Je ne dis pas oui, je dis pas non, je te dis pourquoi pas. Coach ? La gestion d’une équipe, pour moi, c’est le plus terrible. Je me verrais plus à un poste comme Ulrich Ramé, que dans la gestion-même d’une équipe.

     

    Beaucoup de joueurs passés par les Girondins, reviennent s’installer dans la région bordelaise après leur carrière. Pour quelles raison tu es resté ici ? Alors qu’il y a du soleil, un climat agréable au Brésil.

    J’ai vécu longtemps à Bordeaux, 10 ans, donc forcément j’ai créé des liens ici. Et des liens très forts. J’ai des très très bons amis ici, que j’ai connus quand je suis arrivé. Petit à petit, je me sentais à la maison. Mes enfants n’ont connu que Bordeaux. Ils n’ont pas connu d’autre ville. Ils ont fait toute leur scolarité ici. Alors pourquoi changer, si on est bien ici ? On a toujours fait les choses bien, pour rester ici. Jusqu’à en demander la naturalisation! La ville, les gens, le climat, l’ambiance… C’est vrai que le Maire fait un super travail. C’est une ville dynamique, ça bouge tout le temps, tu as toujours quelque chose à faire. Je suis passionné de vin, et Bordeaux respire le vin. C’est la Mecque du vin. Il y a tous les éléments pour que je reste.

     

    Peux-tu te balader librement en ville à Bordeaux ?

    Oui oui! C’est ça que j’adore. Les gens me reconnaissent, mais ils ne viennent pas m’embêter. Ils te regardent différemment car ils se disent « Tiens, je connais ce mec ». Là, par exemple, j’étais en Bourgogne, dans un petit resto caché au milieu de n’importe où! On était 15 à table, et à un moment donné, le chef vient servir, me regarde et me dit « On se connait non ? ». Je lui réponds « Non non, on ne s’est jamais vu ». Il me rétorque, « Si si, je suis très physionomiste, et je t’assure qu’on se connait ». Mais je ne lui ai pas dit qui j’étais! A Bordeaux, je me balade, et ce que j’aime c’est ça, c’est cette liberté. Au Brésil, ça fait 12 ans que je n’y suis plus. Aujourd’hui, quand j »y retourne, je marche et les gens te crient « Hé Jussiê! Jusssssiê! Ca va ? ». Les gens viennent t’aborder, te demandent des photos. Mais au Brésil, on dit que tu n’es jamais un « ex-footballeur ». On dit que tu es un joueur professionnel pour la vie.

     

    Et tu ne te vois pas faire de la politique comme certains joueurs ? Romario ou Bebeto par exemple.

    Oh non! Surtout pas! Je ne veux pas des emmerdes ! (rires) J’aime bien la tranquilité.

     

    Que peut-on te souhaiter ?

    Santé! Dans la vie, c’est ce qu’il faut. Si on a déjà la santé, tu peux travailler, faire du sport, t’occuper de ta famille, donc la santé, voilà!

    Merci beaucoup Jussiê pour la gentillesse dont tu as fait preuve au cours de cette interview. Bonne continuation dans ta nouvelle carrière!