InterviewG4E. Avant Bordeaux-Le Havre, découvrez l’interview de Fabien Farnolle qui retrace sa carrière (loin d’être finie)
C’est une histoire peu banale, que nous avons suivi depuis près de 15 ans maintenant, celle de Fabien Farnolle. Fabien est de la « génération Rio Mavuba », celle qui a fait les beaux jours des Girondins de Bordeaux et mis en avant la formation bordelaise. A l’exception près que le gardien n’a pas eu la même chance et le même parcours tout tracé, et c’est le moins que l’on puisse dire… Non retenu au centre de formation pour un nombre de portiers trop important, « Fabulous Fab » connut Setubal (Portugal) dans la foulée où il ne fut pas payé, puis Quevilly, ou encore Libourne, où il connut les mêmes problèmes… Bordeaux, par l’intermédiaire de son formateur Patrick Battiston, lui tendit une nouvelle fois la main lors de la saison 2009-2010, ce qui lui permit d’enfin prendre son envol avec quatre belles années à Clermont, où il attira l’intérêt des clubs de Ligue 1… C’était sans compter une fois encore sur la malchance, et la malveillance de certaines personnes, rancunières, qui essayèrent de briser sa carrière par des rumeurs aussi infondées que malsaines, mais qui peuvent effrayer les clubs intéressés par ses services… L’histoire se répète encore avec une expérience ratée en Roumanie, pour au final une renaissance en France, au Havre, prochain adversaire des Girondins de Bordeaux en Coupes. Aujourd’hui, son expérience à l’étranger, en première division turque, est réussie puisqu’à mi-saison il est deuxième du championnat avec le Yeni Malatyaspor, devant Galatasaray, Besiktas ou Fenerbahçe.
« Fab » fait partie de ces joueurs de foot, avec une éducation, la tête bien vissée sur les épaules, et avec un mental d’acier forgé sur le terrain. Qui, avec ce parcours, n’aurait pas tout abandonné ? C’est un peu paradoxal, mais sans ces mésaventures, il n’aurait probablement pas atteint ce niveau, qu’il soit footballistique ou mental. Pour l’anecdote, en 2004, il fut celui que l’on choisit pour notre première interview, lorsque G4E était encore « Girondinsforever ». Vêtu de sa plus belle chemise mauve pour l’occasion, ce grand gaillard d’1.96 m avait laissé rejaillir toute sa timidité, sa simplicité, et son respect. Aujourd’hui, Fabien a bien grandi, nous vieilli, mais il fait partie de ces rencontres et ces personnes qui font que le football est encore plus beau… Interview.
Cela fait maintenant deux saisons que tu es à Yeni Malatya, en Turquie. Comment se passe cette saison ? Vous êtes actuellement deuxième, avec la deuxième meilleure défense du championnat…
Actuellement, je suis en stage à Antalya, pendant quinze jours, trois semaines. Toutes les équipes de première et de deuxième division turque sont à Antalya, je pense qu’il y aura des équipes d’autres pays qui vont venir aussi. Ils prévoient beaucoup d’équipes jusqu’au mois de février. En ce moment, on est deuxièmes oui, et deuxième meilleure défense du championnat. Ça se passe vraiment bien. L’année dernière, j’étais vraiment dans la phase d’apprentissage et d’adaptation. Maintenant, j’ai compris le truc, j’ai su rester concentré, travailler. Ça a toujours été ma force, le travail et la confiance en moi. J’ai pu attaquer en tant que titulaire. Quand j’ai signé en Turquie, on m’a beaucoup dit ‘attention’, on était vraiment sceptiques. Mais on était venus plusieurs fois en vacances ici, on savait sur quoi on allait tomber.
Penses-tu réaliser ta meilleure saison depuis que tu es professionnel, à maintenant 33 ans ?
Ce n’est pas fini… Après, je pense que je réalise vraiment une bonne première partie de saison, on va dire que je suis plus en train de monter en puissance. Je me sens vraiment bien. Mais j’ai quand même du mal à dire que c’est ma meilleure saison, peut-être que je pourrai dire que ça l’année prochaine. Lors de ma dernière année au Havre, je me sentais aussi bien et j’avais réalisé une très bonne saison également. C’est sûr que là le niveau est différent, c’est un niveau au-dessus. On va dire que je ne suis pas mal, je suis bien parti pour réaliser une de mes meilleures saisons.
Parce qu’être la deuxième défense de Turquie, tu y es aussi forcément pour quelque chose…
C’est vrai que quand tu regardes le classement, les équipes qui tu devances, tu te dis que tu es dans l’élite, dans un championnat de qualité, regardé et reconnu. C’est clair que je peux être fier de ma première partie de saison. J’ai toujours fait partie des meilleures défenses. C’est une fierté aujourd’hui de montrer que je suis loin d’être fini, au contraire, et que l’échelon au-dessus ne me fait pas peur.
Pourtant, tout n’a pas été facile, tu as beaucoup bourlingué. Est-ce que tu te souviens des circonstances de ton départ des Girondins de Bordeaux en 2005 ?
Ca remonte à très longtemps maintenant… Il y avait beaucoup de concurrence mais au final on ne m’a pas prolongé parce qu’il fallait faire jouer Mathieu Valverde, celui qui descendait (en réserve)… De mon côté, j’avais aussi un peu abandonné dans ma tête… Ce n’est pas en t’entrainant bien qu’on te fait signer professionnel, surtout que c’était saturé au-dessus (Ulrich Ramé, Frédéric Roux…), donc ils n’en avaient pas l’intention. Ils croyaient en les joueurs au-dessus, donc ils n’avaient pas forcément de besoin… Même de me faire signer un contrat amateur, non, ils n’en voyaient pas l’utilité. C’est vrai que sur le coup, quand tu as gravi tous les échelons, dans ton club formateur, et que chaque année rien ne se conclut… Après, c’est du football. Mais à chaque fois qu’on me mettait de la concurrence… Comme on dit, tu es un enfant des Girondins. Je ne cherchais pas à avoir une fleur, parce qu’avec l’expérience tu te rends compte que tu n’as jamais de fleur dans le football, on ne favorise pas forcément le côté affectif dans le foot. En tout cas, au final on ne me prolonge pas, on ne me donne pas une année en plus. Je n’ai pas eu la chance des autres gardiens qui ont signé après moi, qui ont pu signer pro et se faire prêter derrière. Après, il ne faut pas oublier que de mon côté, je n’étais pas exempt de tout reproche aussi, j’avais vite abandonné. A l’entrainement, je m’entrainais mais je ne le faisais plus à fond, je n’étais pas content de la situation… Je n’ai pas montré une force de caractère non plus. C’était un peu de tout, mais c’est sûrement aussi ce qui me permet à l’heure actuelle de vouloir montrer à tout le monde que finalement je suis un des seuls gardiens (du centre) qui a réussi.
Et cela t’a surement servi après dans ton parcours, c’est là où tu t’es forgé mentalement.
C’est exactement ça. C’est pour ça qu’au final, je dis que ça ne m’a fait que du bien, je n’avais pas cette force de caractère de vouloir montrer, prouver… J’ai fait en sorte de montrer ce dont j’étais capable, pour prouver qu’ils s’étaient trompés. Maintenant, c’est du passé, je suis revenu quelques années après. A chaque fois que je peux revenir voir le coach Patrick Battiston je passe le voir.
C’est d’ailleurs en 2009-2010 qu’il t’a tendu la main…
Totalement, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Je suis à Libourne, ça ne se passe pas comme prévu, il y a des problèmes financiers, je ne suis pas payé. J’ai fait une année en CFA2, je fais 5 matches en National, ça se passe bien… J’étais dans le secteur du patrimoine, et Romain Battiston (le fils de Patrick, ndlr), me dit ‘viens, on commence à essayer de bosser ensemble’. Et il me dit aussi qu’il va voir avec son père si je peux venir m’entrainer (au Haillan). Son père accepte, on discute, on parle du passé, on reparle de l’année 2005 où je n’ai pas été conservé, etc… Il n’y avait aucun souci par rapport à tout ça, il a vu que j’étais performant, que j’étais bien, que je n’avais pas le même comportement aussi, que j’étais déterminé et que j’avais évolué. Il a fait le forcing pour que je puisse revenir. Bien sûr, il y avait Laurent Blanc et Jean-Louis Gasset qui ont validé, car ils sont venus me voir et m’ont aimé. Derrière, je signe, je fais 15 matches en CFA, je suis avec les professionnels la plupart du temps, j’ai fait une dizaine de bancs. Cela m’a permis, avec tout ça, d’avoir la chance d’aller à Clermont.
Tout à fait, il y eu ensuite cette belle page de quatre saisons avec Clermont, où ça se passe bien, puis après on veut te ‘tuer’ au niveau extra-sportif…
Ouais, il y a eu vraiment un tissu de conneries… Dans le foot, tu sais, il y a rarement des bonnes infos (rires). Il y a tellement de ‘on dit’, de ‘conneries’, sincèrement… Quand je pars des Girondins, Laurent Blanc parle de moi avec la carrière qu’il a connue à Montpellier. J’arrive en tant que deuxième gardien, je fais six mois sur le banc, et je joue sur la seconde partie de saison. J’enchaine les bonnes saisons, et sur la troisième saison j’ai des propositions de clubs dont Marseille à l’époque, Nantes, et on ne me laisse pas partir… On arrive à se dire qu’encore une fois, je manque de chance. Le coach ne veut pas me laisser partir parce qu’il vient d’arriver en Ligue 2, il ne veut pas perdre son gardien, se retrouver avec un autre gardien et que ça se passe mal… Il veut que je sois sa garantie. Je me dis qu’il me reste encore une année, donc au final je reste, et ça ne se passe pas super bien au niveau des résultats. Personnellement, au niveau des performances, c’est mitigé parce que je me blesse pour deux mois, ils ne me soignent pas très bien là-bas… Je suis obligé de revenir sur Bordeaux, avec les Girondins, afin de faire mes soins correctement. La fin de saison approche et avec cette année qui a été un peu catastrophique au niveau des résultats, je n’ai pas eu plus de sollicitations que ça. Ils veulent me prolonger, je refuse parce qu’ils ne m’ont pas laissé partir un an auparavant, et que je souhaite tenter ma chance ailleurs… C’est le moment ou jamais, j’ai 28 ans. J’étais content de mes quatre années à Clermont, de l’image que j’ai laissée. Il n’y a pas quelqu’un sur Clermont qui peut dire que j’étais une mauvaise personne ou quoi que ce soit, bien au contraire ! Il y a encore une semaine j’étais sur Clermont, je suis reparti voir les mecs du stade, de la mairie… Il n’y a pas quelqu’un qui peut dire que j’ai laissé une mauvaise image. Même au discours avant de partir, devant les partenaires, on avait les larmes aux yeux, je serre le Président dans mes bras… C’était quatre ans de ma vie, ils ont vu grandir mes enfants… Jusque là, tout va bien, je pars, et on commence un peu à me solliciter, plein de clubs : Nice, Guingamp…
Et puis arrive la « rumeur »…
C’est ça, et paf, la rumeur comme quoi je suis un ‘islamiste’. Et là, à cette époque-là, je peux te dire… Même le fait de dire que je sois pratiquant… C’est le Président de Clermont qui a osé me comparer à un islamiste, que j’avais converti des gens dans le vestiaire, alors que ces mêmes gens n’étaient pas musulmans… Et ils ne le sont toujours pas aujourd’hui. Je l’ai eu au téléphone, et il m’a répondu ‘non, j’ai juste dit que tu étais musulman’. Mais je lui réponds que quand quelqu’un l’appelle pour lui demander comment je suis en tant que footballeur, sa seule chose à dire c’est que je suis musulman ?! Bref, des conneries plus grosses que sa tête… Au final, ça ne bouge pas comme prévu, avec à la clé six mois de galère… J’arrive en Roumanie (au Dinamo Bucarest), nouvelle galère, je ne suis pas payé… J’ai joué un seul match, j’ai eu quatre entraîneurs en trois mois, du grand n’importe quoi… Et retour au Havre.
Tu prends alors le chemin du Havre, prochain adversaire des Girondins, où tu réalises deux bonnes saisons.
La première saison, on manque la montée d’un but, je crois que ça a été la pire des saisons au final au niveau du ressenti. Dans un sens, ça aurait été mieux perdre la montée deux matches avant, que perdre cette montée pour un but… On gagne 5-0 alors qu’on devait gagner 6-0… En plus, dans ce match, si on avait gagné 8-0, personne n’aurait pu crier au scandale. On avait eu un nombre incalculable d’occasions. La seconde année, on essaye de jouer quelque chose mais au final, ça commence mal avec un changement de coach, un coach novice qui n’avait jamais connu la Ligue 2 arrive… Tout avait changé, mais je sors mon épingle du jeu et malgré les performances de l’équipe, je fais une grosse saison. Je suis sollicité par le Yeni Malatya dans la foulée. Ca s’est fait très vite, et ça se goupille bien.
Est-ce qu’il y a des joueurs avec qui tu évoluais à l’époque qui y jouent encore ?
Il y a une grande partie de l’effectif qui joue encore au Havre, ça n’a pas beaucoup changé. Yohann Thuram, Zinedine Ferhat, Denys Bain, Harold Moukoudi, Alex Bonnet, Jean-Pascal Fontaine. Il doit avoir encore 80% des mecs avec qui j’ai joué. Après, cela reste sur un match… La Coupe, c’est très particulier. Bien sûr, je pense que Bordeaux part dans un rôle de favori. Mais Le Havre a toujours aimé jouer contre les équipes qui jouent au foot. Le Havre n’a jamais trop aimé la guerre, le combat, c’est ce qui nous faisait défaut souvent… Lors de belles affiches, on arrivait toujours à marquer, gagner, à ne pas être ridicule, ou vraiment faire jeu égal. Par contre, pour les matches un peu plus ‘galères’, de bas de classement, où il fallait onze guerriers, c’était toujours un peu plus compliqué. Là, je pense que contre Bordeaux, dans un beau stade, une belle rencontre, presque un match de gala… Je pense que Le Havre peut réussir à ne pas être ridicule déjà, et a une chance de titiller Bordeaux.
Plus généralement, quel regard as-tu sur le rachat du club ?
A chaque fois qu’il y a eu un changement à Bordeaux, que ce soit au niveau de la direction, ou autre, on espère toujours de grandes choses et on est forcément déçus à la fin. Ce n’est pas à la hauteur des ambitions de tous les bordelais, ce n’est pas à la hauteur de ce que Bordeaux était et ce que Bordeaux peut devenir. Là, encore une fois, on va espérer parce qu’on est des fans des Girondins… C’est mon club de cœur, je suis un fan. J’espère qu’on retrouvera Bordeaux comme un très grand du championnat, qui pourra titiller Paris et Lyon. Et surtout sur la scène européenne… Franchement, il y a tout à Bordeaux pour pouvoir avoir un très grand club !
Un peu comme pour toi, il y a des attentes chaque année et au final, tu as une déception parce que ça ne se passe pas comme ça devrait se passer…
C’est toujours timoré, c’est froid… On fait des transferts, c’est toujours entre deux. Pas un top player, pas une buse non plus, mais tu vois ce que je veux dire… Ce n’est pas une prise de risque vers un bon joueur qui te permet d’avoir des garanties derrière. Pourtant, les rares fois où on l’a fait, ça nous a servi ! Je ne comprends pas… A l’époque, il y avait des Alou Diarra, Yoann Gourcuff, Marouane Chamakh… Il y avait de vraies prises de position à cette époque-là. Après, on peut même remonter plus loin quand on faisait venir des ‘tauliers’, des joueurs qui avaient vraiment prouvé en Ligue 1. Là maintenant, les transferts, c’est toujours un mercato timoré. Je n’ai rien contre les mecs, mais on va en chercher un peu partout. On se dirait ‘on se laisse trois ans, on envoie du lourd pendant deux ans’, et ensuite on voit… A Bordeaux, on passe trop vite de l’espoir au désespoir. Trop rapidement.
Tu évolues aussi avec le Bénin, avec qui tu as 23 sélections. Vous êtes plutôt bien par rapport à une qualification à la prochaine Coupe d’Afrique des Nations.
On est plus proches que jamais. Il nous manque simplement une victoire ou un match nul. Une victoire pour être sûrs et ne pas trop regarder ce que fait l’Algérie. L’Algérie rencontre la Gambie chez elle pour le dernier match, dans un stade où ils n’ont jamais perdu… Si l’Algérie gagne, il nous faut simplement un match nul chez nous pour nous permettre de nous qualifier. On aura donc ce dernier match à domicile contre le Togo en mars.
Tu as, en sélection, plusieurs anciens bordelais… Olivier Verdon, David Djigla, ou Sessi Almeida. Que penses-tu d’eux, qui n’ont pas pu réussir chez nous et qui au final sont internationaux béninois ?
David Djigla, ça a été compliqué pour lui à Bordeaux. Je pense qu’il aurait pu faire partie des jeunes, quand je vois ce qui se fait en ce moment, qui pouvaient au moins être dans le groupe pro. Il s’est passé ce qu’il s’est passé, mais aujourd’hui il essaye tant bien que mal par rapport à ses blessures, d’être régulier. C’est ça qui l’a pénalisé. Olivier (Verdon), c’était compliqué à Bordeaux, il y avait énormément de monde à son poste. Derrière au final, il signe en Ligue 2 (Sochaux) où ça se passe bien pour lui. Je pense qu’on le verra très rapidement à l’échelon supérieur. Enfin, pour ce qui est de Sessi (D’Almeida), ça a été un peu compliqué aussi à ses débuts mais au final il arrive à faire une petite carrière et jouer en Angleterre. Et ce malgré les blessures, parce que ça l’a beaucoup freiné. Maintenant, il est en troisième division, c’est un peu plus compliqué, mais je pense qu’il va pouvoir faire sa petite carrière. En tant qu’international déjà, et ensuite en tant que joueur de club il arrivera à faire son chemin. Après, il y a des fois où on ne réussit pas forcément, comme moi, dans son club formateur à Bordeaux, et il faut savoir partir pour tenter sa chance autre part.