InterviewG4E. Philippe Fargeon fait le bilan de la saison des Girondins de Bordeaux pour Girondins4Ever, et se projette sur la prochaine

    Comme avec Ludovic Obraniak, nous avons fait le bilan de la saison 2018-2019 des Girondins de Bordeaux avec notre consultant, Philippe Fargeon, tout en nous projetant sur la prochaine. Un très grand merci à Philippe pour sa disponibilité, sa sympathie, et son amour pour le club au scapulaire. Interview.

     

    La saison s’est terminée sur une victoire à Caen, après la pire série de défaites de l’histoire du club en Ligue 1 (6 matchs). Elle était quand même nécessaire pour le moral cette dernière victoire pour finir sur une bonne note…

    Oui, bien sûr, une victoire, elle fait toujours plaisir et elle est toujours agréable. Après, c’est quasiment anecdotique car ça n’apporte rien de plus, peut-être une place supplémentaire à la place où on aurait été si on avait perdu. Après, ce n’est pas ce que l’on retiendra de la saison. Il y a eu cette lourde série de défaites d’affilée, ça va rester dans les annales, parce qu’automatiquement, on s’en rappellera. On saura que quand Bordeaux commencera à perdre 2 matchs, 3 matchs de suite, certains seront là pour rappeler, au bon vouloir de tout le monde, qu’ils ont perdu un certain nombre de matches de suite. Mis à part cette situation, la victoire en elle-même évite d’avoir une défaite de plus, mais ne restera pas dans les annales.

    Après cette grande revue d’effectif qu’a opéré Paulo Sousa depuis qu’il est à la tête des Girondins, quels sont pour vous les joueurs dont il est nécessaire de se séparer pour l’année prochaine ?

    C’est une question qui est très difficile. Je ne pourrais pas répondre, pour deux raisons. D’abord, parce qu’il y a une stratégie de jeu qui va être mise en place par l’entraîneur et donc il va falloir qu’il trouve des joueurs polyvalents, et donc des joueurs qui vont pouvoir s’adapter au mieux possible au système de jeu qu’il voudra mettre en place. Ca, c’est la première. La seconde est qu’il y a un certain nombre de joueurs qui sont sous contrat et qu’avant d’en faire venir, il faut en faire partir. Donc il y a une gestion humaine qui n’est pas facile à faire, ça sera à l’entraîneur de choisir. Il y a des joueurs qui partiront de fait, parce qu’ils n’ont pas eu suffisamment de temps de jeu. Il y en a d’autres qui repartiront dans leurs clubs. Donc c’est vraiment difficile. Et puis, l’entraîneur, il a la possibilité pendant quelques mois de faire tourner son effectif. Donc, lui seul aujourd’hui avec son staff peut savoir sur quels joueurs ils comptent absolument. Il va y avoir des degrés de résistance entre celui qu’on veut à tout prix garder, celui qu’on va garder un court moment, celui qui n’a pas le choix, celui qu’on ne veut pas garder et celui qui partira. Et pour tout cela aujourd’hui, il y a des critères qui m’échappent…

     

    Et vous, personnellement, il n’y a pas des joueurs que vous souhaiteriez voir quitter le club ?

    Non, pas quitter le club spécialement… Moi ce que je veux c’est qu’ils portent à fond les couleurs de ce club. Après les choix des hommes et les choix tactiques des entraîneurs, cela ne me concernent pas. Ce dont j’ai envie surtout, c’est qu’on ait enfin des joueurs, que l’on retrouve des joueurs qui sont fiers de porter ce maillot, après le reste… Quel qu’il soit, et je pense que beaucoup de supporters bordelais pensent comme moi : celui qui se bat sur le terrain, même si ce n’est pas le meilleur, on le préfère à quelqu’un qui est susceptible d’être bon et qui fait des efforts pendant trois mois.

     

    Joseph DaGrosa et Nicolas de Tavernost
    (Photo by NICOLAS TUCAT / AFP)

     

    Est-ce qu’après cette saison difficile des Girondins, il y a des points positifs à tirer d’après vous ? Sur le plan sportif ? Humain ?

    Oui, le départ de M6 déjà ! C’est le premier point positif. Voilà, c’est bon, on a vu, M6 est resté longtemps. D’ailleurs, on a l’impression qu’il n’y avait pas de club des Girondins avant M6, tellement ils ont fait… Ca, c’est une boutade mais c’est vrai qu’à chaque fois, on ne parle de que l’histoire de M6. Mais il ne faut pas qu’ils oublient qu’il y avait une histoire avant eux et que cette époque était certainement bien plus belle… Autrement, ce que l’on peut retenir c’est qu’il y a quelque chose qui est en train de se mettre en place, avec une nouvelle équipe qui est sur une voie de réflexion. Il y a des choses qui vont très vite et c’est bien. D’autres qui vont plus doucement et c’est bien aussi. Donc le côté positif, c’est qu’on a l’impression que ça évolue dans le bon sens. C’est ce que l’on attendait, du moins pour ma part, en tant que simple supporter c’est ce que j’attendais depuis des années.

     

    Donc pour vous, la prise en main du club par les américains est plutôt positive ?

    Elle se passe exactement comme elle doit se passer. Après, comme on en a parlé la dernière fois, des choix comme Jean-Pierre Papin en tant qu’ambassadeur des Girondins, je suis un peu surpris. Pour moi, il n’y en a qu’un, c’est Alain Giresse. Voilà, il va falloir agrandir un peu cette histoire car il n’y a pas que les dernières générations, celles d’avant étaient très bien aussi. Le reste, sinon, je pense qu’il sont en train de faire ce qu’il faut, même s’il y a des choix sur lesquels je suis surpris, notamment le départ de Jean-Luc Dogon. Je trouvais qu’il avait fait du bon travail, qu’il était sérieux. Mais après, je ne suis pas à l’entraînement, je ne suis pas avec les Girondins derrière, donc il y a des choix qui automatiquement m’échappent.

     

    Jean-Luc Dogon

     

    En parlant du départ de Jean-Luc Dogon et celui d’André Pénalva, qui ne sont pas reconduits. Vous disiez la dernière fois qu’il était important de s’appuyer sur les anciens du club pour pouvoir structurer le club. Ce choix est contradictoire, non ?

    Oui, enfin après, il y a des choix à faire. Il y a des gens qui s’étaient ancrés là-dedans, qui se sont enracinés dans ce club, qui n’avaient peut-être plus la même volonté, la même passion, le même mantra pour faire de ce club, un grand club. Donc avec cela, l’usure faisant… merci beaucoup pour ce que vous avez fait, mais maintenant, il faut aller voir autre chose. Et puis, il y en a d’autres comme Jean-Luc, qui pour moi ont apporté des résultats intéressants au niveau de la Gambardella, de son équipe. Après c’est un choix, c’est son choix à lui, peut-être qu’il y avait un désaccord entre les deux, je ne sais pas. Mais c’est vrai que personnellement, en tant que supporter, je regrette un peu que Jean-Luc soit parti ou ne soit pas reconduit en tout cas.

     

    Concernant, Matthieu Chalmé, à qui il reste un an de contrat et qui ne sera peut-être plus l’entraîneur de la réserve…

    Quel rôle ils vont lui donner exactement ? C’est difficile. Je ne sais pas quel rôle pourrait être donné à Matthieu Chalmé, qui fait aussi partie de l’histoire du club. Là, c’est une réorganisation interne et il y a tellement de choses à modifier là-dedans que je crois que c’est plus un canevas qu’il faut mettre en place aujourd’hui et c’est un travail assez intéressant que vont avoir à faire les américains aujourd’hui.

     

    Trois joueurs girondins vont jouer la CAN, qui débute le 21 juin : Sabaly (Senegal), Kamano (Guinée) et Samuel Kalu (Nigeria). Commençons par François Kamano : est-ce que la participation à la CAN sera une occasion pour lui de rehausser son niveau de jeu et du coup prendre de la valeur pour être revendu après cette mauvaise seconde partie de saison ?

    C’est une très bonne question mais vous savez, moi je préférerais qu’il soit bon toute l’année ! Une compétition comme ça, c’est très intéressant, mais je préférerais qu’il fasse une bonne saison avec les Girondins, puis une deuxième, une troisième et puis qu’on le revende dans quelques années à un prix intéressant. Mais qu’on se dise : « il a raté sa saison, vivement qu’il fasse une bonne CAN pour qu’on le revende », non … Est-ce qu’on prend des joueurs pour qu’ils brillent dans leurs équipes nationales ou on prend des joueurs en équipe nationale parce qu’ils brillent dans leurs clubs. Je préférerais qu’il soit meilleur avec nous et la CAN, il fait ce qu’il veut, je m’en fous !

     

    On a vu quand même que le transfert avorté à Monaco a eu un gros impact sur son niveau de jeu et sur son investissement.

    Oui, je suis totalement d’accord, ça a mis un coup d’arrêt, ça fait du mal, mais à l’arrivée, il est resté à Bordeaux et ce sont eux qui l’ont payé ces six derniers mois. Je ne sais pas, je fais partie de la vieille école, pas de la meilleure, mais en tout cas, moi on m’a toujours appris que le payeur a raison. Donc le mec qui me paie, je lui dois automatiquement en contrepartie un travail. Et ce n’est pas parce qu’il n’est pas allé à Monaco, ou ailleurs, est-ce qu’il aurait accepté de ne plus être payé ? C’est ce qui m’énerve, mais bon c’est comme ça…

     

    Youssouf Sabaly

     

    Youssouf Sabaly joue également la CAN. Il est aussi annoncé partant après une moins bonne saison que la précédente. La CAN peut être une bonne occasion pour lui de reprendre confiance également.

    Youssouf Sabaly, c’est vraiment quelqu’un d’autre. C’est quelqu’un qui a fait de bonnes saisons à Bordeaux, je trouve que c’est un bon joueur, qui a une bonne mentalité. Une période difficile, qu’il avait déjà connue l’année après son arrivée. Mais je pense que c’est le typique latéral que l’on veut garder à Bordeaux, parce qu’il a cet esprit offensif qui a toujours été à l’image de nos latéraux. Si vous regardez de Thierry Tusseau, jusqu’à Bixente Lizarazu ou Benoit Trémoulinas, c’étaient des latéraux qui montaient énormément. Il faut garder ce joueur-là, qui a d’énormes qualités. Quand il a été remplaçant, on ne l’a jamais entendu, quand il était titulaire, il était là. Après, je vous parle de ce que je vois, pas de ce qui se passe au quotidien comme l’entraîneur peut le vivre. Il fait partie des joueurs sur lesquels on ne se pose pas de questions. Le revendre, on gagnera toujours un peu d’argent mais est-ce que l’on retrouvera quelqu’un qui pourra se mettre autant dans le ton des Girondins de Bordeaux, je ne sais pas… c’est mon opinion.

     

    Enfin, Samuel Kalu qui a lui très peu joué cette saison entre les blessures et ses problèmes familiaux (enlèvement de sa mère). La CAN peut être une bonne occasion pour reprendre confiance et pour que ça puisse le relancer pour la prochaine saison des Girondins ?

    Je pense que dans un cas comme le sien, la Coupe d’Afrique des Nations peut vraiment le relancer pour qu’il fasse une bonne saison, qu’il reparte avec plein de motivation et surtout avec une grosse envie pour l’année prochaine. Mais si on se dit qu’il faut qu’il soit bon à la CAN pour pouvoir après partir du club derrière, c’est ce qui me gène.

     

    Durant cette saison, on a changé 4 fois d’entraîneur et il semble que, peu importe les résultats, Paulo Sousa sera maintenu car à la base du sportif. Est-ce un nouvel signal envoyé aux joueurs, celui de se dire que l’entraineur n’est désormais plus le premier fusible en cas de mauvais résultats ?

    Oui… et ça en est même malheureux de pouvoir envisager ça. Un entraîneur qui part c’est parce qu’il n’a pas réussi à faire prendre la mayonnaise. Quand c’est un premier qui part parce qu’il n’a pas réussi, ok… Quand c’est une deuxième qui part parce qu’il n’a pas réussi, bon… Quand c’est un troisième qui part… tu te demandes à un moment où est vraiment le problème. Ce n’est plus un problème d’entraîneur, soit c’est un problème de mentalité des joueurs auprès du staff, parce que ce n’est pas concevable. Sur un ou deux d’accord, mais pas sur 4. Après, on ne va quand même pas oublier la situation. Il y en a un qui est parti, ils sont partis en chercher un vite fait parce qu’il s’est fâché sans trop que l’on sache pourquoi. Ils ont vite récupéré un autre qui lui aussi n’a pas été conservé… Il faut se souvenir qu’il y a eu deux identités dans ce club, et ces deux identités ont chacun apporté un entraîneur différent. Il ne faut pas s’arrêter au fait que Bordeaux ait pris 4 entraîneurs en une saison et ce n’est pas ce que l’on retiendra de la saison, ce sera plus le nouveau projet qui est en train de se mettre en place.

     

    supporters virage sud ultramarines

     

    S’il y a bien quelque chose qui n’a pas défailli cette saison, c’est le Virage Sud. Entre encouragements et patience avec l’attente de la saison prochaine, quel regard portez-vous sur leur saison ? Ont-ils une place forte dans notre club ?

    Evidemment… Et ça ne se discute même pas. Je crois qu’ils étaient un peu usés par M6, par les promesses et à l’arrivée, il ont été juste comme il fallait. Et ils le sont toujours. Quand ils sont en colère, je les comprends qu’ils le soient. Le travail de fond d’un club c’est d’être proche de ses supporters. Je ne dis pas que le club doit faire en fonction de ce que disent les supporters parce qu’il faut aussi que les supporters soient mécontents à des moments. Mais ils ont vraiment été élégants cette saison parce que c’est vrai que ça a été très désagréable.  Et j’aimerais entendre parler d’autres supporters autres que le Virage Sud parce que j’ai parfois l’impression qu’ils n’osent plus en parler.

     

    Florian Brunet, responsable des Ultramarines, a confié que les dirigeants bordelais leur avaient annoncé le Top 5 pour la saison prochaine et deux têtes d’affiche pour le mercato. Est-ce selon vous quelque chose de réalisable ou de trop ambitieux ?

    Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Il faut être ambitieux dans la vie… Si on vise la 12ème place, je ne pense pas que les supporters seraient contents et je ne pense pas qu’au moment de l’ouverture des guichets pour les abonnements, ça fonctionne. L’objectif d’être dans les 5, est-ce que c’est un objectif inatteignable ? Non ! Quand on regarde qui l’a atteint cette année… Après, il y a Top 3, Top 4 où il y a toujours une surprise. Cette année, Marseille est passé complètement au travers, l’année prochaine, ça peut être Bordeaux qui joue sa chance. Il faut de l’ambition. Après on est dans une campagne de réabonnements donc c’est normal que l’on présente des projets qui soient ambitieux.

     

    Pourtant, on dit qu’il n’y aurait pas trop d’argent pour recruter. Donc avec peu d’argent, cela risque d’être une vraie épreuve pour Eduardo Macia et Hugo Varela, pour juger de leurs qualités professionnelles ?

    Non, au contraire. Quand vous avez beaucoup d’argent à tire-larigot, vous pouvez acheter 10 joueurs, si vous vous trompez sur 2, ça ne se voit pas. Par contre si vous avez peu de moyens, que vous en prenez deux et qu’ils ne sont pas bons, ça se voit tout de suite. Donc il y a du travail, ils ont eu du temps pour voir l’effectif d’aujourd’hui et à eux de voir maintenant ce qu’ils peuvent faire avec les moyens du bord. Effectivement, quand on a de l’argent, ça aide, mais quand on a des bons jeunes… Bon c’est dommage qu’ils descendent, mais on a la plus grande Ligue de France, on doit avoir un certain nombre de joueurs susceptibles de jouer dans les clubs de la région et qui, en quelques mois, peuvent prendre une place dans l’équipe professionnelle et c’est là qu’il faut aller chercher à mon avis… et ça ne coûte pas cher.

     

    Joseph DaGrosa, Hugo Varela

     

    Justement, ils parlent de deux têtes d’affiche, ce qui peut générer parfois de la frustration pour les supporters parce qu’on annonce de grands noms, comme il y a quelques semaines avec Olivier Giroud…

    Oui c’est vrai, mais j’en suis l’exemple vivant. A mon époque, on attendait Michel Platini et je suis arrivé. Et je pense que les supporters se rappellent de moi. Donc les têtes d’affiche, ce n’est pas la priorité. Nous ce qu’on veut c’est qu’ils soient bons sur le terrain. Il y a certains temps, on nous a amenés des têtes d’affiche, je pense notamment à Jérémy Ménez et je ne suis pas sûr que ce soit la tête d’affiche que les supporters attendaient. Moi, ce que je veux ce n’est pas une tête d’affiche mais des joueurs qui se battent sur le terrain, qui nous donnent du plaisir à regarder les matchs et qui rassemblent les supporters.

     

    Les Girondins reprennent le chemin du Haillan début juillet pour ensuite s’envoler aux USA. Paulo Sousa n’était pas très emballé par cette idée, mettant en avant le long voyage et le temps de récupération le jeu sur pelouse synthétiques, etc… et il a fini par accepter, car c’était une bonne opportunité pour l’image du club et de la Ligue 1. Qu’en pensez-vous ?

    On est dans cette ère-là aujourd’hui, tous les clubs partent tous. En Angleterre, cela fait des années déjà qu’ils le font déjà. Je me rappelle que le Real Madrid avec Zinédine Zidane était parti faire une compétition en Chine et ça ne les a pas empêchés de gagner la Champions League après. La promotion aujourd’hui, cela coûte de plus en plus cher. Si on veut que les américains aient des sponsors qui nous apportent des capitaux, il faut vendre cette Ligue 1 aussi aux Etats Unis et l’équipe des Girondins, de manière à pouvoir récupérer des sous. L’argent ne tombe pas comme ça parce que l’on s’appelle les Girondins de Bordeaux.

     

    Vous comprenez malgré tout l’avis de Paulo Sousa qui n’était pas emballé par cette idée, par souci de récupération, d’autant plus que l’état physique des joueurs à son arrivée était un point qui l’avait préoccupé…

    Bien sûr que je comprends. Après, c’est justement l’éternel équilibre qu’il faut trouver dans un club : la gestion de l’image, la gestion des retombées économiques et puis la fraîcheur et l’entraînement des joueurs. Il faut qu’à certains moments l’entraîneur puisse dire non, il y a des intérêts d’un côté comme de l’autre. Le plus important c’est qu’il y ait un directeur sportif au milieu qui puisse trancher cela de la meilleure des manières.

     

    Merci Philippe !