InterviewG4E. Philippe Fargeon : “Je préfère que l’on soit classé comme ça avec des résultats en dents de scie, plutôt que ce que l’on a connu depuis des années”

    Nouvelle trêve internationale, et déjà 13 journées de Ligue 1 disputées. Alors, nous avons fait un point avec l’ancien attaquant des Girondins de Bordeaux, Philippe Fargeon, qui est également notre consultant cette saison encore. Plusieurs sujets ont été évoqués, différents joueurs analysés. Bonne lecture à toutes et tous, et merci encore et toujours à Philippe pour sa disponibilité et sa sympathie.

     

    On est actuellement à la trêve internationale et on attendait beaucoup de ce bloc de 4 matches avec des adversaires que l’on pense être des concurrents directs (Saint-Etienne, Lille, Nantes et Nice) et finalement Bordeaux n’a récolté que 4 points. Quel est votre bilan et votre analyse ?

    D’abord, aujourd’hui il est difficile de savoir qui sont les concurrents directs dans un championnat où il n’y a que quelques points qui séparent le 2ème du 17ème. C’est un peu difficile et aujourd’hui, il y a des surprises. Depuis quelques années, il y a une équipe qui est au-dessus et il y en a d’autres qui peuvent créer la surprise derrière pour les places qui sont intéressantes. Mais regardez, il y a quelques mois une équipe comme Nantes gagnait tout, et ils sont en difficulté maintenant depuis un certain temps. Monaco a fait un début catastrophique et aujourd’hui ils remontent la pente. C’est hyper aléatoire de savoir quelles sont les équipes qui sont des concurrents directs.

     

    Malgré ça, n’avoir récolté que 4 points sur ces 4 matches, c’est un bilan assez faible, non ?

    Bien sûr ! Mais on est quand même bien classé ! Ça fait combien de temps qu’on n’a pas été aussi bien classé à cette période de l’année ? Je crois qu’il faut surtout relativiser le manque de points que l’on a eu jusqu’à maintenant. On a su faire un bon résultat, on a un classement qui est plutôt bon aujourd’hui. On a perdu des points sur des équipes qui étaient effectivement un peu plus en forme. On est aussi allé prendre des équipes contre qui il valait jouer au début que maintenant. Donc effectivement, on a une partie de saison qui est un peu plus délicate cet an-ci, mais une chose est sûre, c’est qu’on est bien classé et c’est le plus important aujourd’hui. Je préfère que l’on soit classé comme ça avec des résultats en dents de scie, plutôt que ce que l’on a connu depuis des années.

     

    Bordeaux à la quatrième attaque de L1 avec 18 buts inscrits en 13 journées (à égalité avec Lille). De votre point de vue d’ancien attaquant, comment jugez-vous l’attaque bordelaise, plutôt en réussite depuis le début de saison ?

    Ce qui est surprenant c’est qu’on a réussi à avoir plus une stabilité défensive, ce qui permet devant d’avoir plus de sérénité. Quand on a une bonne défense qui tient la route, les attaquants devant peuvent se concentrer sur ce qu’ils font. Devant on n’a pas d’attaquant né, comme cela peut être le cas à Monaco par exemple. A Bordeaux, on a plusieurs joueurs susceptibles de pouvoir marquer des buts en période décisive. Je crois que c’est important d’avoir autant de solutions, même si, je le répète, si on veut arriver dans les 3 premiers, on a besoin d’un joueur capable d’inscrire 15-20 buts par saison.

     

    Jimmy Briand et Nicolas De Préville
    (Photo by MEHDI FEDOUACH / AFP)

     

    Si on fait un point par attaquant, que pensez-vous de Jimmy Briand ?

    Jimmy Briand agit comme on en a besoin. Il a l’expérience, il est là, il a marqué des buts assez importants. C’est un joueur qui accompagne bien les nouveaux arrivants, il a un profil qui permet à Nicolas De Préville de sortir de se torpeur malheureuse qu’il a eue pendant deux ans et qui grâce à ça, commence à retrouver confiance en lui. On a l’impression qu’ils sont plusieurs à pouvoir jouer, se remplacer, donc c’est intéressant. Il apporte donc ce qu’on attend de lui, l’expérience d’un des joueurs qui a le plus de matches en Ligue 1.

     

    Justement, Nicolas De Préville, il se sent bien sur le terrain depuis le début de la saison…

    Oui, ça fait plaisir parce qu’il arrivait au club et au final il n’a jamais joué au rôle qui était le sien. Les entraîneurs précédents l’ont fait jouer avant-centre dans des systèmes de jeu qui jouaient du côté opposé, ce qui voulait dire qu’il n’y avait pas beaucoup de centres qui arrivaient et ce n’étaient pas les meilleures conditions pour un avant-centre. Là, on se retrouve dans un système de jeu où lui il joue un peu plus en relais à des moments, donc il a peut-être trouvé sa place dans l’équipe. Parce qu’on voit qu’il a les qualités et moi la seule chose que je pouvais remettre en cause c’est qu’il n’arrivait pas à s’intégrer dans un système de jeu qui était mis en place à l’époque, mais ça ne lui correspondait pas non plus…

     

    Et votre avis sur Hwang Ui-Jo, qui est de plus en plus décisif …

    Quand vous allez chercher un joueur qui a des habitudes différentes, qui a une culture différente, il faut qu’il s’adapte et il le fait actuellement. Après, c’est peut-être plus facile de s’adapter à la région bordelaise plutôt que dans d’autres régions. Il s’est bien adapté et c’est la bonne surprise, on le voit dans les matches et il est soutenu par ses collègues et ça, c’est bien aussi.

     

    On dit toujours que Bordeaux cherchera un attaquant cet hiver. Quel serait selon vous le type de profil : plus un point d’appui comme Olivier Giroud ou un joueur capable de jouer dans la profondeur, parce qu’on manque de vitesse devant ?

    Je ne sais pas ce qu’il faut pour chercher un attaquant qui marque des buts… Là, on a plusieurs bons attaquants qui font que l’on est la 4ème attaque du championnat. Si c’est pour aller chercher un joueur qui va proposer la même chose que ce que l’on a déjà, il n’y a pas vraiment d’intérêt. Je pense surtout qu’il faut chercher un jeune qui ait un sens du but inné, un vrai buteur, comme on en trouve peu en France, car on a perdu cette vocation à former des buteurs. Donc aller chercher un jeune dans un pays d’où proviennent les meilleurs buteurs aujourd’hui et espérer que ça change petit à petit. Il nous faut ce joueur qui puisse marquer ces 15-20 buts par an : il n’y a que comme ça que l’on peut espérer pour revenir un jour en Champions League.

     

    Il y a des jeunes joueurs que vous avez en tête pour rejoindre les Girondins ?

    Non, parce que ça dépend des contextes. Les Girondins ont un des meilleurs centres de formation de jeunes, mais au final il y en a peu voire aucun qui s’impose et arrive à prendre une place de titulaire aux Girondins. Il n’y en a pas suffisamment dans l’année. Il faut qu’il y ait une vraie politique qui soit développée, dans tous les clubs français, pour former de vrais buteurs. Ca a toujours été le problème des clubs français. C’était, soit vous étiez français et meilleurs buteurs dans un autre pays, soit vous êtes français, formés à l’étranger et vous performez vraiment dans votre rôle de buteur.

     

    Que pensez-vous du repositionnement de François Kamano qui semble enfin être voué au collectif…

    Il n’y avait pas 36 000 solutions de toute façon. François Kamano, il n’avait pas les compétences, il s’est posé beaucoup de questions depuis l’année dernière où il devait partir et qu’au final, ça ne s’est pas fait. Il fallait qu’il se remette en cause avec un nouveau système de jeu, qui lui permettra de reprendre de la valeur. Et qu’il montre qu’il peut apporter plus que ce qu’il a apporté jusque là aux Girondins de Bordeaux…

     

    Paulo Sousa

     

    On sent que le schéma de Paulo Sousa est assimilé par l’effectif, et cela commence à payer. Quel regard portez-vous sur sa stratégie, son dispositif tactique ?

    Pour moi, à partir du moment où on est en haut du classement et qu’on ne l’a pas été depuis un certain temps, ça me plaît. Après, il faut qu’il équilibre, il a eu la période de la saison dernière où il a eu 3-4 mois pour préparer son système de jeu, du fait qu’on n’avait pas la possibilité l’année dernière d’être européen. Donc ça lui a permis de préparer, de savoir quels joueurs ils voulaient garder pour évoluer au sein de cette équipe et aujourd’hui, ça porte ses fruits.

     

    Par contre, face à des équipes comme Paris et Lille, ça n’a pas réellement fonctionné. N’aurait-il pas dû faire autrement, dans un autre système, en s’adaptant à l’adversaire ?

    Ca, c’est toujours facile à dire lorsque le match est fini. D’abord, faut-il avoir les joueurs pour s’adapter à l’adversaire, faut-il avoir les joueurs pour changer de système de jeu tout en étant performant et ça il n’y a que lui et son équipe qui peuvent le savoir en fonction des entraînements, des joueurs qu’il a à disposition pour le match. Après, une fois le match joué, c’est trop tard, mais dans d’autres matches son système de jeu a été performant.

     

    Au rayon des satisfactions en défense, on peut quand même confirmer l’apport incontestable de Laurent Koscielny, qui rassure tout le monde, qui apporte son leadership ; un réel plus pour l’équipe.

    Pour moi, c’est le meilleur transfert des Girondins depuis des années, voire même du championnat de France cette année. On le voit quand il est là et quand il n’est pas là. C’est une belle surprise et c’est quelque chose qui a payé. On se rend compte que c’est réellement un meneur d’hommes et c’est très intéressant pour Bordeaux.

     

    On a également vu un premier coup de gueule en direct de Paulo Sousa, vis-à-vis de Samuel Kalu qui mettait trop longtemps à rentrer face à Nantes, et qui ne démontrait pas une grande motivation. C’est un geste de fort de Paulo Sousa ?

    C’est surtout un geste fort s’il est compris en face. Après, il connait ses joueurs, il connaît les façons de les titiller, il y en a d’autres pour qui vous avez besoin de le dire doucement parce que sinon ils sont mal à l’aise. D’autres qui ont besoin de l’entendre de vive voix. Ça peut être aussi une situation où maintenant tout le monde l’a vu, alors désormais le message et passé et tout le monde le saura à l’avenir. Mais il connait tellement bien ses joueurs depuis maintenant le temps qu’il travaille avec. S’il a fait ça, il doit avoir ses raisons.

     

    Pour le match face à Monaco, deux défenseurs centraux seront suspendus (Jovanovic et Mexer), et Pablo est pour l’instant blessé, bien qu’en phase de reprise. Pourrait-on revoir notamment Paul Baysse, l’un des écartés du début de saison ?

    Il semble que la situation pour lui évolue. C’est vrai que Paul est arrivé à un moment où on attendait beaucoup de lui, comme le messie, et il n’a jamais pu s’imposer. Il va bien falloir à un moment donné que ceux qui l’ont acheté justifient que c’était une bonne opération, parce que pour l’instant ce n’est pas la meilleure acquisition qu’on ait faite. Mais c’est vrai que depuis qu’il est revenu, il n’a pas aussi eu l’occasion de montrer que c’était un bon joueur.

     

    Otavio

     

    Au milieu de terrain, c’est Otávio qui sera suspendu. Ce sera forcément une perte au vu de son début de saison…

    Oui, il a fait un bon début de saison, et c’était aussi la bonne surprise de ce début de saison parce que je me rappelle qu’il a quand même eu des difficultés avant ça. Il avait bien commencé quand il est arrivé, puis il a eu ensuite une baisse de régime assez importante. Effectivement, cette saison, il est devenu un pilier fort de ce milieu de terrain et tant mieux. Maintenant, face à Monaco, il va falloir effectivement qu’on puisse jouer sans lui, parce que dans une saison, on ne peut pas compter que sur un joueur à ce poste dans une équipe…

     

    Cela permettra à Youssef Aït-Bennasser d’être titulaire justement face à son ancien club, Monaco… 

    Ce sera aussi en fonction du choix tactique, et en fonction de l’état de forme de chacun. Quand un joueur est blessé ou suspendu, l’avantage c’est que cela donne la possibilité à quelqu’un de sortir du bois, et de montrer qu’il mérite plus à savoir une place de titulaire. Ce sera toujours des opportunités pour ceux qui ont vraiment envie de réussir.

     

    Quel regard portez-vous sur le conflit qui oppose les Ultramarines à Frédéric Longuépée/Antony Thiodet ? Le groupe de supporters leur reproche de nombreuses choses. Principalement, ils estiment que Frédéric Longuépée n’est pas représentatif à un poste de Président de club, et qu’Antony Thiodet essayerait d’utiliser la théorie de la rareté au niveau des places du Virage Sud, pour pousser les gens à acheter des places plus chères ailleurs.

    Au niveau des compétences de chacun, je laisse le choix aux supporters de donner leur avis. Par contre je ne peux pas imaginer un seul instant qu’un club de football puisse être en conflit avec ses supporters les plus fidèles. Donc je serai toujours avec eux, je les ai toujours soutenus depuis 86. Les supporters, je ne peux pas imaginer un seul instant qu’on ne puisse pas les écouter. Il ne faut pas oublier qu’ils sont là pour ce club, ils sont là dans l’histoire de ce club, ils ont été là à des moments difficiles, et ils étaient là pour faire bouger les choses quand ça n’avançait pas. On ne peut pas les écarter comme ça, ce sont des piliers. Concernant l’histoire des places, c’est la loi du foot, mais il faut à tout prix qu’on empêche ce genre de situation de se mettre en place. Il faut que les supporters, que Monsieur et Madame avec leurs enfants, puissent retourner voir des matches de foot dans un stade qui est magnifique : qu’il y ait du public ! Je suis allé voir l’équipe de France féminine de Corinne Diacre, et de voir 21000 personnes chanter la marseillaise et faire la ola, j’avais l’impression que ce stade ne l’avait jamais connu. Les places étaient à 7€… Je crois qu’au bout d’un moment, il faut faire un choix, et le choix c’est d’avoir des supporters qui payent leurs places à bas prix, pour que tout le monde puisse assister au match. Les Girondins de Bordeaux appartiennent aux supporters, à la ville, à la région, et pas à des propriétaires, en tout cas pas l’image et pas le spectacle.

    Merci Philippe, et à bientôt !