InterviewG4E. Philippe Fargeon : “Paulo Sousa annonce de plus en plus qu’il est déçu. On sait très bien qu’il y a une certaine tension entre des dirigeants et lui”

    Pas de match, mais nous avons tout de même notre attaquant en activité, en la personne de Philippe Fargeon. Notre consultant maison a été questionné ce vendredi sur l’actualité évidemment du Coronavirus, ainsi que sur celle des Girondins de Bordeaux le jour où tout s’arrêta. Dans cet entretien, vous retrouverez l’avis de l’ancien attaquant bordelais sur les derniers changements et discours de Paulo Sousa, la DNCG, ainsi que de nombreux joueurs du FCGB. Nous ne vous en disons pas plus, et nous vous souhaitons une bonne lecture. Merci Philippe. Interview. 

     

    La Ligue a annoncé ce vendredi la suspension de la Ligue 1 jusqu’à nouvel ordre avec effet immédiat, en raison de l’épidémie du Coronavirus. On imagine que cette décision, d’urgence sanitaire, va avoir de nombreux impacts sur le club et le championnat, notamment économiques.

    Oui, comme pour tout le monde, pour le football comme pour tous les sports. Pour ma part, je suis adjoint aux Sports à la ville du Bouscat et on va tout fermer aujourd’hui (vendredi) aussi, de la même manière. On va essayer de trouver des solutions pour éradiquer ce virus. Le Président de la République a annoncé qu’on allait tout fermer donc on va fermer tout en espérant que l’on puisse retrouver une situation normale prochainement.

     

    Initialement, les matches étaient prévus à huis-clos. Nous avons vu certains matches dans d’autres championnats ou en Ligue des Champions se jouer dans des stades vides, privés de leurs supporters. C’est dans ces moments-là que l’on se rend compte de l’importance des supporters pour un club, une équipe, non ?

    C’est clair et même pour les joueurs. Quand vous jouez dans un huis-clos comme ça, vous avez l’impression d’être à l’entraînement. Et encore, il y a plus de monde à l’entraînement. Le but d’un footballeur professionnel c’est avant tout de jouer devant un public, dans un stade plein. C’est que lorsqu’on ne joue pas dans un stade plein, la motivation est différente. Le sentiment de rentrer dans un stade plein, vous avez un pincement au cœur, qui fait que l’adrénaline monte, c’est très agréable. C’est ce qui fait que l’on aime ce sport. Et quand vous rentrez et qu’il n’y a personne, ce n’est pas la même chose. La concentration et la motivation sont différentes.

     

    Quels impacts sur le mental des joueurs peut avoir cette suspension de championnat ? Comment réussir à maintenir un groupe engagé, motivé, quand on ne sait pas encore quand reprendra le championnat ?

    C’est difficile à gérer mais c’est pour tout le monde pareil. On va avoir les mêmes problèmes que les autres, sachant que certains ont des échéances très importantes pour la Coupe d’Europe par exemple. C’est une période qui est difficile à passer pour tout le monde. De toute façon, on est tous dans le même panier, tous au même niveau.

     

    Depuis début Février, mis à part une victoire à Metz et une défaite au Parc des Princes, les Girondins ont enchaîné 5 matches nuls, contre des équipes aux niveaux différents (Marseille, Brest, Dijon, Nice, Saint Etienne). L’équipe avance au ralenti actuellement.

    Oui, elle avance au ralenti en cette période. On a des joueurs qui sont un peu moins en forme ces temps-ci, cela veut dire que c’est assez fragile, on le sait. Ils sont en attente d’un bon résultat, sachant que dans ce championnat, d’une journée à l’autre, on peut se retrouver 6ème ou 14ème. C’est surtout par rapport à ça qu’il faut se rendre compte qu’effectivement, perdre, ce n’est pas bien, mais que prendre des points c’est ce qu’il faut faire.

     

    Paulo Sousa

     

    Paulo Sousa était parti pour instaurer une philosophie et un système de jeu, et il a finalement fait évoluer depuis fin janvier ses joueurs vers un 4-2-3-1 fixe. Est-ce qu’il a pris conscience qu’il n’avait pas les joueurs dans l’effectif pour faire ce qu’il voulait, et que le championnat de France exige des résultats ?

    C’est possible, ça dépend avant tout des joueurs que l’on a en sa possession. Peut-être qu’il espérait avoir des joueurs qui auraient pu apporter un peu plus dans l’équilibre, mais malheureusement, ça ne s’est pas fait. Il faut donc trouver une solution, on ne peut pas se permettre de persévérer si ça ne fonctionne pas. Aujourd’hui, il se rend compte que c’est plus compliqué que prévu, il faut donc modifier le système et je pense que c’est ce qu’il est en train de mettre en place.

     

    La communication de Paulo Sousa a quelque peu évolué ces dernières semaines aussi. L’entraineur portugais n’avait de cesse de protéger ses joueurs, mais là il en pointe plusieurs du doigt en les nommant, et en insistant sur l’attitude. Ce changement de communication est-il révélateur d’un changement de management de son équipe ?

    Exactement. Je pense qu’il peut avoir des déceptions avec certains joueurs en qui il avait confiance et qui n’ont pas apporté ce qu’il attendait. Si à un moment le côté gentil, père de famille, ne fonctionne pas, il faut trouver d’autres solutions. Et une de ces solutions ça peut être de dénoncer un peu des joueurs qu’il considère ne donnant pas assez sur le terrain ou du moins à l’entraînement. Il faut trouver la solution, quelle qu’elle soit. L’entraîneur, il n’a pas le temps, il n’est pas là pour avoir des sentiments. Si jamais, ça ne marche pas d’une certaine manière, il doit en essayer d’autres.

     

    Les rapports de la DNCG sont tombés pour la saison dernière avec 25M€ de pertes. Cette année, la masse salariale a explosé… De plus, King Street, aurait fixé trois objectifs au club bordelais à savoir : baisser la masse salariale, réduire le nombre de joueurs de l’effectif et freiner les investissements. Devons-nous craindre un bilan financier encore plus difficile pour 2019-2020 ?

    Je ne sais pas. Ce que je ne comprends pas c’est que ce n’est pas tout à fait le discours qu’ils avaient tenu en arrivant. Effectivement, quand on prend un club et qu’au bout de la première année, on se rend compte que l’on n’a pas les chiffres escomptés, est-ce que c’est un calcul qui a été mal réalisé par des gens qui auraient dû mieux le faire ? Je ne sais pas mais moi je ne me rappelle pas d’avoir entendu un discours comme ça quand ils sont arrivés. Au bout d’un moment, il faut que ça avance, qu’on ait un peu des résultats. On sait très bien aujourd’hui, qu’à partir du moment où on arrive dans un club et qu’on achète des joueurs et qu’on est en difficulté à se séparer de certains, on a obligatoirement une masse salariale plus importante que celle qu’on avait. Si on n’anticipe pas sur un projet sportif, cela nous met en difficulté derrière.

     

    Paulo Sousa fait également le bilan de son année passée à Bordeaux avec deux mots : « turbulences » et « fierté ». Il parle de promesses non tenues au niveau des investissements… On imagine mal le voir continuer la saison prochaine… On est proches d’un départ selon vous ?

    Vous savez, entre ce qui se fait et ce qui se dit en coulisse, on ne sait pas ! Maintenant, effectivement, il annonce de plus en plus qu’il est déçu. On sait très bien qu’il y a une certaine tension entre des dirigeants et lui. On a fixé des objectifs et je ne pense pas qu’il s’attendait qu’au bout d’un an, on allait lui dire qu’il faut baisser la masse salariale. Il pensait peut-être qu’on allait lui dire que ce n’était pas grave pour cette année, on va renflouer encore et on aura une équipe compétitive. Maintenant, le discours n’est pas le même. Connaissant le personnage tel qu’il est, c’est quelqu’un qui n’a pas de sentiments à avoir par rapport à des promesses qui ne sont pas tenues. Il est capable de dire « Au revoir, merci ». Ça reste son choix, bien évidemment. On sent qu’il est à la limite de la rupture. Les résultats, pour l’instant, et avec tout ce qui se passe, c’est un peu compliqué.

     

    En cas de départ, on commencerait tout, avec un nouvel entraîneur… Bref, on a l’impression que l’histoire se répète aux Girondins…

    Bien sûr, mais le problème est que si vous faites venir quelqu’un et lui promettant des choses que vous ne tenez pas, ça sera toujours comme ça. A un moment donné, il faut toujours avoir le discours juste. Je veux bien qu’on montre les yeux doux parce qu’on veut racheter un club et qu’on veut montrer qu’on est capable de le faire, mais il faut que le discours corresponde à ce que l’on peut faire derrière. Sinon, autrement, ça sera toujours comme ça. Mieux vaut peut-être dire que l’on ne va pas dépenser plus sinon on va être en difficulté, et on sait où on va et à ce moment-là on sait qu’il va y avoir des périodes où il va falloir plus travailler, s’appuyer sur les jeunes. Et donc essayer de faire sortir les jeunes pour les vendre. Vendre un jeune au bout d’un an rapporte moins que si on arrive à le garder pendant trois ans. C’est une politique à avoir, ce n’est pas celle qui a l’air de se mettre en place. Après, je ne suis pas dans le club, je vois simplement que ce n’est pas tout à fait ce qu’on nous avait dit quand ils sont arrivés.

     

    Pablo Castro
    (Photo by Baptiste Fernandez/Icon Sport)

     

    Faisons un point sur les joueurs maintenant. Pablo s’est gravement blessé au genou face à Nice et sera éloigné des terrains pour 7-9 mois. Un gros coup dur pour la stabilité de la défense et pour lui également.

    C’est compliqué. C’est une blessure qui est toujours très compliquée à soigner. Elle se soigne mais elle demande du temps. On voit qu’on a des difficultés derrière aussi. Parce que même s’il était un peu hors forme ces derniers temps, ça donne une solution en moins à l’entraîneur. Il a bien commencé la saison, puis ça a été un peu plus difficile et il se blesse maintenant. Ça va être un peu plus difficile pour lui et pour l’équipe.

     

    Ces derniers matchs, nous avons eu l’occasion de voir Ruben Pardo jouer. Que pensez-vous de son jeu et sa place dans l’équipe ?

    C’est bien. Chaque fois que l’on a des joueurs, nouveaux arrivants, c’est toujours une bonne chose. Il y en a qui s’adaptent plus rapidement que d’autres, mais ça donne toujours une possibilité supplémentaire pour l’entraîneur. Après, il faut savoir s’il l’a fait venir et voir comment l’utiliser dans les meilleurs conditions. Aujourd’hui, ça a l’air de bien se passer, il faut lui laisser un peu de temps. On ne peut pas toujours arriver et être au top dans la semaine ou le mois de l’arrivée, il y en a qui mettent un peu plus de temps. Nicolas De Préville, il a mis plus de temps que prévu, d’autres se sont imposés plus rapidement. Il faut laisser du temps au temps mais pour l’instant, ça a l’air de plutôt bien se passer.

     

    On a également vu Toma Basic prendre plus confiance en lui et être décisif. Que pensez-vous de lui ?

    La même chose, c’est un joueur qui s’adapte et c’est bien. On a besoin de talents qui sortent. Quand une équipe est en difficulté, c’est beaucoup plus difficile de sortir du lot. Donc des joueurs dans une équipe qui est en difficulté et qui a du mal à avoir des résultats, avoir des joueurs comme ça, c’est toujours agréable parce que ça prouve qu’on pourra compter sur eux, dans les moments meilleurs. Tout joueur qui est dans la situation un peu délicate du club se met en avant de par ses performances, c’est toujours bénéfique pour l’équipe.

     

    Josh Maja
    (Photo by Baptiste Fernandez/Icon Sport)

     

    Josh Maja, marque presque à chaque fois qu’il est titulaire, mais Paulo Sousa explique que cela ne suffit pas, car il faudrait que Bordeaux soit plus souvent dans les 30 derniers mètres pour avoir besoin de lui en tant que titulaire. Et même lorsque Jimmy Briand est blessé, il met d’autres joueurs. Est-ce qu’il peut comprendre ça, Josh Maja ?

    Ce n’est pas facile à comprendre. Bien évidemment, quand on est joueurs et qu’on marque des buts et qu’on sort, on ne peut pas comprendre. Parce qu’on pense que ceux qui étaient sur le terrain avant nous et qui n’ont pas marqué et que vous, vous rentrez et vous marquez, vous avez ce sentiment d’injustice. Après, dans un cas comme ça, le choix de l’entraîneur est légitime, puisque c’est lui qui décide. Tout simplement, je pense et j’espère qu’il a un discours bien pesé. Il faut prendre le temps de parler au joueur pour lui expliquer la situation, parce qu’on ne peut pas ignorer quelqu’un qui quand il rentre, marque des buts et le match d’après, le mettre remplaçant. Ce n’est pas possible, il faut discuter avec lui. Un joueur peut comprendre pendant un certain temps, mais pas toute la saison bien évidemment. Il peut comprendre effectivement qu’il est utile quand on domine, quand on a le ballon et un peu moins quand on ne l’a pas. Il faut vraiment un discours bien tenu et surtout juste. Il ne faut pas avoir des paroles en l’air et dire la vérité. C’est beaucoup plus facile à accepter.

     

    On parle d’une prolongation prochaine pour Nicolas De Préville, qui est l’une des satisfactions de cette saison, du moins l’un des joueurs les plus réguliers. Qu’en pensez-vous ?

    Oui, c’est ce qu’on disait, on l’a attendu un peu comme le messie quand il est arrivé. Il a eu beaucoup de difficultés à s’imposer, peut-être que le poids était un peu trop lourd pour ses épaules. Là, il est plus libéré et il apporte beaucoup. C’est un joueur qui peut jouer à plusieurs postes. C’est un gros avantage pour un entraîneur car il peut le faire jouer en 9, en relais, même en 8. Il peut jouer un peu partout du côté offensif, donc c’est très intéressant pour un entraîneur car il peut être un bouchon dans le sens où il s’adapte à tous les postes donc on peut compter sur lui. A l’inverse, effectivement, c’est peut-être pour ça qu’il ne s’est pas imposé dès le départ, c’est qu’il n’est pas attitré à un poste précis. Donc en voulant le mettre partout, on peut avoir sur tous les postes des joueurs aussi forts que lui. Alors que s’il avait été fort à un seul poste, il aurait joué tout le temps. Mais aujourd’hui, c’est vrai qu’il apporte, qu’il provoque. Il fait un bon travail défensif aussi comme il l’a toujours fait, mais on le voit encore un peu plus. En tout cas, il est plus pertinent dans son travail et ça plaît à l’équipe. Et quand ça plaît à l’équipe, c’est beaucoup plus facile de jouer avec quelqu’un qui plait et aujourd’hui c’est le cas de Nicolas.

    Merci Philippe !