InterviewG4E. Dave Appadoo : « Les Girondins devraient au moins disputer chaque année le podium. C’est un énorme regret car ça devrait être un top club »

    Travaillant pour et sur de nombreux médias, Dave Appadoo est surtout connu pour ce qui nous concerne sur France Football ou La Chaine L’Equipe. Si lorsque nous l’avons contacté il prit le soin de nous prévenir qu’il n’était peut-être pas le journaliste le plus adéquat pour traiter des Girondins de Bordeaux, nous n’avions aucun doute de notre côté. En effet, Dave Appadoo a toujours eu un regard plutôt précis sur le club au scapulaire, et souvent juste également, faisant partie des premiers consultants/journalistes à prévenir des dangers du fonds d’investissement, tout en constatant une opacité dans le projet : ces éléments se vérifient aujourd’hui. Interview. 

     

    Pour commencer, comment se passe pour vous ce confinement ?

    Personnellement, ce confinement se passe plutôt bien. Je vis dans de bonnes conditions, j’ai un extérieur, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Il y en a qui sont dans des espaces plus réduits, des appartements. En plus, il faut beau, ce qui amène une lumière qui n’est pas désagréable, donc pour l’instant, ça va. Il y a forcément des aléas mais face aux enjeux, il faut savoir faire l’effort.

     

    Le monde du football va être fortement impacté par cette crise. Plusieurs scénarios sont imaginés et les groupes ultras français ont également fait un communiqué pour s’exprimer à ce sujet. Est-ce que vous, vous avez un avis sur un scénario de reprise de la Ligue 1 ?

    Ce qui est très compliqué, c’est que les vérités d’aujourd’hui ne sont pas les vérités de demain. Je me souviens, par exemple, au début de la crise, le président Kita s’était prononcé assez vite pour l’interruption du championnat, on lui avait volé dans les plumes. Et il se trouve que deux jours après, pas plus longtemps, la plupart des présidents des clubs le rejoignaient et le Président Macron décrétait le confinement. Je suis donc extrêmement prudent sur les scénarii, les prévisions car nous sommes face à quelque chose que nous ne connaissons pas. Forcément, personne n’a de modèle sur lequel s’appuyer en disant que c’est déjà arrivé et il faut procéder ainsi. Pour le coup, on navigue à vue. Nous avons régulièrement fait des débats dans l’Equipe du soir, sur la position très ferme de l’UEFA qui a menacé les championnats qui n’iraient pas jusqu’au bout. Et maintenant, on voit finalement que l’UEFA réfléchit à l’idée que des championnats puissent ne pas aller au bout alors que c’était une idée qu’ils avaient réfuté, menace à l’appui, il y a quelque temps. Je pense donc que face à l’évolution de tout ça, il faut garder énormément de prudence. La priorité, c’est la santé. Vraiment. Je comprends les enjeux économiques et la situation des clubs, ligues et instances qui essaient de voir comment essayer de sauver ce qui peut l’être. Mais le fait est qu’on ne peut pas prendre de risques, encore une fois, face à un problème que l’on n’a jamais connu.

     

    Quelle image avez-vous des Girondins de Bordeaux de manière générale ?

    Je pense que ça doit être une expression qui a été utilisée assez souvent : c’est la « belle endormie » du foot français. On a affaire à un club qui fait partie du haut patrimoine du football français, qui a des titres, qui a vécu de grandes épopées et qui a connu des joueurs considérés comme les meilleurs de l’histoire du foot français. Avec tout en haut, Alain Giresse. Je trouve que depuis des années, il y a une espèce de somnolence, d’indifférence par rapport à ce qui se passe chez les Girondins. C’est un club qui devrait être au-delà de la 5ème place tous les ans. Les mauvaises années, ça serait 5ème et les bonnes années, ça devrait jouer plus haut, même si le PSG est hors-sol. Ils devraient au moins disputer chaque année le podium. Et là, ils ne le disputent plus mais ils le font dans une indifférence qui me sidère. Pour moi, c’est un énorme regret car ça devrait être un top club et surtout un club qui ne peut pas te laisser indifférent.

     

    Justement, avec cette expression de la « belle endormie », on parle également du « Club Med ». Tout le monde met en avant que Bordeaux se trouve dans une belle région où il fait bon vivre. Est-ce que c’est vraiment dû seulement au charme de la région ou il existe d’autres paramètres qui entrent en jeu comme le fonctionnement du club, par exemple ?

    J’ai l’impression qu’il y a une espèce de fatalité qui s’est installée. Quand il y a de bonnes séquences, et cela arrive que Bordeaux arrive à fureter des places européennes, à un moment ou un autre de la saison, on a l’impression que cela devient du bonus. « Ah, Bordeaux est là ! Pourquoi pas ! ». Et tout d’un coup, Bordeaux se transforme en bonne surprise, alors que ce type de réaction devrait être réservé à des clubs comme Rennes, par exemple, il y a un an ou deux. Rennes, c’était un club qui était géré à la façon d’un bon père de famille, avec de temps en temps une incursion autour de la 5ème ou 6ème place et on se demandait si cette année-là n’était pas leur année. Et c’est là que je trouve que Rennes est un bon parallèle, parce qu’autant Rennes laissait tout le monde dans l’indifférence et depuis un peu plus d’un an, Rennes joue un rôle, incarne quelque chose. On a envie de voir Rennes, où va aller leur projet, leur recrutement parfois audacieux. Ils animent quelque chose, ils écrivent une histoire. Je trouve que Bordeaux a repris le flambeau de Rennes, ces dernières années, c’est-à-dire que cela intéresse peu de monde, si ce n’est les supporters girondins, pour qui c’est vraiment leurs vies. Mais cela n’excite pas au-delà des frontières de la Gironde et je trouve cela regrettable.

     

    Il y a bientôt deux ans, Bordeaux a été racheté par un fonds d’investissement américain. Que vous inspirent ces rachats de clubs de Ligue 1 et notamment celui des Girondins de Bordeaux ?

    Je suis toujours très méfiant par rapport aux fonds d’investissement. Nous savons bien que leur fonctionnement est d’avoir des rentabilités extrêmement rapides et cela, pas vraiment via le football lui-même. Il y a parfois des opérations immobilières, des investissements parallèles. On se demande parfois quelle place prend le sportif dans le projet. Hors, quand on est fan, supporter, observateur, on imagine toujours, de manière benoîte, que quand on rachète un club de foot, c’est pour faire du foot. C’est pour promouvoir l’équipe, la mettre la plus haut possible. Et ce n’est pas que le lot de Bordeaux, nous avons vu ça dans plusieurs clubs européens : avec ce type d’investissement, on se rend compte que ce sont des opérations financières, avec des enjeux qui se jouent ailleurs que sur rectangle vert. On accueille toujours cela avec beaucoup de scepticisme et vigilance.

     

    A Bordeaux, cela fait plus d’un an que la vente a eu lieu. Le projet est de moins en moins clair, notamment depuis le rachat des parts de GACP. Il y a des dettes qui s’accumulent également. A quoi tout cela est dû ? Est-ce parce que le projet est trop axé sur l’économie, est-ce une mauvaise gestion ou un club vendu aux mauvaises personnes ?

    Ils ont vendu aux mauvaises personnes si on se place au niveau sportif. Et pour l’instant, on le voit  bien, même l’entraîneur a tapé sur la table en disant que si on voulait que l’équipe évolue dans le bon sens, on ne pouvait pas la dépouiller comme ça. Car ce sont les joueurs qui font le jeu et les résultats. Maintenant, de leur point de vue, ils doivent probablement y trouver un intérêt. Lequel, je ne sais pas. A ce niveau, nous sommes à un niveau extrêmement subtil, extrêmement financier. On a quand même l’impression que ce genre d’investissement n’est jamais axé sur le sportif. Je me mets à la place d’un supporter girondin, qui lui vit sa passion du club selon ce qui se passe sur le rectangle vert. Ce qu’il veut c’est voir une équipe qui joue, voir de bons joueurs arriver, voir des joueurs évoluer… voir quelque chose d’ambitieux qui se traduit sportivement. Ils ne voient pas ça. Forcément, c’est très décevant et inquiétant. Et les dernières tendances avant cette crise sanitaire n’indiquaient pas que ce fonds d’investissement allait investir de manière massive.

    Pour donner un exemple : Nice a été racheté l’été dernier. On a l’espoir que la politique de recrutement, l’ambition, la politique du club aille crescendo. Bien évidemment, en arrivant l’été dernier, ils n’allaient pas mettre cent briques sur la table, de suite. Mais on voit qu’ils ont recruté de bons joueurs et qu’ils ont l’idée d’améliorer le niveau de recrutement. En tout cas, le projet peut se deviner. A Bordeaux, on ne le devine pas, surtout d’un point de vue sportif.

     

    En ce sens, les principales revendications des supporters bordelais et des Ultras, c’est que l’actionnaire reste muet et ne communique pas. Les Ultras des Girondins sont en conflit avec le Président Frédéric Longuépée, expliquant qu’ils n’ont pas du tout la même vision des choses, que le club perd son âme, ses valeurs. Vous comprenez ce désaccord de la part des supporters bordelais ?

    Evidemment ! Tellement ! Les propriétaires, les dirigeants passent, les supporters restent. Eux, c’est leurs vies ! Il y a une espèce de candeur, les supporters ont toujours cet espoir, cette attente et je ne dis pas ça de façon cynique. Quand cette attente n’est pas satisfaite, cela devient une déception profonde qui peut se transformer en colère, comme ça a déjà pu être le cas. Cette situation n’est pas propre à Bordeaux, c’est un cas d’école. On sent que, parfois, il y a un traitement des supporters, soit par le mépris, soit par l’indifférence mais jamais une prise en considération de leurs attentes, comme si l’importance qu’a les Girondins dans le cœur et la vie des supporters bordelais était quelque chose de risible pour certains dirigeants. Comme s’ils traitaient cela avec un regard en biais, en s’étonnant que les supporters attendent encore des choses mais qu’ils feraient mieux d’arrêter de leur casser les pieds. Je ne sais pas si ce sentiment est réel mais je pense que c’est ce que l’on peut ressentir lorsque l’on est un supporter déçu, surtout quand on a un interlocuteur dont on a l’impression qu’il ne vous prend pas en considération. Cela peut générer beaucoup de frustration qui peut amener de la colère.

     

    Les problèmes de structuration à Bordeaux, ça ne date pas de hier. A l’époque de Gustavo Poyet, vous disiez souvent que Bordeaux avait parfois un fonctionnement amateur, que le recrutement était fait entre copains… Est-ce que vous notez des changements depuis cette époque ou le travail à accomplir est encore trop grand pour que Bordeaux devienne le club solide qu’il devrait être ?

    Si je dois prendre un exemple en termes de politique de recrutement, je prendrais Lille. Lille était un club qui n’avait pas cette qualité de scouting, comme celle que l’on a pu connaître à Monaco. Et ce qu’ils ont fait, c’est investir sur une personne avec un réseau, qui s’appelle Luis Campos. Un réseau, ça se construit, je ne dis pas qu’il y a des Campos à tous les coins de rue, mais c’est un champ d’investissement qu’il faut avoir, d’autant plus qu’il existe des réseaux de recrutement pour toutes les bourses. Evidemment, le marché du PSG est différent de celui de Lille mais il existe également des structures de recrutement pour des marchés en dessous. Si c’est le cas de Bordeaux, pourquoi pas ! Mais pour le coup, tout en gardant une réserve, je me demande si cette méthode de travail, patiente, en faisant un maillage du territoire, avec une cellule de recrutement en construction – parce que ça prend du temps – je veux bien leur laisser le bénéfice du doute, mais pour l’instant, sur le terrain, on ne le voit pas. On n’a pas vu ce réseau amener au club des pépites, des joueurs de demain. Je ne pense pas que ce soit un travail qui soit hors de portée de Bordeaux mais encore une fois, je pose la question : est-ce leur projet ? Pour le moment, je ne le sais pas.

     

    En termes de construction de projet, Paulo Sousa est arrivé sous l’ère des propriétaires américains. Il a une belle image mais n’a pas encore les résultats escomptés. Il est arrivé en présentant une philosophie de jeu, pour construire un projet sur du long terme mais il a finalement dû s’adapter à la Ligue 1 en revenant à un schéma basique. Est-ce un aveu de faiblesse de sa part ou il n’a pas eu le choix face au décalage du projet que lui avaient proposé les dirigeants ?

    J’ai beaucoup observé son travail depuis son arrivée, j’ai en d’ailleurs fait un papier. De l’aveu de nombreux de ses confrères, des entraîneurs devenus consultants, c’est un des entraîneurs sur la saison qui a proposé les choses les plus intéressantes. Effectivement, on a l’impression qu’il a mis en place une méthode, avec sa structure de jeu évolutive qui est bien pensée. Mais on l’impression que cette méthode qui a été faite en prévision de joueurs qui vont venir renforcer l’effectif et être adapté à cette méthode, cela crée un décalage. On a l’impression qu’il a mis la machine sur des bons rails, pour montrer comment faire et il a demandé à ce qu’on lui amène au fur et à mesure des joueurs qui vont s’inscrire dans cet axe-là. C’est là que ça a coincé car les renforts n’ont jamais été là. Il y a eu une période où ça a commencé à prendre, sur le fond de jeu et je me suis dit qu’il était en train de trouver le truc. A ce moment-là, si jamais on lui met les joueurs qui font la différence, ça pouvait commencer à devenir très intéressant. Après, je pense qu’il a dû s’adapter car il sait que c’est compliqué pour un entraîneur de survivre à 10 matches sans victoire. Il a peut-être été chercher quelque chose de plus concret, de plus pragmatique, ce que je déteste mais je trouve qu’il fait partie des entraîneurs les plus intéressants que j’ai vus en Ligue 1.

     

    Bordeaux, cette saison, a oscillé entre la 4ème et la 13ème place au classement. Est-ce que cette irrégularité est dû à un effectif qui a besoin d’être renforcé et Paulo Sousa a été le premier à le signaler au moment du mercato, ou est-ce dû à un manque de caractère, de leaders pour mobiliser le groupe ?

    En termes de leader, Laurent Koscielny n’est quand même pas le dernier, même si ce n’est pas le Koscielny d’Arsenal ou de l’équipe de France. Mais je pense qu’en termes de personnalité, c’est quelqu’un qui apporte quelque chose. Je ne peux pas croire que Koscielny dans le groupe puisse véhiculer de l’indifférence, au contraire, je pense qu’il apporte une certaine exigence. Maintenant, il y a une réalité, c’est la qualité des joueurs. J’ai été marqué par quelque chose quand je regardais les matches de Bordeaux : j’ai été marqué par la méthode en place, très appliquée, ils récitent un plan de jeu mais qui pour être validé, doit avoir une qualité supérieure devant. Il faut des joueurs qui provoquent le déséquilibre, qui marquent sur une demi-occasion. En Ligue 1, dans un championnat qui est dense, il faut ça. J’ai souvent l’impression que Bordeaux récite un football très appliqué, à la lettre des consignes du coach mais que pour le faire basculer du côté de la gagne, il manque de la qualité. Il y a des bons joueurs, comme Nicolas De Préville, Jimmy Briand, Josh Maja… mais si on veut taper plus haut que la 7ème place, s’approcher du top 4, il faut des joueurs qui permettent de basculer vers l’avant. L’attente de Paulo Sousa se trouve là. Je pense que son équipe répond à ses attentes mais à un moment, il faut la valider et ça passe par le talent, ce qu’il manque actuellement à Bordeaux.

     

    Que pensez-vous de l’effectif bordelais cette saison ? Et à quelle place au classement peut prétendre Bordeaux avec ce groupe ?

    Bordeaux a une limite et une chance. La limite, c’est que c’est une équipe pas mal mais qui manque de talent supérieur devant et sur les côtés, avec des joueurs qui provoquent, jouent la différence. C’est ce que vous pouviez avoir avec Malcom par exemple ou même Adam Ounas. Il manque ce type de joueurs. Maintenant, la chance de Bordeaux dans ce championnat, s’il redémarre bien évidemment, c’est que le championnat est tellement dense, qu’au gré d’une victoire ou une défaite, on passe d’un côté ou de l’autre de la barrière. Il suffirait que Bordeaux ait 2-3 bons résultats au bon moment, pas plus, et on se retrouve avec une équipe Bordeaux à la 5ème place ou à la 13ème, s’ils enchaînent 3 mauvais résultats. Ce championnat autorise des choses pour peu que l’on ait une bonne série au bon moment. Après, je trouve l’équipe pas mal, mais il leur manque ce talent supérieur.

     

    Est-ce qu’il y a des joueurs qui vous plaisent particulièrement ?

    Un joueur comme Nicolas De Préville, je l’ai longtemps trouvé propre mais sans réelle aspérité. Je trouve que par séquence, il impulse quelque chose, il a une vraie qualité. C’est un joueur dont je finis par penser que bien entouré, ça pourrait être mieux qu’un bon joueur de Ligue 1. Ca pourrait être un très bon joueur de Ligue 1. En plus, il est esthétique, il est beau à voir, ses courses sont belles, ses prises de balle… tout est propre. Je pense qu’il ne manque pas grand-chose pour devenir mieux qu’un bon joueur de Ligue 1.

     

    Pour finir sur une bonne note, quels sont vos souvenirs marquants des Girondins de Bordeaux ?

    Je suis de 1975 donc je garde un grand souvenir du Bordeaux de la première partie des années 1980, avec l’épopée en Coupe des Clubs Champions. Il y a deux joueurs qui étaient pour moi hors normes, mais c’est dû aussi à leurs passages en équipe de France, c’est Alain Giresse et Jean Tigana. J’ai toujours préféré Alain Giresse à Michel Platini, je préférais son jeu. Et Jean Tigana, ça a été extraordinaire. Pour dire à tel point, il était fort, il faut se rappeler que lors d’un quart de finale contre le PSV Eindhoven, ils avaient mis un contrat sur lui en 1988, en le blessant sciemment tellement il était fort. Pour moi, c’était ça le grand Bordeaux. Après bien sûr, il y a eu les années Zidane, Micoud et Gourcuff en 2009. Mais pour moi, c’est Giresse, Tigana et toute la bande.

    Merci beaucoup Dave, à bientôt !