InterviewG4E. Robin Maulun : “On se dit que tout ce qu’on a fait, ça sert à rien ! C’est ça le plus dur. Ce n’est pas normal !”

    (Photo by VI Images via Getty Images)

    Pour différentes raisons et surtout contre toute attente, Robin Maulun n’a pas pu signer professionnel avec son club de cœur et formateur, les Girondins de Bordeaux. Alors, il repartit du côté de Trélissac, en amateur, pour rebondir, ce qu’il fit brillamment puisqu’il atterrit en 2018 au SC Cambuur-Leeuwarden, club de seconde division aux Pays-Bas. Auteur d’une excellente saison 2018-2019 avec 8 buts et 8 passes décisives, Robin était dans la continuité cette saison 2019-2020 au niveau des chiffres, mais surtout du classement de son équipe, incontestable leader depuis de nombreuses journées. Seulement, aux Pays-Bas, les championnats ont été stoppés, et malgré un vote de toutes les équipes concernant les montées et les descentes, la montée de Cambuur serait compromise si les choses en restaient là. Une véritable injustice au vu de la saison réalisée par le club de l’ancien bordelais et de tous les efforts consentis pendant de longs mois. Interview.

     

    Comment se passe pour toi le confinement aux Pays-Bas ?

    Je suis confiné, en quelque sorte, parce qu’ici le confinement n’est pas aussi strict qu’en France. C’est un “confinement intelligent“, on est censés rester à la maison, mais les magasins sont encore ouverts, tout est encore ouvert à part les bars et les restaurants. Ils avaient parlé au début de la volonté d’avoir l’immunité collective, on va voir comment ça se passe. Il y a aussi beaucoup moins de cas. Je suis aussi pour ma part au Nord des Pays-Bas donc c’est un peu plus isolé. J’avais le choix de rentrer en France, mais j’ai préféré rester ici.

     

    Tu es premier de la deuxième division des Pays-Bas depuis le début de la saison, et les championnats ont été stoppés par la Fédération. Et vraisemblablement, il n’y aurait aucune montée ou descente cette saison. On imagine que ça doit être révoltant ?

    Aux Pays-Bas, ils ont décidé d’annuler la saison. Mais quand on se retrouve dans notre situation, celle d’avoir été premiers du championnat 26 journées sur 29, c’est… Pour nous c’est inacceptable. Ce n’est pas possible de tout annuler comme ça. C’est la décision qu’ils ont prise, mais les premier et deuxième de seconde division, donc nous le SC Cambuur-Leeuwarden et De Graafschap, vont s’allier pour aller en justice contre cette décision. Il y a aussi le FC Utrecht qui est sixième de première division qui va également en justice. On ne comprend pas la décision de la Ligue. La journée où ils ont pris cette décision, ils ont appelé tous les clubs en vidéoconférence pour faire un vote. Tous les clubs ont donc voté, 16 clubs ont voté pour les montées et descentes, 9 ont voté contre, et 9 ont voté blanc. Et des suites de ce vote, la Ligue a pris la décision d’être contre, donc ils n’ont pas respecté le vote. Le pire, c’est qu’ils ont pris ces votes blancs et ils les ont mis avec les votes contre, faisant au final 18-16, mais dans quel vote tu vois ça ?! Ce n’est pas normal.

     

    Cela doit être aussi quelque chose de difficilement compréhensible pour ton club qui a beaucoup investi pour jouer la montée…

    Pour tout le monde, pour le staff, les joueurs, les spectateurs, c’est dur ! Le club a investi, a mis de l’argent, a fait venir des joueurs ; ils ont investi leur propre argent et ils ont payé les joueurs. Nous, de notre côté, on a fait un travail acharné pendant dix mois, ce n’est pas rien ! Tu bosses pendant un an, et quelqu’un te dit que ce que tu as fait pendant un an, ça ne sert à rien ! Les spectateurs aussi, dans ces matches, il y a eu des émotions de vécues. Il y a des matches où ça a été très compliqué de gagner, où on a gagné 1-0 à la dernière minute… Et au final, on se dit que tout ce qu’on a fait, ça sert à rien ! C’est ça le plus dur, de se dire que les dix derniers mois de ma vie… Ces dix derniers mois, je ne les ai consacrés qu’au foot ! Et la Fédé te dit que ce que tu as fait pendant dix mois, ça ne sert à rien ! Peu importe d’être premier, troisième, cinquième, dixième, dernier… Le problème c’est qu’on te dise que ce que tu as fait, ça ne sert à rien ! C’est vraiment ça le plus dur.

     

    D’autant qu’à titre personnel, tu réalisé une seconde saison pleine…

    Oui, j’en étais à quatre buts et sept passes décisives. J’ai fait une première saison qui a été très bonne (8 buts, 8 passes décisives) et une seconde saison qui était encore très bonne. En plus, on était premiers, c’était dans la continuité de ce que j’étais en train de faire. D’avoir cette décision prise, ça annule tout. Cette montée, on commençait à la voir. Cela faisait 26 journées qu’on était premiers. On avait un calendrier qui était abordable… Selon les statistiques, on a 99.5% de chance de monter. C’est comme si tu dis à Liverpool qu’on annule leur saison, et que tout ce qu’ils ont fait, ça ne sert à rien. Il n’y avait aucune ombre au tableau, ça ne se joue pas sur un ou deux points. On a fait ce qu’on avait à faire.

     

    Pour toi, ça t’aurait permis d’accéder à une première division et tant que professionnel. Ça aurait une belle revanche mais aussi une belle récompense.

    Pour moi, ça aurait été vraiment bien d‘accéder à la première division, c’est mon objectif depuis le début. De voir qu’on allait le faire… C’était sur le point de se réaliser, et là, la déception est encore plus grande. Là, on est dans un cas extrême, je ne sais pas si la justice agit vite aux Pays-Bas mais à mon avis, la décision se prendra avant la prochaine saison. Il ne s’agit pas que de Cambuur, il y a d’autres clubs, il y a aussi beaucoup d’argent au jeu, donc à mon avis la décision se prendra assez rapidement.

     

    On se souvient à l’époque, tout le monde te voyait professionnel à Bordeaux. On avait fait également des sondages au niveau des supporters, tout le monde te voyait pro dans ton club formateur. Tu as souvent dit que ta blessure à l’époque tombait au mauvais moment, mais pour nous il y a d’autres raisons… Pour nous, il y aurait un problème de personne, le changement d’entraîneur, et ta taille…

    (sourire) Je pense que les pépins physiques, ce n’est pas seulement ce qui a été contre le fait que je passe professionnel ou pas. Il y a mon gabarit qui n’est pas forcément le “standard”, ce qu’on recherche en France. Il y a eu aussi le changement de coach. J’avais fait tous mes matches amicaux, toute la préparation, tous les entraînements avec Willy Sagnol. Je pense que j’avais marqué beaucoup de points, et tout se passait très bien avec lui. Pendant ma blessure, il y a eu le changement de coach et ça a aussi changé un peu la donne. Enfin, il y avait beaucoup de joueurs à cette époque-là à mon poste, qui ne jouaient pas. Je pense à Mauro Arambarri, Abdou Traoré, Younes Kaabouni, qui étaient déjà ici, mais qui ne jouaient pas. Il n’y a pas que les blessures, il y a eu beaucoup d’autres raisons qui ont fait, je pense, que ça n’a pas joué en ma faveur. Mais voilà, c’est le football.

     

    Oui, aujourd’hui tu arrives à t’en sortir, et c’est assez gratifiant de repasser en amateur, pour rebondir ensuite en professionnel. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, les contrats pros sont distribués facilement… Même si tu es blessé, on te connait depuis des années…

    Il faut savoir que je suis resté un an et demi avec les professionnels à l’entrainement, à faire des matches. Maintenant, ils donnent les contrats pros sans que les jeunes montent une seule fois avec les pros. Moi, à l‘époque, j’y étais resté un an et demi, j’avais ma place de parking, j’avais ma place dans le vestiaire, j’avais tout (rires). Donc je veux dire… Il y a un mystère derrière ça.

     

    On signe beaucoup de jeunes à Bordeaux, mais on ne leur fait pas réellement confiance. On est réputés pour avoir un bon centre de formation, mais au final, les jeunes ne jouent que très rarement en équipe première…

    C’est compliqué, oui. Je pense que pour le club, c’est compliqué de faire jouer les jeunes parce que, comme tu l’as dit, ils n’ont pas vraiment confiance en eux. Mais si tu ne donnes pas de temps de jeu aux jeunes, eux-mêmes ne vont pas avoir confiance en eux et ne vont pas progresser. Je pense que si tu fais signer des jeunes, il faut les faire jouer. Il ne faut pas les laisser un an, un an et demi sans les faire jouer, ou les laisser jouer en réserve, c’est compliqué. La réserve, c’est clair, ça n’amène pas rien car il y a quand même la condition physique, mais le football n’est pas du tout le même quand tu passes de la réserve aux pros. Je le vois à Cambuur, quand j’étais en réserve aux Girondins, et que je passe professionnel ici, le football n’est pas du tout le même. La vitesse de jeu n’est pas la même, la qualité des terrains n’est pas la même…  Tout est différent. Ce n’est pratiquement pas le même sport.

     

    Tu as été repositionné en milieu relayeur à Bordeaux, mais tu es plus un numéro 10. Que penses-tu de cette évolution du football, où le numéro 10 semble disparaître ?

    A Cambuur, on joue avec un numéro 6, et deux milieux offensifs, je suis dans ces deux milieux. Pour moi, en tant que pur numéro 10, c’est compliqué d’entendre des choses comme ça, qu’on est en train de perdre les numéros 10. Forcément, quand tu entends numéro 10, ça t’évoque directement les grands noms, les joueurs techniques, Zinedine Zidane… C’est la beauté du football en quelque sorte. Après, le football évolue, on en voit de moins en moins. Mais c’est possible, on en voit encore un peu.

     

    Toi qui as évolué longtemps à Bordeaux, tu en gardes certainement une image familiale. Quel regard portes-tu sur ce club qui, pour les supporters, perd un peu son âme ?

    Le club a changé oui, ce n’est pas le Bordeaux qu’on a connu à l’époque, loin de là. Je suis supporter numéro 1 des Girondins, Bordeaux reste quand même Bordeaux, ça reste un grand club. Je pense que ça peut redevenir ce que c’était. Il faut que les supporters ne lâchent pas, que les dirigeants aussi savent ce qu’ils veulent faire. C’est un peu le flou, ça change. Je n’ai pas trop suivi les dernières années parce que j’étais concentré sur ce que je faisais, mais c’est vrai que de l’extérieur, il y a déjà eu beaucoup de changements d’entraîneurs… C’est un peu flou. Mais Bordeaux reste un très grand club en France, et il faut que les supporters continuent de le soutenir. Un grand club de meurt pas, il faut juste parfois du temps pour qu’il redémarre.

    Merci Robin, et on croise les doigts pour que cette injustice qui te touche soit réparée !