InterviewG4E. Edixon Perea : « Je voulais réussir à Bordeaux, y être important. Jean-Louis Triaud me voyait comme le futur de l’équipe »
Edixon Perea avait suscité énormément d’espoirs à son arrivée en Gironde. Et pour cause, il arriva avec des statistiques intéressantes, un statut d’international colombien à seulement 21 ans, et le surnom de « Pitbull ». Malheureusement, son acclimatation ne se fit pas dans la facilité du fait de son jeune âge, et l’attaquant ne fut pas à la hauteur des attentes des supporters des Girondins de Bordeaux, qui attendaient à ce moment-là, déjà, un remplaçant à l’inégalable Pedro Miguel Pauleta, parti du FCGB deux ans plus tôt. De son arrivée en Gironde, en passant par ce fameux surnom créé de toute pièce par son agent, ou encore le jour où il frôla la mort après une grave infection pulmonaire, Edixon Perea revient sur sa carrière et son aventure aux Girondins de Bordeaux. Interview.
Dans un premier temps, nous aimerions savoir comment ton pays, la Colombie, vit cette crise du Coronavirus. Est-ce que le pays est beaucoup touché ?
Ici, en Colombie, la situation est difficile car il y a beaucoup de cas de Coronavirus. Comme beaucoup de pays en Europe, le gouvernement colombien a mis en place de nombreuses mesures de précaution, comme la quarantaine. Grâce à ça, il y a eu de bons résultats, car si tu restes à la maison, ça limite la propagation du virus. Nous suivons donc toutes les recommandations. Personnellement, je suis à la maison avec ma femme et mes enfants et ça se passe bien pour nous. Mais de façon générale, ça a été un coup très difficile pour le pays, pour l’économie. Il existait beaucoup de choses avant cette crise et une fois que tout cela sera passé, on ne sait pas combien de temps cela va prendre, il va falloir beaucoup de temps pour revenir à la normale. Mais nous savons tous, au niveau mondial, qu’après cette épidémie, le monde ne va pas rester le même. J’essaie d’aider certaines personnes qui rencontrent des difficultés actuellement.
Parlons football maintenant. Est-ce que tu te souviens du moment où tu as appris que les Girondins de Bordeaux étaient intéressés par ta venue ? Et est-ce que tu connaissais Bordeaux avant de venir ?
Je ne connaissais pas beaucoup le club tel quel, j’en avais entendu parler lorsque l’on parlait du championnat français. J’ai su que Bordeaux me suivait par l’intermédiaire de mes agents et qu’ils souhaitaient me recruter. Quand tout cela s’est concrétisé, ça a été quelque de très beau, d’émouvant, parce que cela concrétisait un rêve d’enfant de pouvoir jouer dans le football européen. Il y avait des propositions, comme il y en a souvent, mais la plus concrète était celle de Bordeaux.
Tu arrives à 21 ans, et pour une durée de 4 ans. Comment s’est passée ton acclimatation en France ?
Oui, j’avais 21 ans, j’étais jeune pour faire un premier pas si grand dans ma carrière sportive : arriver en Europe, dans un grand club, qui était compétitif et jouait pour être sur les premières marches du classement. Cela a été dur de m’adapter. La barrière de la langue a été difficile également. Cela a joué sur le fait qu’au niveau du football, cela n’a pas été aussi fluide que j’aurais voulu. Bordeaux m’a fait signer avec l’idée que je sois le futur du club, mais sincèrement, je ne pouvais pas m’adapter à ce que je voulais personnellement.
Quelles différences as-tu remarqué entre la France et la Colombie, que ce soit au niveau du jeu ou dans ta vie quotidienne ?
Au niveau du jeu, le championnat français est fort, physique. Il y a de nombreux chocs alors que le championnat colombien est plus lent, ça joue plus au ballon, il y a des joueurs plus techniques. Cela fait une grande différence. Et d’un point de vue personnel, je devais m’adapter à un nouveau pays, une nouvelle culture, une langue, une alimentation… Quand tu quittes ton pays, il est nécessaire de changer de façon d’agir et s’habituer à la culture française. J’ai pu le faire et j’ai beaucoup aimé avoir l’opportunité de vivre cette expérience.
Quand tu es arrivé avec Bordeaux, nous t’avons découvert avec le surnom « Le Pitbull ». D’où vient ce surnom ?
Cela m’a surpris également quand je suis arrivé à Bordeaux et que l’on m’a appelé « le Pitbull » (rires). Parce que je n’ai jamais eu de surnom quand j’étais en Colombie, donc ça m’a surpris d’entendre les gens m’appeler ainsi. J’ai su ensuite que c’était un surnom que m’avait donné mon agent, qui était en discussion avec le direction sportif du club de l’époque, Charles Camporro. C’était donc plus une idée de mon agent de me surnommer le Pitbull et quand je suis arrivé à Bordeaux, j’ai suivi le mouvement (rires).
Avant d’arriver à Bordeaux, tu avais fait deux belles saisons avec l’Atletico National, en Colombie (38 buts en deux saisons). Deux années avant que tu n’arrives, Pauleta, grand attaquant de Bordeaux quittait le club et les supporters attendaient impatiemment son remplaçant. Il y avait donc une certaine attente lors de ton arrivée. As-tu ressenti cette pression de la part des supporters ?
Non, je n’ai jamais senti de pression de la part du club ou des supporters. Quand je suis arrivé à Bordeaux, je savais qu’un grand joueur était passé, qu’il avait laissé une trace très importante et que c’était Pauleta. Mon problème était d’être arrivé très jeune. J’étais en sélection de Colombie et il fallait que je continue de jouer pour pouvoir être sélectionné dans mon pays. Au fil du temps, cela a été difficile pour moi d’avoir du temps de jeu. Quand tu es jeune, cela devient une mauvaise période, tu commences à cogiter pour trouver un moyen de continuer à jouer pour ton pays. Je me suis un peu découragé et j’ai pris la décision de partir du club. Je me sentais bien là-bas, avec les gens du club, les coéquipiers. J’étais devant avec de grands joueurs, comme Chamakh, Darcheville, Lilian Laslandes. Il me fallait attendre leurs dernières années pour pouvoir espérer jouer et gagner ma place de titulaire. Cela a été difficile de le faire au final.
Tu as marqué 7 buts en 53 matches avec Bordeaux. Tu as dit déjà dit que le fait d’être arrivé si jeune à Bordeaux t’avait sûrement porté préjudice, mais penses-tu que l’entraîneur ne t’a pas donné l’opportunité que tu méritais peut-être ? Avec du recul, quel regard portes-tu sur ton passage en Gironde ?
Je pense que quand tu n’es pas si jeune, tu arrives dans un football si exigeant, dur, difficile comme le football français, si tu veux affronter ce défi, tu dois avoir du temps, de la continuité dans le jeu. Et malheureusement, moi, je ne l’ai pas eu. Je pense que le fait d’être jeune, je devais m’adapter et attendre que mon tour arrive, voire que certains joueurs qui étaient au club depuis un moment quitte le club. Malheureusement, ça n’a pas fonctionné comme je l’aurais voulu. Mais je pense sincèrement que même si tu es jeune, tant que tu as de la continuité dans le jeu, du temps pour le montrer, tu peux avoir l’opportunité d’être important, peu importe où.
A la même période, parallèlement, avec la sélection, tout fonctionnait bien pour toi (9 buts en 25 matches). Comment expliques-tu cette différence de performance ?
J’ai eu la chance de pouvoir jouer avec mon pays, j’avais la confiance de l’entraîneur, qui me connaissait et savait que je pouvais être important pour la sélection. Il m’a donc donné sa confiance pour jouer. Par la suite, je suis allé à Bordeaux où je savais que j’allais devoir passer par une période d’adaptation, pour apprendre la façon de jouer de l’équipe, les idées de l’entraîneur. Et comme je te le disais, j’étais jeune et sûrement pour le club, j’étais considéré comme l’avenir du club. Personnellement, je ne voyais pas ça comme ça, car je savais que rester dans ces conditions ne me permettait de pouvoir jouer pour mon pays. La différence s’est jouée là, puisque dans ton pays, tu as la confiance, la connaissance du jeu, tu sais comment tu peux aider ton équipe, alors que dans le club, tu dois prendre le temps de comprendre ce qui se joue autour de toi.
Tu as déjà évoqué des joueurs rencontrés en Gironde qui t’ont marqué. Est-ce qu’il y en a certains en particulier que tu gardes en souvenir ?
Oui, j’ai une très bonne image des joueurs d’expérience avec qui j’ai pu jouer, comme Lilian Laslandes, qui était un vétéran dans le groupe, mais c’était quelqu’un qui me soutenait beaucoup. J’ai souvent joué avec lui et je sentais qu’il voulait que je fasse les choses bien. Il me soutenait vraiment que je puisse être dans de bonnes conditions face au gardien adverse. Il y eu donc Laslandes, Jemmali, Jurietti, Darcheville, beaucoup de personnes m’ont sincèrement soutenu. J’ai toujours essayé de donner le meilleur mais quand les choses ne se passent pas bien, tu sens que tu déçois au club et aux supporters qui attendent toujours le meilleur de toi. Aujourd’hui, j’ai gardé seulement contact avec Henrique, avec qui j’ai toujours eu une bonne relation.
En 2008, tu pars à Grêmio Porto Alegre, au Brésil. Comment s’est passé ce départ de Bordeaux ? Tu avais ce besoin fort d’avoir du temps de jeu ?
Oui, bien évidemment, j’avais envie de redevenir important, retrouver la continuité que j’avais perdue en France. Mais j’étais triste de partir car je voulais réussir à Bordeaux, y être important. D’autant plus que le président, Jean-Louis Triaud m’a toujours soutenu. Il voulait que je sois à Bordeaux car il me voyait comme le futur de l’équipe. Mais le club comprenait également qu’il fallait que je continue d’avoir du temps de jeu pour pouvoir continuer à progresser. Ca a été vraiment difficile de partir mais j’ai vu par la suite qu’au niveau du football, il y a eu un changement car j’ai repris du temps de jeu, j’ai marqué de nouveau des buts et je suis redevenu important.
Quoi qu’il en soit, tu es, dans nos souvenirs, un joueur étant toujours de bonne humeur, gardant le sourire continuellement. C’est important pour toi d’être ainsi ?
Oui, toujours. Où que j’aille, même si les choses ne se passent pas bien d’un point de vue footballistique, je fais en sorte de l’être dans ma vie personnelle, pour donner une bonne image. Toujours un sourire, de la joie, pour laisser quelque chose de bon quand les gens parlent de toi. Peu importe où je suis allé, on m’a toujours remercié en tant que personne, ils m’ont dit qu’ils me laissaient la porte ouverte. Et c’est quelque chose d’important de laisser cette image, même en dehors du terrain.
Par la suite tu as connu de nombreux clubs dans différents pays (Espagne, Mexique, Chine, Hongrie). Que t’ont apporté ces expériences ?
Après la France et le Brésil, qui ont été deux étapes importantes dans ma carrière, les années passent, tu cherches toujours à avoir cette continuité pour garder le niveau. Donc tu commences à faire des choix et c’est vrai que pour ma part, j’ai souvent changé de club et peut-être c’est cela qui a fait que mes dernières années de joueur n’aient pas été si décisives. Je pense que chaque pays m’a laissé des enseignements différents.
En janvier 2017, tu as été hospitalisé et placé en soins intensifs. Nous aimerions savoir ce qui t’es arrivé et surtout comment te sens-tu aujourd’hui ?
Ça a été un match à part (sourire). Ca a été un défi à relever qui est arrivé sans prévenir dans ma vie. Dieu m’a aidé à surmonter cette étape qui a été très difficile. Je ne savais vraiment pas ce qui était en train de se passer. Je pensais que c’était quelque chose de banal mais une fois arrivé à la clinique, je me suis rendu compte que c’était plus grave ce qui se passait avec mes poumons. J’avais une bactérie qui était pratiquement en train de me tuer. Les docteurs me disaient que j’étais condamné mais heureusement, j’étais dans la main de Dieu. Ce sont des paroles qui m’ont toujours aidé à me relever et voilà où je suis aujourd’hui. Je me sens très bien, j’ai suivi un processus de récupération qui a duré une année, mais aujourd’hui tout va très bien.
Est-ce cette maladie qui a mis un arrêt à ta carrière professionnelle ?
Après ce qui s’est passé, j’ai vécu un an sans jouer. Cette étape a certainement accéléré un peu le fait que j’arrête de jouer. Mais cela m’est arrivé étant jeune et j’ai encore beaucoup d’envie de retrouver un club et jouer. J’ai encore beaucoup de force à apporter. J’aimerais pouvoir continuer à jouer en tant que professionnel, mais la réalité ici en Colombie est que quand tu approches les 30 ans, les portes se ferment. Quand tu es trentenaire dans ce milieu, on te voit comme un ancien qui ne peut pas. Mais on verra bien ce qui se passe, on ne sait jamais ce qui peut arriver dans la vie.
Continues-tu de suivre Bordeaux, que ce soit sur le terrain ou la vie du club en général ?
J’ai suivi ce qui s’est passé dans le club les années qui ont suivi mon départ. J’ai vu que ceux avec qui j’avais passé deux années au club ont beaucoup progressé pour arriver aux plus hautes marches du championnat. Ça m’a fait penser au fait que si j’avais pris un peu plus de temps, j’aurais eu l’opportunité de faire partie de ce groupe. Mais c’est facile à dire maintenant, je ne pouvais pas le savoir au moment où je suis parti. Sinon, parfois je regarde ce qui a pu se passer dans le club, comme le changement de stade, il y a quelques années, par exemple. Ca me fait toujours chaud au cœur de voir Bordeaux, c’est émouvant pour moi car c’est le premier club qui m’a donné l’opportunité de venir en Europe. Et même si cela ne s’est passé comme je l’aurais voulu, je garde toujours beaucoup d’affection pour Bordeaux et tout ce que j’y ai vécu.