InterviewG4E. Stéphane Porato : “Je n’ai aucun doute sur le fait que d’ici quelques années, on retrouvera Bordeaux au plus haut niveau”

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    Même s’il évoluait dans le camp d’en face, Stéphane Porato est un joueur que nous avons particulièrement apprécié lorsqu’il était sur les terrains de Ligue 1. Joueur de caractère et de devoir, il livra avec Marseille une lutte acharnée aux Girondins de Bordeaux dans la course au titre de Champion de France 1998-1999. Pas rancunier du tout avec du recul, même très beau joueur, le désormais entraineur des gardiens – dans l’attente d’un challenge avec notamment Marco Simone – a une belle image du club au scapulaire, mais également de tous les gardiens passés en Gironde. Auteur d’une très belle carrière, l’international français revient, avant ce « classique » entre l’Olympique de Marseille et les Girondins de Bordeaux samedi soir, sur toutes les questions autour de notre club, avec aussi un avis bien tranché et argumenté sur chacune de nos questions, pour notre plus grand plaisir. Nous espérons pour le vôtre également. Interview.

     

    Avant de commencer, on voulait prendre de vos nouvelles et savoir ce que vous devenez aujourd’hui ?

    Pour l’instant, je suis sans club aujourd’hui. On est revenu depuis fin décembre du Maroc, avec Marco Simone. Ensuite, avec la période que nous avons tous vécu, on a eu deux propositions à l’étranger mais ça n’a pas pu se faire à cause des conditions sanitaires. Donc pour le moment, je suis entraîneur des gardiens de but, en attente d‘un nouveau projet.

     

    On a vu sur les réseaux sociaux que vous mettiez en avant une marque de gants, BKeeper, dont vous êtes ambassadeur. Vous pouvez nous en dire plus ?

    Oui, tout à fait. Depuis que je suis rentré du Maroc, on m’a approché pour devenir ambassadeur de cette nouvelle marque de gants. J’ai trouvé le challenge super intéressant. Ce ne sont que des anciens gardiens de but, voire même des gardiens de but encore en activité, pour certains des associés. J’ai aimé leur philosophie et le produit bien sûr. Du coup, je me suis lancé dans l’aventure avec eux.

     

     

    Lorsque vous étiez joueur, vous avez évolué durant 11 saisons entre Monaco et Marseille. Vous avez donc affronté les Girondins de Bordeaux à de nombreuses reprises. Quelle est l’image que vous aviez des Girondins de Bordeaux à cette époque ?

    Une très bonne image. Celle d’un club sérieux, ambitieux, avec de très bons joueurs. D’ailleurs, c’est eux qui nous subtilisent le titre en 1999, à la dernière journée. Cette année-là, ils ont fait une saison incroyable et c’est tout à leur honneur. Le club de Bordeaux reste un des grands clubs de notre championnat de France. Ça a toujours été un grand plaisir de jouer à Bordeaux ou de les rencontrer à domicile.

     

    Vous étiez gardien de l’OM l’année où les Girondins de Bordeaux ont été sacrés champions de France en 1999. On se souvient de cette saison, où marseillais et bordelais étaient au coude à coude pour le titre. Pour nous, les supporters, c’était très intense. Vous qui l’avez vécu de l’intérieur, dites-nous ce que vous avez vécu…

    Je pense qu’on l’a vécu de la même manière que les supporters : ça a été super intense, du début jusqu’à la fin. On s’est partagé la première place tout au long de la saison. C’est vrai que ça a été serré jusqu’à la fin et qu’il a fallu attendre les 5 dernières minutes de la dernière journée de championnat pour connaître le champion de France. Ça ne s’est pas passé si souvent que ça pour qu’on l’oublie.

     

    Cette année-là, il y a également le 4-1 à Lescure. On pense que c’est sur cette rencontre que la saison s’est jouée…

    Disons que comme c’est une confrontation directe entre deux prétendants au titre, forcément que ces 3 points ont donné un léger avantage à Bordeaux, surtout que nous avions fait match nul à l’aller. Mais à quelques journées de la fin, on est toujours en tête et on a notre destin entre nos mains. Sur la fin de parcours qui nous enlève le titre, c’est surtout le fait qu’on n’ait pas su gagner un ou deux matches qu’il aurait fallu, ce que Bordeaux a su faire.

     

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    Marseille n’a pas gagné à Bordeaux depuis 1977. Est-ce que lorsqu’on est joueur marseillais, il y a un challenge de vouloir faire sauter ce record ?

    Forcément ! Les records sont faits pour être battus. Déjà à notre époque, ça faisait un petit moment que Marseille ne s’était pas imposé à Bordeaux et on y est allé dans l’idée de s’imposer. On ne l’a pas réalisé mais c’était notre idée première. On était tombé sur plus fort que nous, il faut le dire et les féliciter. C’est certain que tous les ans, quand Marseille se rend à Bordeaux, de réaliser cette prestation qui va leur permettre de gagner et de mettre fin à cette disette de victoire à Bordeaux, ça doit trotter dans leurs têtes.

     

    A cette époque, vous jouiez avec Christophe Dugarry qui a été formé aux Girondins de Bordeaux. On imagine que ça a dû être difficile pour lui de perdre le titre face à son club formateur ?

    Sûrement que ça a dû être un match spécial pour lui parce que c’est vrai que Duga a commencé sa carrière à Bordeaux. Il s’est fait connaître à Bordeaux avec la génération Duga – Zidane – Liza. C’était une génération dorée pour les Girondins de Bordeaux. C’est certain que ça a dû lui faire quelque chose. Je pense qu’il aurait bien aimé venir avec Marseille et pouvoir l’emporter. Mais si mes souvenirs sont bons, c’est lui qui marque le but du 4 à 1. Il a eu cette satisfaction ce soir-là. Mais quand vous êtes formé dans un club et que vous y revenez avec un autre club, il y a toujours un pincement au cœur. Vous êtes content et en même temps, vous aimeriez les battre. C’est assez contradictoire comme sentiment. C’est le foot qui veut ça. Duga ne nous a jamais montré qu’il n’avait aucune envie de gagner contre Bordeaux, bien au contraire. Il avait autant envie que nous, voire même un peu plus car c’était son club formateur.

     

    Pendant des années, Rolland Courbis n’a eu de cesse de dire que ce Paris-Bordeaux de 99 était « étrange », sous-entendant que les parisiens avaient laissé gagner les bordelais pour ne pas que Marseille soit Champion. Quel est votre avis sur ce match et les propos de Rolland Courbis ?

    Les déclarations de Rolland n’appartiennent qu’à Rolland. Après, moi, je reste un éternel naïf et amoureux du sport. Je ne peux pas croire que les parisiens, même avec l’animosité qu’il peut y avoir entre les supporters parisiens et marseillais… Je ne peux pas croire que des joueurs de foot professionnels aient pu lâcher ce match. S’ils l’ont fait, ça les regarde, pour les raisons qui leur sont propres. Mais de mon côté, je préfère penser que Bordeaux a réalisé, au même titre que nous, une saison incroyable, que ça s’est joué sur des petits détails et que ces détails ont tourné en la faveur de Bordeaux. Parce que ça remettrait en cause la saison de Bordeaux et beaucoup d’autres choses. Or, si on se souvient bien, Bordeaux avait une sacrée équipe cette année-là aussi. Je préfère les féliciter pour leur parcours plutôt que de vivre avec l’idée que ce dernier match a été lâché.

     

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    D’autant plus que Rolland Courbis va plus loin en disant que Bernard Lama, votre homologue parisien, a laissé passer le ballon de Pascal Feindouno à la dernière minute…

    Dans cette équipe de Paris, je ne connaissais pas grand monde forcément, mais j’ai côtoyé Bernard en Equipe de France et nos chemins se sont croisés dans d’autres circonstances également. Connaissant Bernard, son caractère, son orgueil, son égo, c’est un gardien de grand talent, je ne le vois pas jouer ce jeu-là. C’est quelque chose que je ne veux pas croire. Après, ça ne regarde que moi. Bernard, c’est quelqu’un qui m’a fait rêver quand il était gardien de l’Equipe de France. J’ai eu la chance de le côtoyer. Je ne pense pas qu’une quelconque animosité entre Marseille et Paris puisse les faire déjouer au point de laisser entrer un ballon. Ça ne me parle pas, je ne vois pas un gardien faire ça.

     

    Pour continuer sur Rolland Courbis, après Marseille, il vous a ensuite fait venir à Ajaccio. Quelle était votre relation ?

    Déjà une relation d’amitié mais avant tout, une relation d’un coach à un joueur. Il avait une certaine confiance en mes qualités, mes possibilités. Quand je suis arrivé à Marseille, il a voulu les mettre en avant. J’en ai été conscient et je l’ai toujours remercié de m’avoir donné ma chance dans cette équipe de Marseille. C’est vrai qu’après, j’ai eu la chance de le retrouver à Ajaccio. C’est toujours bien quand vous vous entendez bien avec un entraîneur et que vous pouvez participer à plusieurs saisons avec lui. Après, Rolland a fait tellement de clubs (rires)… et a été entraîneur pendant tellement d’années. Je le connaissais déjà au Sporting Club de Toulon quand j’étais au centre de formation et qu’il était l’entraîneur de l’équipe première. C’est vrai que ça a été quelqu’un qui a marqué ma carrière.

     

    Lors de la saison 98-99, le gardien bordelais, Ulrich Ramé finit meilleur gardien de la saison aux trophées UNFP. Que pouvez-vous nous dire sur lui et sa carrière ?

    Ulrich a fait une carrière incroyable. Ça a été un joueur important pour les Girondins. C’est quelqu’un que je connais un petit peu. Il a un profil plutôt atypique pour un gardien car il est réservé, plus timide, introverti. Néanmoins sur le terrain, il avait la carrure d’un grand gardien et à chaque fois que j’ai dû jouer contre lui, je savais qu’il ne serait jamais facile de lui mettre un but. Il a fait partie des très grands gardiens de but de notre championnat de France. Il a rendu de fiers services aux Girondins de Bordeaux.

     

    Est-ce qu’à un moment dans votre carrière vous auriez pu signer aux Girondins de Bordeaux, et est-ce que cela vous aurait plu ?

    Me plaire, oui certainement, parce que, je vous le dis, Bordeaux faisait partie pendant ma carrière, des beaux clubs de notre championnat. Mais je n’ai pas eu l’opportunité. Pendant 11 ans, j’ai fait partie de deux des meilleurs clubs du championnat de France, donc je n’avais pas la nécessité de bouger et Bordeaux ne s’est pas non plus rapproché de moi car à cette époque-là, ils avaient de très bons gardiens, dont Ulrich Ramé. Après, il est certain que c’est un club qui aurait pu me plaire. Par certains aspects, le club ressemble un peu à Monaco. L’aspect feutré de Bordeaux ressemble un peu à celui de Monaco, avec un peu plus de supporters parce que la ville est plus grande aussi. Il y a des similitudes entre les deux clubs. Donc bien sûr que ça ne m’aurait pas déplu de jouer aux Girondins de Bordeaux.

     

    Bordeaux a eu dans ses rangs ces dernières années, des gardiens emblématiques qui ont marqué l’histoire du club. Après Ramé, c’est Carrasso qui s’est installé dans les buts bordelais et a conquis les supporters girondins. Que pouvez-vous nous dire de lui qui était à l’OM en jeunes lors de votre passage à Marseille ?

    Oui, je connais très bien Cédric car quand j’étais à l’OM, il était 4ème gardien. Il était en jeune et de temps en temps il montait avec nous faire quelques séances. Au début de sa carrière, il avait un problème de surpoids qu’il n’a jamais caché et à la suite d’une blessure au genou, il a pris son destin en main et s’est restreint. Il a fait de gros efforts pour descendre son poids de forme. Et ça lui a souri puisque derrière, il fait une carrière incroyable. Je ne doute pas que les supporters girondins aient été conquis par Cédric parce que ce qu’il a fait à Bordeaux était parfaitement incroyable.

     

     

    Depuis 2017, c’est maintenant Benoît Costil qui est gardien des Girondins. Il est fréquemment sélectionné en Equipe de France mais n’a qu’une seule sélection en Bleu comme vous. Que pouvez-vous nous dire sur sa carrière ?

    C’est un gardien que j’aime beaucoup, que ce soit pour sa personnalité ou son tempérament. Il a le profil de ces gardiens modernes. C’est vrai que pour le moment, il n’a pas à l’international la carrière que je pensais qu’il aurait. Il n’en reste pas moins un gardien à qui il reste du temps devant lui. Il est très bien installé à Bordeaux. Il fait partie des meilleurs gardiens de notre championnat. Il y a une rude concurrence en France, on le sait car il y a une bonne formation de gardiens, même si je ne suis pas toujours d’accord avec le chemin que prend notre formation dans le futur. Mais malgré tout, on a pour notre championnat, de très bons gardiens et Benoît en fait partie.

     

    Vous avez certainement suivi les bouleversements qu’a connu le club de Bordeaux ces dernières années, notamment depuis l’arrivée des gestionnaires américains. Et même au-delà de cela, on se rend compte que l’image du club s’est dégradée ces dernières années. Est-ce que vous pensez que Bordeaux est toujours un club phare du championnat ou il a perdu de sa superbe ?

    Ça reste un grand club français, d’une part pour le palmarès que les Girondins ont, il ne faut pas l’oublier. Dans le football, on a tendance à ne voir que le présent et à supputer sur le futur. Mais il ne faut pas oublier tout ce que les grands joueurs ont pu faire toutes les années auparavant et tous ces titres qu’ils ont remportés aux Girondins de Bordeaux. Rien que pour ça, Bordeaux reste un de nos grands clubs, ils figurent toujours parmi l’élite. Depuis quelques années, il y a, semble-t-il, des difficultés à trouver leur place dans le Top 5 de notre championnat. Mais ils ont des bases, des acquis, ils savent ce que c’est de jouer le haut du tableau, je n’ai aucun doute sur le fait que d’ici quelques années, on retrouvera Bordeaux au plus haut niveau. Après, les nouveaux investisseurs, il faut peut-être leur laisser un petit peu de temps, ce n’est jamais simple. Vous avez eu la chance d’avoir un grand président pendant de longues années. Vous avez eu M6 derrière aussi qui a fait un gros travail. Aujourd’hui, ç’en est d’autres. Il faut leur laisser le temps de s’acclimater à la douceur bordelaise. Espérons que pour Bordeaux et ses supporters, ça donnera un grand cru ces prochaines années car le championnat de France s’en portera beaucoup mieux également si Bordeaux revient parmi les favoris du championnat.

     

    Ce samedi, Bordeaux se déplace à Marseille. Les deux équipes sont à égalité en milieu de classement. Comment voyez-vous cette rencontre ?

    Ça ne va pas être simple, pour l’une et l’autre. Marseille est un peu en quête de rachat parce qu’ils nous ont laissé sur notre faim avec cette victoire contre Paris. Derrière, on s’attendait à ce qu’ils puissent confirmer et ils ne l’ont pas fait. Et Bordeaux, ces 4-5 dernières années, semble pouvoir proposer quelque chose qui les mènerait vers le haut et il y a toujours un petit détail qui fait que ce n’est pas le cas. Ça ne va pas être un match simple pour les deux. Ça peut être un match ennuyeux, comme un match totalement débridé et qui laisse aux téléspectateurs un très beau spectacle. Ça ne va pas se jouer sur grand-chose, je pense. Les deux équipes sont armées pour réaliser une bonne performance. Il faudra voir les détails importants du match pour voir de quel côté ils basculeront.

     

    Un match Marseille-Bordeaux se joue d’habitude dans un stade plein, avec une ambiance électrique. Aujourd’hui, avec le contexte actuel, le match se joue sans les supporters et on se demande si finalement, ce n’est pas un avantage pour l’équipe visiteuse. Qu’en pensez-vous ?

    Forcément, pour des clubs comme Marseille, Lens, Saint-Etienne, ou même Bordeaux, des clubs avec un public qui dans les moments délicats peut vous amener un plus, il est certain que quand ils jouent à domicile, ils sont désavantagés. Que quiconque me dise le contraire, me donne les arguments pour le prouver. C’est indéniable cet apport du public. Il y a des clubs qui en souffrent moins, mais il y a des clubs qui ont un fort potentiel de public, qui a une part importante dans le club, ils en souffrent. Moi, sur un plan personnel, sincèrement, ça m’aurait fait chier de devoir jouer quasiment une saison entière sans public. Parce que le football, c’est un sportif collectif, un sport de partage, avec les coéquipiers et le public. On partage ça avec les gens qui viennent nous voir. On a surtout envie de se dépasser pour faire plaisir aux gens. Là, aujourd’hui, pour moi, ça n’a aucun sens de jouer des matchs de football. Je sais qu’il y a des contraintes financières, que pour plein de choses, on est obligé de faire jouer ces matchs et de continuer le championnat… mais footballistiquement parlant et émotionnellement parlant, c’est dénué de sens pour les joueurs de foot. Je sais que j’y aurais perdu quelque chose, parce que ce soit à Marseille, Monaco, Ajaccio ou même en Espagne, quand je rentrais sur le terrain, c’était pour faire des choses pour les gens qui venaient nous voir au stade. Alors bien sûr, il y a les contraintes du championnat, les objectifs du club, etc… Mais c’est tellement un moment de partage le football que si on ne peut plus le partager avec les gens, autant arrêter. Les raisons économiques prennent le pas là-dessus mais, moi, regarder à la télé des matchs avec du faux son, de faux applaudissements, voir ces stades vides, c’est d’un ennui total.

     

    Pour conclure, un petit pronostic pour le match de samedi ?

    Le cœur va me dire que l’OM va l’emporter… Je verrais bien un 2-1 pour Marseille !

     

    Un très grand merci à Stéphane pour le temps qu’il nous a accordé. Nous avons retrouvé le joueur et l’homme que nous avions imaginé. Nous lui souhaitons du bonheur dans un nouveau challenge excitant, le plus rapidement possible.