InterviewG4E. Jocelyn Angloma : “Bordeaux est une équipe qui a toujours représenté la France et qui compte dans la métropole”

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    Ancien international (37 sélections), Jocelyn Angloma était l’un des meilleurs défenseurs français de son époque, et dans la lignée d’un exemple pour tous les guadeloupéens, un certain Marius Trésor. Arrivé à Rennes en provenance de « Gwada » en 1985, Jocelyn a ensuite connu une ascension fulgurante, passant par Lille, Paris, Marseille, le Torino, l’Inter Milan, puis au FC Valence où il fut au sommet de sa carrière. A plusieurs reprises, ce défenseur d’une élégance rare croisa la route des Girondins de Bordeaux, pour qui il a une estime et une attention particulière, « Sacré Marius » n’étant évidemment pas étranger à cela. A la veille du « Classico » entre le FCGB et l’OM, Jocelyn se confie en toute sincérité et simplicité, pour Girondins4Ever. Un honneur pour nous, qui avions suivi de près son parcours de joueur lors de son apogée en Espagne, où il croisa également le club au scapulaire, en Ligue des Champions. Une époque si proche, et si lointaine désormais pour nous. Aujourd’hui, il est le sélectionneur de la Guadeloupe. Interview.

     

    Vous êtes né en Guadeloupe, comme un joueur bordelais qui a beaucoup marqué les supporters girondins, c’est Marius Trésor. Est-ce qu’il a été un modèle pour vous, étant plus jeune ? Représentait-il l’espoir des joueurs de l’île de venir jouer en Europe ?

    Oui, c’est un modèle et ça reste toujours LE joueur de la Guadeloupe. Marius Trésor a été très important pour nous. Cela nous a permis de découvrir le football professionnel à travers lui. Hier (mardi, ndlr), justement, je lisais une de ses interviews sur le site des Girondins, où il parlait de son départ de la Guadeloupe. Il a marqué, à travers Bordeaux et l’équipe de France. Il a joué à Marseille aussi (rires) ! Ça tombe bien, lui pourrait vous parler plus de ce match contre Marseille à travers ses clubs. C’est vrai que c’est quelqu’un qui a représenté énormément pour nous en Guadeloupe, notamment les joueurs qui sont partis par la suite.

     

    Quelle est l’image que vous avez des Girondins de Bordeaux dans l’histoire du championnat de France ?

    Déjà, au départ, celle avec Marius, quand les Girondins avaient la grosse équipe. Et puis, après Marius, il y a la génération de Giresse, Tigana qui ont joué là-bas, puis Joseph-Antoine Bell. Cette équipe des années 90 aussi, qui était formidable, qui a marqué les esprits. Et même, dans les années 84, il y avait Chalana qui jouait à Bordeaux. Ils avaient une équipe qui a marqué la France, avec comme entraîneur Aimé Jacquet. Oui, Bordeaux, ça me parle beaucoup.

     

    Est-ce que lors de votre carrière, jouer contre Bordeaux cela avait une saveur particulière ?

    Oui, c’était toujours un match particulier, tout simplement parce que c’était Bordeaux. C’était l’équipe à battre parce qu’il y avait la grosse machine. Et c’est une équipe qui a toujours représenté la France et qui compte dans la métropole. C’est Dugarry, Lizarazu… il y a toujours eu de grands joueurs, de grands noms à Bordeaux. Il y a eu Stopyra,… Il y en a eu tellement ! Comme je le disais, ça a toujours été une belle équipe et jouer à Bordeaux, au Parc Lescure, il fallait y aller. On savait que ça allait être un match très dur, qui allait avoir du beau football.

     

    Avez-vous eu l’opportunité de signer aux Girondins durant votre carrière ?

    Non, je n’ai jamais eu l’opportunité de venir jouer à Bordeaux et je dirais malheureusement. Ça m’aurait plu. La ville de Bordeaux, que je ne connais pas trop, est une belle ville. Quand on arrivait, on allait plutôt à l’hôtel à Bordeaux-Lac. J’ai eu l’occasion d’aller dans le centre-ville quand on y faisait un tour. Et en entendre parler par les autres, les gens n’en disaient que du bien. Ça m’aurait plu, oui…

     

    En 2000, en Ligue des Champions, vous étiez tombés dans la même poule que les Girondins de Bordeaux, qui étaient Champions de France la saison précédente (98-99). Deux rencontres, deux scores fleuves (3-0 à domicile, 1-4 à Bordeaux). Vous êtes d’ailleurs allés en finale de la compétition cette année-là. On vous sentait vraiment au sommet de l’Europe…

    Oui, avec Valence, on avait fait des choses bien, on était vraiment au top et malheureusement, on ne l’a pas gagnée cette Champions League. On avait perdu 3-0 contre Madrid. L’année d’après, on est encore allés en finale et on perd aux tirs au but contre le Bayern. Mais c’est vrai que lors de cette compétition, c’est aussi le dernier match que j’ai joué contre Bordeaux. On était vraiment bien à Valence et c’est vrai que Bordeaux n’était pas la grosse équipe, comparé à celles que j’ai pu citer avant. Après, c’est devenu une très belle équipe avec Laurent Blanc, qui est arrivé loin quand même en Champions League. Comme je le disais, Bordeaux, ça représente énormément et j’espère que ça va revenir.

     

    A Valence, vous avez joué avec Alain Roche. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?

    Déjà, Alain, je le connaissais à travers les Espoirs et l’Equipe de France aussi. Après, on a joué à Valence et on a gagné la Coupe du Roi ensemble. C’est un joueur qui a énormément apporté pour le football français, à Bordeaux, à Auxerre et à Paris. Et en tant que dirigeant aussi. Maintenant, il est de retour à Bordeaux, il a commencé un travail avec l’entraîneur Gasset qui est pas mal et ça, malgré les difficultés. C’est quelqu’un qui est humble, qui a su toujours rester « seigneur » (rires). Il est super gentil, c’est une magnifique personne, qui représente énormément de bonnes choses dans le football français.

     

    Aujourd’hui, il est directeur sportif des Girondins de Bordeaux. Pensez-vous que ce rôle lui correspond ?

    Oui, parce qu’il connaît bien le foot. Il a eu l’occasion d’être directeur sportif au PSG, ce n’est pas rien. Je pense qu’il peut faire du bon boulot si on lui laisse le temps, si au niveau des dirigeants, on laisse du temps à ces personnes qui connaissent vraiment le football de travailler. Economiquement, aujourd’hui, il faut que les choses aillent vite, il faut rentabiliser vite. Mais je pense que si on lui laisse le temps, ça peut être une bonne chose pour Bordeaux.

     

    Pendant quelques années, les Girondins de Bordeaux venaient superviser les jeunes guadeloupéens (au rythme d’une fois par an), mais très peu de joueurs sont au final arrivés en Europe. Est-ce que d’après vous il devrait y avoir plus des passerelles entre la Guadeloupe et la Métropole ? Y a-t-il un vivier de joueurs sur place ?

    Oui, il y a énormément de potentiel. C’est vrai que nos joueurs ici n’ont peut-être pas de vécu, surtout au niveau de confrontations de jeunes, d’un certain niveau, mais il y a un gros potentiel. Moi, qui suis actuellement au Pôle Espoir Guadeloupe, il y a des joueurs qui sont partis, qui sont arrivés vraiment au haut niveau, notamment Thomas Lemar, qui est champion du monde et qui est passé au Pôle Espoir de Guadeloupe. Il y a Marcus Coco qui joue à Nantes. On a de très bons jeunes qui sont dans les centres de formation et on attend de voir s’ils vont y arriver. Maintenant, si Bordeaux veut revenir, je pense que Marius à certains moments avait ses entrées en Guadeloupe, il les a toujours mais peut-être que ça ne se fait pas autant qu’auparavant. Mais ici, il y a un vivier, un gros potentiel, une structure qui s’appelle le CERFA qui continue de travailler avec les jeunes de 15 à 18 ans. On peut faire quelque chose.

     

    De nombreux entraîneurs se sont succédés ces dernières saisons sur le banc bordelais, créant une certaine instabilité, notamment pour les joueurs. Aujourd’hui, c’est Jean-Louis Gasset qui est aux commandes avec Ghislain Printant. Que bilan faites-vous de ces premiers mois aux Girondins ?

    C’est vrai que les choses ont changé, au niveau des dirigeants, les fonds qui sont arrivés, c’est assez compliqué et complexe. En plus, avec le Covid, rien n’est facile, mais si on laisse le temps à Jean-Louis Gasset de travailler avec Alain Roche, ils peuvent mettre quelque chose en place. Ils connaissent le foot et les joueurs français. Il y a de très bons joueurs et jeunes qui peuvent émerger à Bordeaux. Il y a Hatem Ben Arfa qui est arrivé et qui peut amener sa folie. Je pense que c’est un joueur avec qui on peut faire pas mal de choses, comme avec quelqu’un comme Jean-Louis Gasset qui le connaît. Ce n’est pas facile pour eux de travailler sereinement mais on a vu que les choses allaient un peu mieux, parfois difficilement, mais un peu mieux… Laissez-leur le temps de travailler.

     

    Comme vous le disiez, en début de la saison, Bordeaux a recruté Hatem Ben Arfa. Son retour en France a beaucoup fait parler et finalement, ça ne se passe pas si mal que ça en Gironde, en partie grâce à Jean-Louis Gasset. Que pensez-vous de ce joueur ?

    Je pense que c’est un joueur « frais » parce qu’il n’a pas joué trop de matches avant de venir. A son âge, 33 ans, c’est un moment où on pense plutôt à la fin de carrière, mais je dirais que pour faire avec ce type de joueur, il faut les connaître, il faut être footballeur, il faut être comme Gasset. Il faut savoir parler à ces joueurs-là, il faut savoir le faire. Après, il faut que lui soit prêt physiquement et mentalement sinon ça ne va pas. La compétition, si le joueur n’est pas performant, les choses ne peuvent pas prendre. C’est un joueur qui malheureusement a eu trop de déboires dans sa carrière, il n’a pas su exploiter totalement son potentiel et c’est dommage.

     

    On parle souvent de Bordeaux, comme du “Club Med”. C’est une belle ville, une belle région, avec peut-être un peu moins de pression qu’ailleurs. Et parfois, on se laisse penser que les joueurs s’appuient sur leurs acquis. Cette saison notamment, dès qu’une série de bons matchs est effectuée par l’équipe, ils ont l’air de retomber dans leurs travers en suivant, provoquant une instabilité dans les résultats. Que pensez-vous de cette image du club ?

    Vous savez les clubs, ça marche avec la pression. Si on ne sent pas cette pression, de la part des supporters, des médias, on a tendance à rester sur ses acquis. Oui, on a tendance à parler de « Club Med » même si ce n’est pas très beau. On va au Club Med parce que c’est beau et c’est tranquille. Mais si on veut être performant, avoir des résultats et tout, même en laissant les gens de travailler, il faut quand même qu’il y ait une sorte de pression et ça vient aussi des supporters. Ça dépend de l’exigence qu’on demande, de celle des dirigeants, il faut se poser la question s’il y en a. Ce n’est peut-être pas trop le cas puisqu’ils n’ont pas encore cette stabilité. J’espère que ça va venir.

     

    Lorsque vous étiez joueur, vous étiez défenseur. A Bordeaux, notre charnière centrale se compose de Koscielny et Baysse qui sont le dernier rempart devant Benoît Costil, qui réalise cette saison 11 clean-sheet en 24 matchs. Quel regard portez-vous sur ces défenseurs ?

    Ce sont des joueurs de qualité, qui ont énormément d’expérience, notamment Laurent Koscielny et Benoit Costil. Après, c’est un ensemble de choses qui fait que si on défend bien en groupe, si on arrive à défendre en avançant, on peut faire la différence et avoir la possession de balle aussi. Ça veut dire que l’adversaire a moins de chances de marquer. Maintenant, il y a un très bon gardien, qui a énormément d’expérience, il arrive à sublimer sa défense. Quand on sait qu’on a un gardien qui peut faire des arrêts, ça aide énormément. Mais l’expérience de Laurent Koscielny à Arsenal fait la différence aussi.

     

    Les matchs Marseille – Bordeaux étaient à l’époque le vrai classico français. Quelle saveur avait pour vous ces matchs notamment quand vous jouiez à Marseille ?

    Ça avait une vraie saveur de classico. On n’avait pas besoin de faire monter la pression, elle montait toute seule parce que c’était LE match. Il était impensable de ne pas bien jouer en allant faire un match à Bordeaux. Tout comme quand Bordeaux venait à Marseille. C’est la ville aussi qui voulait ça. On sait qu’à Bordeaux, si Marseille arrive, il faut gagner. Ça s’est vérifié, depuis des années et des décennies. Ça représente énormément pour la ville, les clubs. Je pense que Marseille va vouloir enfin gagner à Bordeaux. C’est très difficile à envisager actuellement pour Marseille qui ne fonctionne pas bien en ce moment, mais ça reste un gros match.

     

    A l’époque, Bordeaux – Marseille, c’était aussi une rivalité entre présidents. Même si vous étiez à Lille à cette époque, quels souvenirs gardez-vous de la rivalité entre Claude Bez et Bernard Tapie ?

    C’était des interviews, ça se passait à travers les médias. Ils recherchaient la suprématie, ça ne se jouait pas que sur le terrain. Il fallait faire parler du club et de soi. Il y a Bernard Tapie qui arrivait et qui voulait tout de suite montrer et Claude Bez que l’on connaissait déjà, qui avait son bagou et qui arrivait à mettre son équipe en place pour tout gagner. Je pense que ça a fait progresser le football français quelque part et ces clubs aussi. Maintenant, il faudra que Bordeaux et Marseille retrouvent ces présidents-là qui vont leur permettre de remonter au plus haut possible.

     

    Ce record d’invincibilité est très important pour les bordelais qui sont invaincus depuis 43 ans à domicile face aux marseillais. Mais cette année, sans supporters, difficile d’apporter du soutien aux joueurs et maintenir la pression pour un match aussi important pour le club…

    C’est vrai que c’est compliqué pour les joueurs. C’est une situation très bizarre. Maintenant, c’est la force mentale qui peut faire toute la différence. Malgré tout, il peut y avoir une sorte de pression, sur le dos des joueurs. Il va falloir que ces joueurs-là gagnent parce que 43 ans sans perdre, moi, je n’ai pas envie d’être le premier à perdre ce record. Donc il y a quelque part une pression. Je pense qu’au club on en parle aussi, l’entraîneur va leur en parler, comme tout l’entourage des joueurs. C’est un peu compliqué, mais après pour nous, footballeurs, ça reste un match.

     

    Bordeaux reste sur 3 défaites consécutives en championnat, auxquelles s’ajoute la défaite contre Toulouse en Coupe de France. Le match face à l’OM sera le 5ème pour les Girondins en 15 jours. Marseille de son côté, vient de perdre le Classico à domicile… Dans ce contexte, comment voyez-vous le match de dimanche ?

    Justement, c’est un peu l’inconnu. Ce sont deux équipes qui ne marchent pas trop bien. Marseille, je ne peux pas dire que ça me fait de la peine, mais ils sont à la peine ces derniers temps, malheureusement. Bordeaux, de son côté, n’arrive pas ni à gagner, ni à se sublimer. Je pensais que c’était bien parti et ils font finalement trois défaites en trois matchs. C’est vraiment l’inconnue ce match pour moi. On ne peut pas vraiment savoir. La seule chose qui pourrait jouer sur ce match, c’est ce record d’invincibilité de 43 ans à Bordeaux. Les joueurs vont se le rappeler et leur faire comprendre qu’ils ne vont pas venir gagner aujourd’hui.