InterviewG4E. Jérémy Clément : « A mon époque, on était toujours un peu en lice avec Bordeaux pour les places européennes… »
Jérémy Clément a arrêté il y a simplement quelques mois sa carrière de joueur professionnel, mais plusieurs perspectives s’offrent déjà à lui. Consultant sur Canal+, aujourd’hui entraineur du FC Bourgoin-Jallieu, il a également créé une marque d’huile d’olive, baptisée « Roméo et Juliette » (en savoir plus ICI et voir en bas de page). Passé entre autres par Lyon, Paris, et Saint-Etienne, le prochain adversaire des Girondins, l’ex-milieu de terrain nous donne sa vision du club au scapulaire, qu’il a affronté à de nombreuses reprises lors de sa carrière de près de 500 matches en professionnel. Simple et accessible, comme nous l’espérions avant de le contacter, Jérémy a évoqué sans détour les sujets concernant notre équipe, avant de terminer sur la rencontre de ce dimanche face aux Verts. Un grand merci à Jérémy pour sa disponibilité et sa sympathie. Nous lui souhaitons de retrouver rapidement et pleinement les terrains avec son équipe, des suites de ce contexte sanitaire particulier. Interview.
Quelle image avez-vous des Girondins de Bordeaux ?
« C’est une bonne image. Les groupes de supporters s’entendent très bien d’ailleurs, entre Bordeaux et Saint-Etienne. J’ai une bonne image de Bordeaux parce que c’est un club qui a fait partie des équipes sur lesquelles il fallait compter, un club qui a gagné des choses, un club prestigieux. Alors, je n’aime pas trop classer les clubs par rapport à d’autres, mais dans l’histoire du football français, il fait partie des grands clubs ».
Est-ce que vous avez eu l’occasion d’y signer lors de votre carrière, et est-ce que ça vous aurait plu ?
« Non, je n’ai jamais eu l’occasion d’y signer. Je ne regrette pas les choix que j’ai fait dans ma carrière. Après, bien sûr, j’ai joué avec des ex-girondins, et quand ils parlaient de Bordeaux, voilà… Ils m’ont tous dit que c’était un club agréable. En plus du club, il y a aussi la région où il y a une douceur de vivre. Que ce soit Benoit Trémoulinas ou Paul Baysse, et d’autres joueurs, la plupart des joueurs m’ont toujours vanté que ce soit le club, mais aussi la région ».
Est-ce qu’ils ne vous ont pas parlé du fait que ce soit justement un frein au niveau du football cette douceur de vivre ? Ici, on parle souvent de Club Med…
« Club Med, c’est fort… On pourrait aussi dire ça de Monaco alors, parce qu’il y a également une certaine douceur de vivre. Je trouve que ce sont des mots forts. Si on joue en Espagne, il y a quand même une douceur de vivre, un peu comme dans la région bordelaise, et ce n’est pas pour autant que les clubs ne sont pas compétitifs… Je pense que c’est peut-être plutôt de la jalousie. Forcément que quand les résultats ne sont pas là, c’est plus facile de pointer du doigt des joueurs par rapport à ça. Mais on peut dire pareil pour tous les clubs… C’est un peu trop facile de dire ça. Après, la vérité, même si je n’y ai jamais vécu, c’est qu’il y a une vraie qualité de vie. C’est un plus pour un club, de pouvoir être attractif avec ce côté-là. C’est humain, quand on prend de l’âge, on a envie, au-delà du foot, de bien vivre à côté. La vie, c’est aussi ça. On a envie que notre famille se sente bien. Je ne vois pas ça comme un frein, et de dire que c’est le Club Med, ce n’est pas justifié. C’est facile de dire ça quand les résultats ne sont pas là, mais je pense qu’on pourrait dire pareil pour d’autres clubs ».
Vous étiez à Paris lors du dernier titre de Champion de France des Girondins, en 2009. Quels souvenirs gardez-vous de cette équipe ?
« Des souvenirs difficiles (rires). On avait pris un cuisant 4-0, où Yoann Gourcuff marque l’un de ses plus beaux buts, la fameuse roulette… J’ai le souvenir d’une équipe un peu rouleau compresseur, une belle équipe ! Physiquement, c’était solide, avec Alou Diarra, Marouane Chamakh… Et il y avait aussi une touche technique, que ce soit Yoann Gourcuff, Fernando Menegazzo, Geraldo Wendel… C’était vraiment une belle équipe dans tous les facteurs de la performance. Et ça jouait bien au ballon… Des souvenirs que j’ai, je me rappelle qu’ils alternaient un peu leur 4-4-2 en losange… Une belle équipe ! ».
Aujourd’hui, cela a beaucoup changé. Cela fait trois saisons que Bordeaux joue le maintien. Comment l’expliquer ?
« C’est compliqué… Après, le football, c’est cyclique. Il y a très peu de clubs qui peuvent se vanter de jouer sur vingt ans les premiers rôles. On l’a vu avec l’OL, Paris, Marseille… J’espère que ça reviendra pour Bordeaux. Pour l’instant, ça se passe comme ça. Parfois, il suffit de pas grand-chose, d’une dynamique qui s’enclenche, de l’éclosion de quelques joueurs… Et il n’y a pas non plus de secret, à chaque fois que les clubs français ont dominé le football, c’est parce qu’au niveau du budget, c’était les clubs qui avaient le plus de moyens. Les équipes de tête sont les équipes qui ont le plus gros budget. Mais il y a parfois des équipes qui, sans stars, arrivent par le collectif à s’en sortir. Mais c’est quand même assez rare ».
Comme nous, en octobre, vous étiez ravi de revoir Hatem Ben Arfa revenir en L1, expliquant que pour un joueur comme ça on avait tout le temps envie d’y croire. Ca a bien commencé, et puis ça s’est un peu tassé…
« C’est difficile de porter un jugement sans voir Hatem. Je pensais que le mariage allait marcher entre lui et Jean-Louis Gasset, je trouvais que c’était deux personnes qui pouvaient vraiment bien s’entendre. Je suis ‘fan’ des deux personnes, donc je me disais que forcément, cet entraineur-là, avec son passé, sa faculté à gérer les hommes et les égos, ça allait marcher… Et Hatem, c’est le genre de joueur pour qui je payerai des places pour aller le voir jouer. C’est un joueur qui a des éclairs de génie, qui a une telle créativité, qu’il nous fait vivre des émotions. Après, Hatem, il vieillit aussi, ce n’est pas aussi simple, il y a d’autres joueurs aussi maintenant qui sont performants… La réalité n’est pas aussi simple. J’avais envie d’y croire, et même dans un an j’y croirai encore (rires). C’est le côté affectif, je pense que je ne suis pas objectif »
Vous l’avez d’ailleurs connu deux saisons à Lyon. Est-ce que peut dire que sa saison à Bordeaux est à l’image de sa carrière ?
« C’est ça, mais on a tous des convictions différentes par rapport au foot, à ce qu’on veut voir. Il y a certaines personnes qui n’y croient plus, d’autres qui vont y croire parce qu’elles espèrent encore. C’est le genre de joueur qui, sur un geste… Il peut rater dix choses, mais on va s’arrêter sur un geste parce qu’il aura fait quelque chose d’extraordinaire, parce qu’il nous fera vivre une émotion magique. Ca, c’est Hatem ».
Vous êtes aujourd’hui entraineur du FC Bourgoin-Jallieu. Quel regard portez-vous sur Jean-Louis Gasset, qui fait son retour à Saint-Etienne ? Vous étiez positif sur lui à son arrivée à Bordeaux, il a une grande expérience, et finalement même lui n’y arrive pas…
« On a beau être le meilleur entraineur, ce sont les joueurs qui sont sur le terrain. Il est le chef d’orchestre mais au final, ce sont les joueurs. Après, ce sont les résultats à l’instant T qui font dire que ça ne se passe pas aussi bien que prévu. Mais si Bordeaux avait Zidane, Mourinho, ou Klopp, est-ce que Bordeaux serait premier du championnat ? Je ne suis pas sûr… Ce n’est pas aussi simple. Jean-Louis Gasset fait de son mieux. Il a sa part de réussite ou d’échec par rapport à cette saison, mais ce sont les joueurs, ceux qu’il a à sa disposition… C’est très difficile pour moi d’analyser s’il fait du bon travail ou pas. C’est trop facile de dire par les résultats qu’un entraineur fait du bon boulot, ou pas. Il y a toujours des circonstances atténuantes, des excuses aussi. C’est pour ça que le football reste toujours compliqué à analyser, il faut vraiment prendre des pincettes. Il y a 22 joueurs, des entraineurs, un club… Il y a tellement de choses qui gravitent que pour juger, c’est compliqué ».
Vous avez connu Paul Baysse deux saisons à Sainté. Que pensez-vous du joueur de l’homme ? Comme vous, il a connu une grave blessure (deux fois les croisés même, ndlr), mais a su, tout comme vous aussi, revenir…
« Je suis content pour lui. Il est passé par moments un peu difficiles à Saint-Etienne, puis ça s’est bien passé à Nice. Ca a été un peu compliqué au départ à Bordeaux avec Jocelyn Gourvennec qui l’a fait venir, puis un carton rouge, puis il s’en va… Il y a eu pas mal de circonstances en sa défaveur. Mais je suis vraiment content de ce qu’il lui arrive, qu’il rejoue. Paul, c’est un leader, quelqu’un de charismatique, qui amène les autres : c’est un soldat. Maintenant que je suis entraineur, je vois que c’est quelqu’un qui, dans un groupe, une équipe, est une valeur sûre. Et c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, donc là aussi je ne suis pas le plus objectif possible pour parler de Paul (rires). Et tout cas je suis vraiment content de ce qui lui arrive »
D’autant que c’est quelqu’un qui est formé chez nous, issu de la région, qui est représentatif des valeurs du club…
« Il faut avoir des joueurs comme ça dans un club. Quand on construit un projet de jeu, un groupe, je pense que c’est important de garder des jeunes du cru, des joueurs qui connaissent le club. Même si ces joueurs – et je ne parle pas de Paul – peuvent avoir un déficit par rapport à d’autres joueurs, cela reste important de garder une connotation esprit club, avec des gens du cru, qui connaissent les valeurs du club, qui y ont été formés. Des joueurs qui peuvent par des valeurs mentales, morales, amener un vrai plus ».
D’habitude, les supporters sont présents dans le stade, et il y a d’ailleurs une entente entre les deux principaux kops. Comment ressent-on cette atmosphère sur le terrain ?
« Quand le match commence, c’est difficile de voir ce qui se passe en tribunes. Quand on est joueur, on est au courant de cette entente, évidemment. Après, ce qui est chiant à l’heure d’aujourd’hui, c’est l’absence des supporters. On a envie de vibrer avec le public, que ce soit à Saint-Etienne ou à Bordeaux. Honnêtement, cette année… Une année sans supporters, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux en termes d’émotions. Pour les joueurs, c’est un moyen de se transcender… Il y a des joueurs qui ont besoin de jouer avec le public, de ressentir ça. Il n’y a plus ce côté extérieur-domicile… Et puis on fait du foot pour jouer devant du monde, c’est aussi ça ! D’entendre des encouragements, des sifflets quand ça ne va pas… C’est ça le foot ! ».
Dimanche, Saint-Etienne et Bordeaux s’affrontent. Les deux clubs ont 36 points, et 7 points d’avance sur le 18ème. Est-ce qu’on peut parler de match de la mort ?!
« Ce sont deux clubs qui ne sont pas habitués à regarder dans le rétroviseur. A mon époque, on était toujours un peu en lice avec Bordeaux pour les places européennes… Ils ont quand même encore un petit matelas par rapport à la zone de relégation, mais ce sont deux équipes qui doivent prendre des points sur les matches à venir, c’est important que ces équipes assurent vite leur maintien. Forcément, ce week-end, le gagnant aura fait un pas en avant. Ce ne sera pas mathématiquement fait, mais il aura fait un pas en avant. Quand je regarde le calendrier de Saint-Etienne, même si ça ne veut rien dire, je me dis que ça va quand même être compliqué… Mais je ne me dis pas que c’est le match de la mort. C’est cependant un match qui peut donner un bon bol d’air à l’équipe qui gagnera ».
Comment voyez-vous cette rencontre ?
« Est-ce que ce sera un match fermé, je ne sais pas… Le football est tellement dur à analyser que si ça se trouve, je vais dire que ce sera un match fermé, et au contraire ce sera un super match (rires). Je vois bien un match nul, de la part de deux équipes qui ont besoin de se rassurer ».