Dossier sécurité aux Girondins. Deux stadiers témoignent du danger d’un retour dans ces conditions au stade
Pendant des mois, et des mois, les Ultramarines n’ont eu de cesse d’alerter sur le domaine de la sécurité au stade. Si le Virage Sud, tribune de résidence du principal groupe de supporters des Girondins de Bordeaux, n’a plus connu de problème grave depuis près de 20 ans, les Ultramarines remettaient en cause les mesures prises par la direction actuelle du FCGB. Nous avons alors voulu recueillir les témoignages de ceux qui sont en première ligne de la sécurité du stade, à savoir les stadiers. Deux d’entre eux nous ont confié leur vision des choses, recoupant ainsi intégralement les alertes des supporters bordelais, quant à l’échec de la politique menée par Frédéric Longuépée et son responsable sécurité, Arnaud Poupard. Ces deux témoignages seront sous couvert d’anonymat car il existe des clauses de confidentialité notamment pour les stadiers encore liés contractuellement au club, même s’ils ne vont en rien trahir quelque chose de très confidentiel, ce dossier ayant été abordé longuement par Florian Brunet ces derniers mois. Les propos, vous le verrez, confirmeront l’importance d’un système qui a très bien fonctionné jusqu’à présent, et que la direction actuelle a voulu chambouler, occulter, en prenant l’axe du tout répressif, sans prendre en compte l’avis et la réalité exposés par « la base » des stadiers les plus anciens.
Nous avons baptisé le premier Yann. Ce stadier d’une cinquantaine d’années n’est plus lié au club depuis près d’un an, et a plus de 20 ans d’ancienneté dans sa fonction. Il avait notamment des responsabilités quant à la tribune du Virage Sud, et a décidé de quitter le club des suites d’une incompatibilité de vision avec la direction actuelle. Le second se prénomme Pierre, et est lié contractuellement au club depuis un peu moins de 20 ans, même si la pandémie l’oblige à ne plus exercer sa fonction. Ces deux personnes ont donc connu l’ère Jean-Louis Triaud, et surtout la transition avec King Street, qui est aujourd’hui au cœur de toutes les craintes et attentes. Tous deux sont fiers d’être stadiers, un métier qui ne s’improvise pas. Il ne s’agit pas de leur métier premier et souvent d’un complément de salaire, mais ils le maitrisent.
Le métier de stadier
Yann commence. « Je ne suis plus stadier, car j’étais en désaccord avec la politique mise en place par Monsieur Poupard, via Monsieur Longuépée. Monsieur Poupard ne voulait plus de mes services, concernant le Virage Sud. Je ne me voyais pas faire de la répression, des interpellations. Ce n’est pas comme ça que je travaille. D’une manière générale, dans notre service ou au club, tous ceux qui ont un avis contraire à la direction actuelle, ne sont pas considérés. Leurs demandes ne sont pas prises en compte ». Pierre, de son côté, ne veut pas parler au non de tous ses collègues, même si la très grande majorité est d’accord avec lui. « Je n’ai pas la prétention de parler au nom des stadiers, c’est ma vision personnelle, avec mon vécu. J’ai vu le mouvement ultra se développer, se structurer, même s’il l’était déjà quand je suis arrivé. Depuis, il s’est fortifié. Les stadiers qui travaillent au Virage Sud, sont souvent ceux qui ont le plus d’expérience. On ne peut pas mettre quelqu’un de novice, ou quelqu’un qui est trop nerveux, qui vient de rentrer dans l’équipe. Non, il faut des gens calmes. Il y a une certaine façon de travailler, il y a des résultats. La preuve en est, il n’y a pas d’incidents depuis 20 ans ».
La sécurité prônée par le duo Poupard-Longuépée : le tout répressif pour asseoir une autorité inutile
Rapidement, les deux stadiers entrent dans le vif du sujet, à l’instar de Pierre. « Frédéric Longuépée et Arnaud Poupard sont arrivés avec des idées bien arrêtées, et ils n’ont pas du tout bien calculé le mouvement ultra. Ça a été leur tort, et ça n’a fait que s’aggraver de mois en mois ». En désaccord avec la vision d’Arnaud Poupard – ou plutôt de celui qui lui donne les ordres – Yann, celui qui a quitté le club il y a quelques mois, s’explique, donnant les prémices d’un désaccord important. « Arnaud Poupard, lors de sa première présentation, au mois de juin 2020, nous a écouté. Je lui ai expliqué notre façon de travailler. Il n’était pas concevable que je rentre dans la tribune pour faire de la répression, parce que ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. C’est ce qui nous a été immédiatement demandé. Cela fait 18 ans que plus personne ne rentre dans les kops, on sait que ça fait plus de dégâts qu’autre chose. Même la police n’y va plus d’ailleurs, elle ne fait que les interpellations en-dehors du stade. C’était déjà une prise de position, mais il y a eu une certaine écoute, relative cependant. Je savais que la tâche n’allait pas être facile pour lui. Il y a eu ensuite une seconde réunion au mois de janvier, où on a commencé à nous expliquer qu’ils voulaient avoir des stadiers en civil au sein de la tribune. J’ai alors répondu que c’était une très mauvaise idée. D’abord parce que les ultras nous connaissent aussi bien que nous les connaissons, et ensuite parce que ça va créer des mouvements de foule, de la bousculade, des dégâts. Pour moi, la bonne solution était de trouver quelque chose pour apaiser. J’ai alors soumis l’idée de laisser le véhicule des ultras avec leur matériel accéder au stade (chose qui avait été retirée par Frédéric Longuépée au début du conflit, ndlr). Parce que cela nous permettrait de travailler dans un certain confort. Tout le contrôle se faisait sur le parvis derrière la tribune, sous le Virage Sud, avec beaucoup de gens qui passaient. C’était nettement moins confortable par rapport à avant. Avant, on était sous la VDI, dans l’enceinte. Ça, pour moi, c’était un geste fort, un geste significatif qu’il aurait pu faire. Et là, il nous répond ‘il me faut quelque chose en échange’. C’était pourtant simple ce qu’il avait en échange, c’était l’apaisement, une situation apaisée. C’était un pas en avant pour moi, et au fond, c’est quand même ce qui devrait être le but premier de sa fonction : l’apaisement ». Pierre complète. « Il faut être honnête, la situation était déjà irrévocable, puisque cette direction est allée trop loin. Mais c’était la possibilité de pouvoir travailler, pour nous stadiers, dans une certaine sérénité ».
La méthode est simple : casser tout ce qui a été fait auparavant, comme pour montrer qu’on existe. Et surtout, sans prendre en compte ce qui a été fait avant, qu’il soit bon ou mauvais. Que cela ait eu des résultats, ou non. Peu importe. Cette méthode est un peu à l’image de ce qu’ont connu les Girondins de Bordeaux depuis le rachat, à savoir des personnes ayant des idées préconçues sur tout, ne prenant absolument pas en compte les autres avis, et l’environnement du club. Yann, stadier depuis plus de 20 ans, prône le système qui a été mis en place jusqu’à la saison dernière, et depuis donc une vingtaine d’années. « Notre façon de travailler n’est pas unique, elle existe aussi ailleurs. Mais à Bordeaux nous avons gardé une particularité, c’est d’avoir un service interne de sécurité. On sait bien que Monsieur Poupard, via Monsieur Longuépée, avait l’ambition d’effacer tout ça, parce que ça ne leur plaisait pas. Pour eux, il y avait trop de libertés au niveau des ultras, et ça n’allait pas dans le bon sens. Sauf qu’à Bordeaux ça fait au moins 20 ans qu’il n’y a plus d’incidents. Donc la démarche est d’aller contre quelque chose qui se passe bien. C’est aller contre le bon sens, le bon sens commun, l’intérêt de tous. On est tombé sur quelqu’un qui est un policier de formation. L’homme, je ne le connais pas, je ne peux pas parler de l’homme, je reste sur le responsable de sécurité. Il n’y a pas de procès à faire sur Arnaud. Mais le directeur de la sécurité… ». Pierre, lui, veut mettre en avant l’importance de l’expérience des stadiers. « Quand vous avez des gens au stade qui sont là depuis plus de 20 ans, et même parfois 30 ans, voire 35 ans… Cela amène une valeur ajoutée au club, c’est une connaissance du terrain. Ces gens qui ont cette valeur ajoutée, vous n’allez pas les trouver sous les sabots d’un cheval ». Pierre confirme aussi qu’il a été suggéré aux stadiers de se rendre en civil dans le Virage Sud, contre le bon sens et même… la loi. « Lors de cette réunion en janvier, on a commencé à nous expliquer qu’il fallait mettre des gens en civil dans la tribune. Le problème, c’est qu’on n’a pas le droit légalement, on est obligé d’avoir une carte professionnelle et d’être visible par tous. Ca n’avait donc pas lieu d’être. Et puis, c’est impossible matériellement car si on connait bien les Ultras, eux nous connaissent très bien aussi. Il y a un respect mutuel ».
La relation ultras-stadiers
Ni Yann, ni Pierre, sont encartés Ultramarines. Ils n’ont d’ailleurs pas forcément la même vision que les supporters du Virage Sud sur différents sujets sociétaux. Mais ils se rejoignent tous les deux sur un point : comme dans toute relation, il faut un échange et un respect mutuel. « Les ultras, vous savez, c’est avant tout des militants du football, témoigne Yann. Ce sont des gens qui sont là pour la cause, pour leur club. Ce ne sont pas des hooligans. Je ne suis pas agent de sécurité, je suis un stadier. Un stadier, ça connait son environnement, ses tribunes, le mouvement ultra. Si vous n’avez pas ces bases, vous allez vous casser les dents. Déjà parce que vous n’allez pas savoir avec qui vous allez parler, il faut d’abord choisir son interlocuteur, aller voir le capo, le responsable, et expliquer la situation ». L’expérience qui fait la différence. Pour autant, la relation de respect ne s’est pas faite du jour au lendemain, ajoute Yann. « Au départ, les ultras ne me calculaient pas, ils ne me disaient même pas bonjour, je n’existais pas. Et puis le respect et la confiance se sont instaurés au fur et à mesure du temps. Vous savez, quand vous partez ensemble au fin-fond du Kazakhstan, ou en Pologne, en Serbie, en Grèce… Il y a une certaine solidarité qui se crée. C’est très difficile parfois de travailler dans ces pays-là, et cela crée des liens. On est chacun de notre côté de la barrière, mais il y a quand même ce respect mutuel, il y a un dialogue ».
Des mots qui résonnent chez Pierre, pour qui l’entente fonctionne dans les deux sens. « C’est une entente réciproque. Des fois, il peut y avoir des gens, et ça arrive de temps en temps, qui sont supporters d’une équipe adverse, qui viennent semer le trouble dans la tribune. Notre but est justement, par les capos, d’en être informés. Vous savez, ils connaissent leur monde, et quand il y a quelque chose qui commence à être louche, ils nous avertissent. Arnaud Poupard, sur ses positions, nous a dit ‘ça, on ne m’en jamais parlé’, remettant en doute ce qu’on lui disait. Evidemment, qu’il ne l’a pas vu, parce que ça ne se voit pas, justement ! Quand dans une tribune tout se passe bien, que vous n’avez pas d’incidents, on se dit ‘la sécurité, on n’en a pas besoin’. Sauf que les extractions se font très discrètement, et dans le respect. Par contre, on nous rétorque : ‘les fumigènes, vous n’êtes pas capables de les trouver, alors on va mettre des Golgoths qui vont les trouver’. On n’est parfois pas considérés ».
Il y a le terrain, mais cette relation peut aller beaucoup plus loin, comme le fait remarquer Yann. « Nous avons eu récemment un responsable de la sécurité qui est décédé, il était proche des joueurs, un stadier historique. Les ultras ont fait une banderole pour lui, une minute d’applaudissements. Quand il y a un ultra qui décède, il y a toujours un responsable des stadiers du Virage Sud qui y va. C’est un respect mutuel. Ca ne nous empêche pas parfois d’être en désaccord sur certains sujets, parce qu’on est chacun dans son rôle. On sait être coercitifs. On peut discuter mais la seule chose, c’est si on y va frontalement, ça va à la casse ».
Les deux stadiers, que l’on peut considérer d’historiques de par leur ancienneté, ont un profond respect pour les ultras, même s’ils ne font pas forcément partie du « même monde ». « Ce ne sont pas simplement des gens qui boivent de la bière, qui chantent, et qui allument des fumigènes argumente Yann. C’est autre chose. C’est une organisation, c’est structuré. Quand ils parlent, ils parlent de dossiers. Au niveau de la communication, je pense qu’ils pourraient donner des leçons à certains aux Girondins… Ils le disent peu, car ils n’ont pas envie de se mettre en valeur sur ça, mais ce sont des gens qui vont faire des repas pour les nécessiteux, qui vont faire des collectes de vêtements, etc… Tout un côté social. On prend les ultras pour des demeurés, des gens sans foi ni loi, qui ne respectent rien. C’est faux. Ils vont allumer un fumigène, oui, mais là encore, la loi va évoluer dans quelques temps, et on partira sur des choses encadrées. D’ailleurs, c’est ce qui se fait déjà à Bordeaux… ». Pierre abonde. « Le mouvement ultra, c’est une culture. Si on ne connait pas les bases, on se casse les dents. Ces gens là étaient là avant Arnaud Poupard. Ils étaient déjà là avant que j’arrive, et quand je vais partir, ils seront encore là. C’est pareil pour Arnaud Poupard, Monsieur Longuépée. Ce n’est pas un discours d’ultra, c’est tout simplement la vérité. Il faut tenir compte du mouvement ultra ».
Frédéric Longuépée a voulu « mater » le Virage
Ce sont des mots forts, des mots que l’on n’avait entendu que de la part des porte-paroles des Ultramarines jusqu’à aujourd’hui. Yann a assisté aux consignes données par Frédéric Longuépée, et exécutées par Arnaud Poupard. « Il faut appeler un chat un chat, Frédéric Longuépée a eu envie de mater le Virage Sud, à sa façon. Parce que c’est évident, son envie était de mater le Virage Sud. Et pour certains stadiers, pour ne pas dire la totalité, c’est impossible de s’inscrire là-dedans. Il y a un exemple très concret à ça, le jour où on a vu arriver des agents de sécurité d’une société privée de Paris. On a vu arriver des agents aux biceps saillants et à la mâchoire carrée. Ce jour-là, d’ailleurs, ils l’ont dit ouvertement et dans ces termes : ‘Nous, on est là pour mater le Virage’. Ils ont pris notre place au niveau de la palpation. Il y a l’idée de croire qu’il y a de la connivence avec les stadiers, celle de croire que ce sont les stadiers qui laissent passer des fumigènes à la palpation par exemple, alors que c’est entièrement faux. A l’inverse d’une zone visiteuse, où on fait passer les gens dix par dix, et comme on dit dans le jargon ‘on les dépouille’, là bien souvent les fumigènes tombent par terre tout simplement parce qu’on a le temps de le faire. Au Virage Sud, c’est impossible. Cela demanderait beaucoup trop de temps : à la mi-temps vous n’auriez pas la moitié du Virage qui serait rentrée, vous auriez alors des mouvements de foule. Pour revenir à ce match où on voit arriver 50-60 agents de sécurité privée, cela n’a pas mis cinq minutes pour que ça se passe mal… En fait, à partir du moment où il y a un problème d’amorce… Quand vous arrivez dans la tribune et que vous voulez en découdre, vous avez perdu d’avance. Il y a 20 ans, on a eu un Bordeaux-Lorient, on faisait de la répression, et on a eu des dégâts. Et des deux côtés. Les ultras, même s’ils sont non-violents à la base, il est évident qu’ils ne laissent pas leur part aux chiens. Depuis, on a su se parler, on a su construire, avancer. Mais si vous arrivez pour en découdre, vous allez vous casser les dents. Cela parait logique, non ? ».
Frédéric Longuépée est arrivé en provenance du Paris Saint-Germain, où il a connu le plan Leproux. Seulement, et si l’on connait la finalité de ce plan – à savoir aucune, puisque la direction du PSG est venue rechercher les ultras parisiens – la direction actuelle a voulu procéder de la même manière, encore une fois en ne prenant pas en compte le contexte bordelais, selon Yann. « Il faut tenir compte de ce qui s’est passé avec le plan Leproux à Paris. Arnaud Poupard nous a un jour cité ce plan. Mais il n’avait pas révisé ses dossiers, car s’il avait su ce qui s’était passé exactement à Paris… Ce n’était pas du tout les mêmes composantes qu’à Bordeaux. A Bordeaux, on a des supporters plutôt progressistes dans la mentalité. A Paris, il y avait un côté banlieue, et un côté nationaliste. Les deux se sont affrontés, il y a eu de la casse, puis la mort de ce leader de Boulogne, Yann Lorence. Le plan Leproux est arrivé, en cassant les Virages. Les Qataris ont ensuite essayé de faire sans les ultras, avec des animations comme chez nous, sur le parvis et dans le stade. Soit dit en passant, j’ai été choqué quand certains ont dit qu’ils voulaient créer un nouveau public. Mais le public, ils l’ont déjà ! En fait, ils voulaient recréer un public à leur image. A Paris, au final, ils sont allés rechercher les ultras, qui sont redevenus plus forts qu’ils ne l’étaient avant. En France, on a cette culture des tifos, de mouvements de fête ; c’est un public latin ». Pierre a été dans le même sens. « On a essayé de leur dire qu’ils se trompaient, que le mouvement ultra c’était autre chose, qu’il fallait composer avec eux. Visiblement, le Président a voulu faire autrement, et ça a commencé à s’enliser ».
Arnaud Poupard testé lors des jauges
Souvenez-vous. Des suites de l’instauration des jauges, au début de l’épidémie, Arnaud Poupard s’était affiché au Virage Sud, exigeant à un supporter, venu en famille, de s’asseoir. Les Ultramarines, eux, n’étaient pas présents car estimant être dans l’incapacité de respecter les gestes barrières, de par leurs traditions. Yann se souvient. « Un jour, sur un match, un gars était au Virage Sud, et n’a pas voulu s’asseoir. C’était un père de famille avec son enfant. Arnaud Poupard n’a rien trouvé de mieux que de faire une interpellation. Ce n’est certainement pas comme ça qu’il faut procéder. ‘Il fallait agir’, nous a-t-il répondu. En fait, cela montrait à Monsieur Longuépée qu’il avait agi… Mais les conséquences… Le match suivant, tout le Virage Sud est venu alors qu’il avait décidé au départ de ne pas venir. Plusieurs dizaines d’ultras sont alors venues dans la tribune ». Première erreur, provoquer et profiter de l’absence des Ultramarines. Au match suivant à domicile, les Ultramarines, armés de leurs masques, sont finalement revenus pour montrer qu’ils étaient toujours là. Ce qui a ensuite entrainé des scènes cocasses avec accusations de la direction actuelle sur le non-respect des gestes barrières, tandis que toute la tribune présidentielle ne portait pas le masque, le PDG du club en tête de file. « Le plus drôle, ce jour-là, c’est qu’il a été reproché aux Ultras de ne pas respecter les gestes barrières, se souvient Pierre. Et dans le même temps, tu avais des gens dans la tribune Présidentielle qui étaient sans masque… Même à nous, stadiers, on nous a dit que ces gens étaient en train de manger. C’était évidemment totalement faux. C’est ça le problème, c’est le paradoxe. Ne pas vouloir admettre certaines choses et ses erreurs, et essayer de faire la morale, et bonne figure. Au final, Arnaud Poupard n’a rien gagné, il a fait revenir la tribune, tout en faisant monter d’un cran la tension ».
Il s’agit selon Yann d’un cruel manque de connaissance du monde des tribunes, du métier de responsable sécurité qu’Arnaud Poupard exerce, ce dernier étant de formation policière, avec d’autres méthodes. « Il n’a jamais écouté la base, ça a été son gros problème. On ne peut pas faire de la sureté dans un stade de football, comme on fait de la sureté sur la voie publique. Je peux concevoir qu’un policier ait du mal à le comprendre, parce qu’il est formaté d’une certaine façon. Je le comprends, vraiment. Mais il n’est plus policier. Et surtout, nous, on était là pour faire la transition, on a essayé de lui expliquer. J’ai bien vu à sa tête qu’il ne comprenait pas… Il y a un complet décalage. Et en plus, ils s’y prennent mal. Ca a été dès le début, et ça n’a fait ensuite que s’aggraver, par manque de connaissance et d’écoute ».
Bannir la liberté d’expression et les banderoles
Le Virage Sud avait fait très fort, lors de ce Bordeaux-Nîmes, avec des banderoles ayant la largeur de tout le Virage Sud centre, à l’intention de King Street. Mais même la plus petite banderole ou le petit nom d’oiseau, même d’ailleurs pas forcément vulgaire, a toujours irrité Frédéric Longuépée, et donc Arnaud Poupard, missionné pour les bannir. « Arnaud Poupard nous a dit qu’il y avait des choses violentes, notamment quand on dit au Président de ‘dégager’, explique Pierre. Et il nous a clairement dit qu’il faudrait descendre dans la tribune pour calmer tout ça. En fait, ils voulaient faire taire une tribune. J’ai halluciné. On ne peut pas faire une tribune. C’est juste impossible, cela s’appelle la liberté d’expression. A Bordeaux, comme dans n’importe quel club, c’est impossible d’empêcher les banderoles. Imaginez à Marseille, c’est puissance 10 ! ». Yann a même vu des choses complètement hors-sol, toujours par manque de connaissance. « Ils nous ont expliqué aussi que lorsque les supporters faisaient des tifos, le fait de descendre entre la tribune et derrière les panneaux publicitaires, pour eux, c’était un envahissement (rires). Quand vous avez les banderoles qui font 40 mètres de long, pour les manœuvrer, vous êtes bien obligé de descendre… Ca se fait dans tous les stades. Tous, sans exception. Arnaud Poupard nous a assuré que non, alors qu’il n’avait vu presque que des matches à huis-clos… (rires) ».
Un gouffre entre l’ère Jean-Louis Triaud et l’ère Frédéric Longuépée
Yann, qui a connu les deux Présidents, ne peut que constater le canyon qui existe entre les deux présidences. « Jean-Louis Triaud nous appelait affectueusement ‘les gros’. Il y a plusieurs stadiers qui font partie des déplacements, et pour des raisons de coûts, on se déplaçait avec les joueurs en avion. En même temps, sur place, on faisait un peu la sécurité, on filait un petit coup de main. Et le jour où Monsieur Longuépée est arrivé, ils avaient décidé qu’on partirait avec le bus des joueurs trois jours plus tôt. Sauf que partir avec le bus, cela faisait poser trois jours aux stadiers, les héberger, les nourrir, et les gens ne peuvent pas forcément aussi de par leur emploi du temps et leurs obligations… Cela revenait donc aussi cher voire plus, car il reste souvent 4-5 places dans l’avion… Dès lors, on avait bien senti qu’il y avait quelque chose (contre nous). Monsieur Longuépée a été trop péremptoire dans sa vison des choses. Avec Le Prèz (Jean-Louis Triaud, ndlr), on pouvait parler. On a toujours gardé les distances, il n’y avait aucune familiarité, mais on faisait partie de la famille. Là, c’était impossible de parler directement au Président, il y avait comme une distance obligatoire avec la hiérarchie. On est passé d’une gestion dite familiale, à quelque chose qui nous était complètement étranger. Sauf qu’on n’était pas fermés du tout, au contraire, mais il n’y a que très rarement eu une écoute, ou un pas vers nous ».
Les rémunérations des stadiers baissées
En plus de leurs conditions de travail, et des consignes de « répression » qu’ils reçoivent, les stadiers ont vu leur salaire diminuer, comme le confie Yann. « C’était à l’époque où on parlait de diminuer les salaires des joueurs. Et Arnaud Poupard avait donné son aval, même si ce n’est pas lui qui avait décidé, de baisser de 10€ les salaires des stadiers. Mais c’est une honte… Au niveau des stadiers, il y a un peu de toutes les classes de population, il y a des gens qui travaillent dans l’administration, dans le privé… Il y a aussi des gens qui ont besoin de ce complément de travail, et on leur diminue leur rémunération. A l’inverse, lui, n’avait pas baissé son salaire. Là aussi, il y a une incompréhension qui s’est créée ». Pierre confirme, tout en mettant en avant le nouveau côté contradictoire de cette décision, avec la venue presque dans le même temps d’une sécurité privée payée rubis sur l’ongle. « Il y a des gens qui sont là depuis longtemps, ils ont un potentiel et une valeur ajoutée, et la seule chose qu’on trouve à faire c’est d’effacer tout ce passé, ‘ce que vous faisiez, ce n’était que de la merde’, en gros… ‘Nous, on va vous expliquer comment ça fonctionne’. On essaye de faire des économies, ce n’est pas du tout productif au final, et à l’inverse on est capable de payer 300€ des stadiers qui viennent de Paris… C’est le paradoxe avec le fait d’enlever 10€ à des stadiers ».
Et maintenant ?
Florian Brunet n’a eu de cesse d’alerter les pouvoirs publics et les politiques sur la dangerosité de la situation. Car si pour le moment les stades sont vides, le Président de la République et le Gouvernement ont sorti des dates de retour progressif à la normale. D’où la nécessite de trouver une issue rapide. « Ce qui sauve actuellement les gens en place, assure Yann, c’est que les tribunes ne soient pas ouvertes. Arnaud Poupard, alors que cela ne faisait que 6 mois qu’il était là, était en train de m’expliquer le travail alors que cela fait des décennies que des stadiers sont là ». Pierre ajoute. « Il faut vraiment qu’une avancée rapide soit faite, car prévenir, c’est guérir. S’il advenait que l’on retourne au stade dans l’état actuel des choses, il y aura forcément des débordements. Et vu la situation tendue au sein du club, et dans tout l’environnement, il suffira d’une étincelle… Sans être au stade depuis des mois, la tension est palpable, alors une fois dedans… ». Yann parle même de mépris de la part des dirigeants en place, qui doivent se remettre en question, s’ils sont toujours à la tête du club d’ici là. « Nous, on les appelle les Girondins, eux l’appellent Bordeaux. Nous, on a toujours défendu les intérêts du club, on a même souvent mis notre intégrité en jeu, et aujourd’hui on ne nous respecte pas. On est plus respectés par le mouvement ultra. C’est un respect mutuel. Et ça, Monsieur Longuépée ou Arnaud Poupard, ont du mal à le comprendre. On n’a pas été écoutés ». Des incompréhensions et des différences de point de vue qui peuvent s’avérer dangereuses au retour du public dans les stades. Deux mondes, deux planètes, mais seule la réalité compte : le danger de reprendre dans ces conditions.