InterviewG4E. Marvin Esor : “Les supporters aux Girondins, ce sont plus que des supporters, c’est un peuple”

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    Formé aux Girondins de Bordeaux, Marvin Esor aurait dû signer professionnel avec son club formateur. Mais l’ex-latéral droit a choisi de signer à Arles et d’avoir du temps de jeu. Après une bonne saison en Ligue 2, il rejoint Clermont, où il va confirmer tout son potentiel pendant près de trois saisons en seconde division. De retour dans la région depuis 2017, il connut depuis une belle aventure avec le Football Club Bassin d’Arcachon. D’abord en tant que joueur, puis aujourd’hui en tant qu’entraineur de l’équipe première. Le bordelais de cœur évoque avec nous les changements des dernières semaines aux Girondins de Bordeaux, du changement de propriétaire jusqu’aux derniers changements au niveau du sportif, sans oublier évidemment cette rencontre de dimanche face à Clermont, et la saison à venir avec Arcachon. Interview.

     

    Comment as-tu vécu cette période où le club était à deux doigts de disparaitre ?

    Personnellement, c’était compliqué à vivre. Tu as une attache beaucoup plus qu’un club. Tu as des gens que tu connais, tu t’inquiètes pour eux, ceux qui font vivre le club. L’équipe première est une vitrine, mais derrière tu as toutes les entreprises, des supporters… Pour moi, les supporters aux Girondins, ce sont plus que des supporters, c’est un peuple. Ils vivent à travers leur club depuis tant d’années. Quand on parle de peuple, c’est vraiment une communauté. Ce ne sont pas de simples supporters qui viennent voir un match, ils payent aussi pour avoir du plaisir. C’était surtout pour moi tout l’environnement qui m’inquiétait, plus que la division, la Ligue 1 ou la Ligue 2… Quand tu vois la difficulté dans laquelle on est tombé ces deux années, avec ce qui se passait autour… Tu ne pouvais qu’être inquiet. C’était touchant.

     

    Il y a eu aussi un élan, sans débordement, contrairement à d’autres clubs, qui a fait que Bordeaux s’est différencié.

    Au-delà d’être des supporters, c’est vraiment un peuple. Tu as cette notion d’histoire, de respect, de vécu, et tout ça ressemble à notre région aussi. Dans le Sud-ouest, on n’est pas des mauvaises personnes. On sait se faire entendre, mais avec les bons mots, et surtout le respect. C’était dur quand on y repense. Il y avait une image qui me frappait à chaque fois… Quand je revenais au centre d’entrainement, plus je revenais, plus j’avais l’impression qu’on allait vers le désert… Tu as les beaux textes, et il y a ce que tu vois. Il y a aussi ce qu’on entend, et certains sont capables de te vendre ce qu’ils veulent te vendre. Mais après, il y a ce que tu vois. Et quand tu vois le centre du Haillan, je suis désolé… je voyais un désert. C’est ce qui m’a impacté le plus. J’ai grandi, je me suis formé en tant qu’homme entre ces murs, et hormis un peu l’Académie qui a été refaite – mais encore heureux – autour des terrains… Ce que représentait cette plaine à l’époque, que tu as connu aussi d’ailleurs… Et là, on te dit que tu ne peux plus rentrer… Il y avait des joueurs comme Denilson qui avaient amené des centaines de personnes au centre d’entrainement et là… Il y avait un manque d’ouverture, qui ne correspondait pas du tout aux valeurs du club, mais aussi de la région. On ne nous éduque pas comme ça. Et forcément, tu crées un fossé, des distances, et une incompréhension totale.

     

    La nouvelle direction du club semble aller à l’inverse, que ce soit au niveau des la communication mais aussi des faits… C’est encore frais, cette arrivée de Gérard Lopez, mais quelle impression as-tu de ce qui se dessine ?

    Pour connaitre des personnes qui le connaissent et qui ont travaillé avec lui, c’est une personne ambitieuse, et on a pu le voir. Mais avant tout, il y a une certaine réflexion. De lui-même, on le sent, il ne se met pas plus haut que le club. Il y a eu une histoire avant lui, et il semble qu’il a vraiment pris les mesures afin de connaitre l’histoire de ce club, la culture de la région. Je suis assez confiant. Il a fait de belles choses à Lille, même si certains le décrient, mais peut-être parce que ces mêmes personnes ne sont pas capables de faire ce qu’il a fait… Ils sont surtout capables de parler, mais pas de faire. Il fait grandement partie du succès lillois. Il ne faut pas oublier que c’était compliqué aussi, même avant qu’il arrive. C’était une reprise très compliquée. Je suis confiant. Mais il va falloir laisser du temps aussi. Il va peut-être falloir passer sous la vague comme on sait le faire (rires). Puis ce club deviendra ce qu’il aurait dû être dans les années à venir. Je n’ai pas envie de dire qu’il redeviendra ce qu’il était, mais il deviendra le club qu’il devra devenir.

     

     

    Il y a eu un premier grand changement, le changement de coach. Jean-Louis Gasset a soufflé le chaud et le froid, mais dans ce contexte compliqué… Comment analyses-tu son second passage en Gironde ?

    Jean-Louis, je l’ai côtoyé sur mes dernières années aux Girondins, avec les pros. Sa saison est un peu à l’image du contexte, le pauvre. C’est une très bonne personne. Il ne pensait pas retrouver le club dans un tel état. A partir de là, ça résume aussi le football. Une seule personne ne fait pas tout, on le voit dans plusieurs clubs. Il a réussi quand même à faire naviguer le bateau, avec un fossé de générations extraordinaire. Et ça, ce n’est pas facile, cela demande beaucoup d’énergie de manager un groupe. Mais là, je ne dirais pas qu’il manageait un club, mais toute une section sénior avec tous ses déboires. Je lui tire un grand coup de chapeau. A cet âge-là, je pense qu’il avait autre chose à faire que de venir se casser la tête à faire ce qu’il a fait.

     

    Que penses-tu de son remplaçant, Vladimir Petkovic ?

    Je suis assez curieux de voir. Au premier regard, quand on voit la Suisse, il y a quand même un résultat derrière. Le plus dur ce sont quand même les résultats, que ce soit une sélection, un club, ou du football d’entreprise… Tu as des hommes à manager, des idées à faire passer, et visiblement il a réussi à le faire avec la Suisse. Je ne lui souhaite que du bien, et qu’il puisse réussir les choses d’autant plus avec les Girondins de Bordeaux. Mais c’est intéressant. C’est le contenu derrière ce choix qui nous dira si c’était le choix idoine.

     

    A quels postes Bordeaux devrait se renforcer selon toi ?

    Alors là, c’est une sacrée colle… (rires). Mais si on ne devait citer qu’un seul poste, ce serait un attaquant, chose que Bordeaux a toujours eue. Il faut vraiment passer derrière les mecs qui sont passés au club. On sait tout ce qu’un attaquant peut t’amener, même lorsque tu es défenseur. Tu ne joues pas pareil quand tu sais que tu as un attaquant qui est un tueur, un killer, qui te met au moins un but par match. En fait, tu ne défends plus pareil. On est dans un football vraiment protagoniste aujourd’hui. Je pense qu’un bon attaquant peut te sortir de matches compliqués. Il faut aussi dire que deux bons latéraux, ça a toujours été la marque de fabrique des Girondins. Je les ai toujours connus comme ça. On devrait être bons là-dessus, on devrait former ces joueurs-là.

     

    Est-ce qu’on peut un peu comparer le parcours de Marvin Esor, qui n’a pas réussi à jouer aux Girondins de Bordeaux, et qui s’est réellement installé en professionnel en L2, à celui de Vital N’Simba ?

    Il va retrouver Bordeaux, et dans le championnat fort de notre pays. Je regarde souvent Clermont, et j’aime beaucoup son style de jeu, comment il anime son couloir. Aujourd’hui en tant que coach, c’est ce genre de latéral que j’aimerais avoir en tout cas.

     

     

    Toi, tu étais surtout présent à la période faste des Girondins, et des latéraux étaient en place… Tu aurais pu signer pro avec Bordeaux (un contrat d’un an lui avait été proposé, ndlr), mais tu n’aurais pas joué et tu as donc fait le choix d’aller à Arles… Avec le recul, il y a un petit regret ou pas du tout ?

    Non, ça m’a plus forgé qu’autre chose. C’était un choix concerté avec Patrick Battiston, qui m’a beaucoup aidé. Il y avait d’un côté la gestion du club, où on pourrait redire plein de choses. Mais après il y avait la question d’homme, et sur ce plan-là Patrick l’a très bien compris. On a toujours cette relation un peu particulière. Si je l’appelle, je n’ai pas de gêne, et c’est pareil pour lui. Ma situation à cette époque était aussi d’ordre familial, j’allais être jeune papa. Il avait bien compris qu’il fallait que j’expérimente, que j’invente autre chose. Il m’a aidé dans ce cheminement, il a eu les mots justes. Je ne regrette pas ce choix-là. Le club m’a beaucoup donné, moi petit garçon de Corrèze et d’Ussac. En être arrivé là où je suis arrivé, je ne peux pas avoir de regrets.

     

    C’est à l’époque un choix qui tranche avec ce que l’on voit aujourd’hui. Maintenant, on ne réfléchit pas et on signe directement un contrat pro, même si on sait pertinemment qu’on ne va pas jouer…

    C’est ça. Quand je pars, je touche moins à Arles qu’aux Girondins, si on parle d’argent. Je pars, je rate ma dernière épreuve du Bac. Et quand je pars à Arles, je passe le dernier péage, je n’ai même pas assez pour revenir… C’est symbolique. Je n’ai plus d’économies, je n’ai plus rien. J’ai demandé à ma mère de m’envoyer un petit mandat cash quand même parce qu’on ne sait jamais (rires). Et en plus, j’étais dans l’attente d’un club qui n’avait pas encore passé la DNCG… J’avais d’autres propositions, en National notamment, mais je partais avec un état d’esprit. Je rentrais dans le monde des grands, avec une éducation qui me permettait de pouvoir affronter ce monde-là. Aujourd’hui, on est complètement dans une autre dynamique, c’est pour ça qu’il faut savoir s’adapter aussi à l’environnement. On ne peut pas blâmer les jeunes aujourd’hui. S’ils sont comme ça aussi, c’est qu’on les a créés comme ça. On ne peut pas refaire le monde, donc il faut s’adapter.

     

    Comment tu vois cette rencontre entre Bordeaux et Clermont, même s’il y a beaucoup d’incertitudes encore ?

    C’est difficile (rires). Ce sont mes deux clubs… Bordeaux fait une préparation qui pourrait conclure, en sous-marin, d’un état d’esprit incroyable. Franchement, se préparer dans ces conditions-là, bravo. Mais il y a aussi des prémices qui te font dire que l’état d’esprit est bon. Quand tu vois que Benoit, qui est un top mec, part en stage – même si ça fait du papier – et fait le coach des gardiens… Je veux dire que les mecs ne rechignent pas, ils font ce qu’ils doivent faire, tout simplement. Et ils ne le crient pas sur tous les toits… Pour moi, ils ont bien géré leur préparation en termes de résultats. La compétition arrive, et c’est un autre facteur à prendre en compte. Puis ensuite, tu as Clermont qui reste sur sa dynamique. J’ai aussi regardé tous les matches de préparation de Clermont, c’est super intéressant, il y a du beau jeu, des attaques rapides. Ce ne sont pas des contre-attaques, contrairement à ce que beaucoup disent. Ce sont des attaques rapides et placées, ils savent le faire. Je pense que ce sera un beau match, avec un beau score. Ils rentrent aussi dans une compétition qu’ils ne connaissent pas, et je ne pense pas qu’ils viendront pour trier des lentilles.

     

     

     

    Aujourd’hui, tu es coach du Football Club du Bassin d’Arcachon. C’est une belle histoire, une belle évolution pour toi qui a rejoint le club en 2018 en tant que joueur, qui a offert la montée, pour finir entraineur. C’est une vocation ?

    C’est une histoire un peu voulue aussi. Steve Savidan m’a fait venir, et je ne voulais plus jouer au foot, cela faisait deux ans que j’avais arrêté. J’apprécie beaucoup le club d’Arcachon, sa structure, les gens qui font vivre le club, et sa localisation. Pour moi, c’est un havre de paix. Je sors de Bordeaux, je fais la route, mais je suis bien. C’est un bon environnement, donc je me suis dit que j’allais continuer à y coacher. Même si cet été il y avait pas mal de clubs de la Métropole qui m’ont demandé, mais je m’étais dit que non. Le FCBA m’a donné la chance d’ouvrir les yeux sur ce que je voulais faire. C’est après coup où, depuis tout petit, que je me suis rendu compte que j’analysais pas mal les choses. Je remettais les choses en cause, j’avais mes idées… Mais ce n’était pas une évidence. Il y a aussi l’arrêt de ma carrière qui a été dure à digérer. J’ai fait le choix d’arrêter par rapport à mon genou, et je ne l’ai pas digéré tout de suite. Je me suis un peu retiré du foot, je regardais moins de matches… Et là, quand je vois le nombre de matches que j’avale, je ne fais que ça, je regarde toutes les équipes, je me renseigne sur tout… j’échange aussi beaucoup avec des anciens collègues comme Jordan Galtier, qui lui est adjoint à Ajaccio. On va dire que c’était une évidence enfouie, le club l’a réveillée. Il y a eu aussi l’arrivée du nouveau Président, une personne qui m’a fait confiance par rapport à mon jeune âge, et qui est très ambitieux. Malgré mon jeune âge, je me retrouve dans son discours, dans cette soif d’accomplir la mission.

     

    Tu as fait venir pas mal d’anciens bordelais comme Sacha Clemence ou Christopher Glombard, que tu as connus en formation à Bordeaux. Qui est le prochain sur la liste ?

    (rires). Oh, il y en aura peut-être un prochain… Il a été formé au club, mais… Bon, on verra (rires). Mais si on fait ce qu’on doit faire, on sera un peu plus visibles. C’est toujours bien d’avoir des mecs qui sont passés par les Girondins, qui ont aussi une carrière, mais avant tout avec un état d’esprit. Christopher et Sacha ont un top état d’esprit pour un club comme ça. C’est le plus important.

     

    Quels sont tes objectifs cette saison et celles à venir ?

    C’est simple. Si on fait bien les choses, on sera récompensés, à hauteur de ce qu’on aura fait (sourire).