InterviewG4E. Marc Vernet : “C’est un club qui ne mérite pas ça”

    Marc Vernet, 30 ans de bons et loyaux services en tant que kinésithérapeute aux Girondins de Bordeaux, a tenu à réagir à l’actualité du club au Scapulaire, qui évoluera en Ligue 2 la saison prochaine. De la saison qui vient de s’écouler, en passant par tous les sujets tournant autour du médical, vous allez découvrir son œil avisé sur toutes les dernières actualités bordelaises : La descente en Ligue 2, les salariés, le corps médical, la préparation physique, l’hygiène de vie, les conséquences du Futsal, la descente de 1991, ou encore l’identité…

    Pour rappel également, il y a quelques mois déjà, et en clôture d’une belle carrière, il décida de transformer les mots qu’il avait couchés ici et là pendant sa période bordelaise, en un bouquin accessible à tous, de 75 pages, préfacé par Marc Planus (livre que vous pouvez vos procurer ICI et également sur plusieurs biais que vous retrouverez en bas de page).

     

     

    On craignait cette descente, finalement elle sera bien effective. Qu’est-ce que tu ressens par rapport à ça ?

    C’est grave parce que c’est un club qui ne mérite pas ça. J’ai été pendant 30 ans dans ce club, il y a eu des hauts et des bas, mais ce n’est jamais arrivé à un tel stade. Aller chercher des portugais, des espagnols, tout ça… Je pense qu’il y a des gens bien en France, de bons entraineurs, de bons préparateurs physiques… Vouloir tout changer d’un seul coup, c’est n’importe quoi : la preuve. C’était un club dit familial : familial, cela veut dire qu’il y a des rapports entre tout le monde, et interdire aux salariés de voir les joueurs, de parler avec eux, d’échanger… J’ai souvenir que les joueurs venaient voir les gens qui travaillaient à l’administratif, ils discutaient avec eux, échangeaient… Ne serait-ce qu’à la billetterie, les joueurs venaient chercher leurs places pour les matches… Il y avait des rapports entre tout le monde ! Francis Gillot et ses adjoints, qui ont gagné le dernier titre, ils allaient voir les gens au Château pour discuter avec eux. C’était ça, le club. Ce n’est pas en isolant les joueurs. Là, ils ont inventé une restauration à côté du centre d’entrainement pour ne pas que les joueurs se déplacent au Château, afin qu’ils mangent dans leur petit coin, sans personne…

     

    Est-ce que tu ne penses pas qu’ils ont voulu amener un peu plus de professionnalisme, qui a manqué dans certains secteurs ces dernières années ?

    Oui, mais on a été Champions de France, on a gagné la Coupe de France et la Coupe de la Ligue avec un système comme celui-ci, et ça marchait quand même. Pour rentrer au Haillan, alors que j’y ai passé 30 ans, il faudrait presque que je montre ma carte d’identité, mon passeport, prévenir des gens… C’est pire que la douane. Frédéric Roux, on lui a dit cette année qu’il ne pouvait pas rentrer, entre autres.

     

    De fait, avec cette descente, il y aura une coupe drastique au niveau des salariés…

    Même si je ne suis plus au club, j’ai les boules, et on est plusieurs comme ça. Je pense à mes collègues, ce qui va leur arriver. Les entraineurs des jeunes aussi qui sont des mecs bien, c’est pareil. Les gens de l’administration que je connais encore… Moi qui ne suis plus au club, ça me met en colère, surtout pour les salariés qui vont subir ça… Il y a des gens qui vont être licenciés, alors qu’ils étaient au club depuis très, très, très longtemps. Ce sont des gens utiles, qui ont fait beaucoup pour le club, et ils vont subir leur licenciement de plein fouet.

     

     

    On se fait un peu l’avocat du diable. Est-ce qu’en étant depuis si longtemps au club, avec en parallèle l’image de ‘Club Med’ véhiculée par beaucoup, on n’aurait pas tendance à se reposer sur ses lauriers ?

    Déjà, dans l’administratif, cela m’étonnerait qu’il y ait beaucoup de gens qui se reposent sur leurs lauriers. Il y en a déjà beaucoup qui sont partis lorsque les américains étaient là, des salariés qui sont partis d’eux-mêmes parce qu’ils n’en pouvaient plus, et des gens de grandes valeurs comme la chef comptable qui était quelqu’un de très bien et qui faisait très bien son boulot. Après, la commissaire aux comptes qui était super diplômée et qui était très pro. Ces gens-là sont partis parce qu’on leur demandait des choses qui étaient impossibles. Pas par rapport à leurs compétences, mais par des exigences qui n’avaient rien à voir avec leur travail. On a perdu beaucoup de gens comme ça. On a renvoyé aussi des gens. Il ne reste plus beaucoup d’anciennes personnes dans l’administratif qui ont connu le club d’avant. Quant au Club Med, ça m’a toujours fait rire. L’esprit club à tous les étages : donc beaucoup de jaloux ont véhiculé cette image de Club Med… Il y a eu des bons résultats à Bordeaux, avec des Coupes d’Europe… Quand on a une bonne équipe, une équipe avec des Laslandes, Pavon, Micoud et consorts, cela marche…

     

    Lors de notre dernier entretien, on évoquait le fameux cluster de décembre-janvier. Tu disais que le corps médial était le bouc-émissaire. Finalement, depuis les dernières révélations, on apprend que ce sont bien les joueurs qui ont fait rentrer la Covid au sein du club par manque de sérieux…

    C’était facile. Les dirigeants ont voulu faire du buzz en virant le médecin, pour montrer qu’ils faisaient quelque chose… Mais depuis, le médecin a été pris à Rolland Garros… C’est bizarre, il ne doit pas être si nul que ça. A Rolland Garros, on ne prend pas n’importe qui… Il a même été demandé en équipe de France de handball. Des clusters, il y en a eu partout, dans les entreprises… A l’époque, même dans les transports en commun, même avec le masque, il y a eu des clusters…

     

    Depuis que la relégation est officielle, plusieurs médias, dont le nôtre, commencent à sortir plusieurs dossiers concernant la vie du club, et surtout celle des joueurs. Est-ce que ce n’est pas arrivé un peu tard ?

    C’est difficile de répondre à ça. C’est un peu tard, oui, parce qu’il y a eu plein de choses. Les médias font leur boulot, mais ils ne peuvent pas aller à l’encontre de l’équipe. Une fois qu’on a le résultat, oui, on peut dire les choses, comme on peut dire aussi que les choses auraient pu être dites avant. Maintenant c’est fait… Je crois surtout que ça devait partir des dirigeants. Les dirigeants n’avaient qu’à faire leur boulot, et ils ne l’ont pas fait.

     

     

    On a notamment révélé la fameuse affaire du Futsal. Qu’est-ce que cela entraine de faire un Futsal chez un sportif professionnel ?

    Déjà, un jour off est fait pour récupérer. Mais en fait, le Futsal, c’est le pain béni des kinés, pour tous les gens qui le pratiquent. Il y a des traumas. Les entorses de chevilles, de genoux. Même des professionnels en jouant tranquillement peuvent se faire ce genre de traumatismes. Tu peux aussi avoir des blessures musculaires car le sol est plus ou moins dur. Quant au jeu en lui-même, il est un peu costaud. Il peut y avoir des contacts directs qui sont rudes. Le Futsal, c’est vraiment dangereux. Des contacts qui plus est avec des amateurs en face de professionnels. Mais même quand ils jouent entre eux, parfois, ils y vont, ils se lâchent. Ce sont des footballeurs, donc il y a toujours la compétition qui rentre en ligne de compte. Par contre, la compétition en Futsal, après avoir perdu un match 4-1 la veille, ça me parait un peu léger-léger.

     

    Dans ce qui a été dévoilé par Sud Ouest, L’Equipe et nous-mêmes, est-ce qu’il y a des choses qui t’ont choqué ?

    Dans l’hygiène de vie, déjà le Futsal, puis ensuite s’ils mangent au McDo… Ce n’est pas le top. Tu peux de temps en temps faire un écart. J’ai un exemple dans la tête. Je pense qu’Aurélien Tchouaméni, fait très attention à ce qu’il mange, à ce qu’il fait en dehors. Eh bien, il est en Equipe de France, il joue à Monaco, et il va surement jouer encore plus haut bientôt. Jules Koundé, c’est la même chose. Il n’y a pas de secret. Karim Benzema, s’il en est là aujourd’hui, à un âge dit avancé pour un footballeur, c’est qu’il doit faire attention à lui au niveau de l’hygiène de vie.

     

    Tous ces joueurs-là ont aussi un chef cuisto attitré, que ce soit par le club, ou de leur propre initiative…

    Tu peux avoir des joueurs qui, d’eux-mêmes, font attention, il n’y a pas forcément besoin d’un chef cuisto. Pendant sa carrière, Jaroslav Plasil faisait très attention à ce qu’il faisait, et peut-être que sa femme lui faisait les plats qu’il fallait à ce moment-là. J’ai un autre exemple qui date depuis un peu plus longtemps, Jean-Philippe Durand. Il a fait une grosse carrière en ayant commencé sa carrière professionnelle à 20 ans. Il faisait très attention à ce qu’il faisait en dehors et à l’hygiène de vie. Après, si les joueurs professionnels ne font pas attention… Je connais bien l’athlétisme, et je te certifie que les athlètes de haut niveau font attention à ce qu’ils font en dehors, à ce qu’ils mangent… Ils n’ont pas forcément de chef cuisto attitré, mais ils font attention, et dans leur famille on fait attention.

     

    Tu as connu la descente du club en 1991…

    Oui, c’était une descente administrative. L’équipe qui jouait en deuxième division, c’était une équipe de première division de haut niveau : Dogon, Milojević, Sénac, Huard, Lestage, Ferratge, Plancque, Dugarry, Lizarazu… En défense, ça tenait la route, au milieu aussi, et en attaque il y avait Fargeon. C’étaient des guerriers. C’est des valeurs qu’il faudra, avec des bons joueurs de deuxième division, et avec des jeunes aussi. La Ligue 2 est un moyen de s’aguerrir. Attention, je ne suis pas entraineur (rires). Et il faut un entraineur qui va avec : Laurent Batlles, Didier Tholot, pour ne citer qu’eux. Des membres du cru, des mecs qui ont été aux Girondins, et qui connaissent. Ce sont des hommes qui ont des valeurs humaines aussi. Je suis désolé de dire ça mais ce sont des anciens joueurs des Girondins,  et qui ont roulé leur bosse. Il y en a surement d’autres.

     

    Il y aura également l’importance de retrouver les valeurs des Girondins de Bordeaux.

    Oui, et qu’on revienne à des choses simples, qu’on ne complique pas tout. Là, ils ont tout compliqué, depuis les américains jusqu’à aujourd’hui. Ils compliquent tout, à vouloir éloigner les joueurs du monde réel d’un club… Ce n’est pas la bonne méthode. Marc Planus a dit récemment que depuis que Jean-Louis Triaud a été mis de côté, on a perdu les valeurs du club. Après, Jean-Louis, il avait des défauts aussi, mais ça ne fait rien. C’était homme du cru, c’est le cas de le dire (rires), et quand il poussait une gueulante… Parfois c’était à l’envers, mais ce n’était pas grave, au moins il était près des joueurs. Il n’avait pas peur des supporters. Quand il fallait aller dans le vestiaire, aucun souci pour lui. Même avec nous, il nous disait : ‘vous ne servez à rien !’ quand un blessé ne revenait pas assez vite, mais c’était plus sur le ton de la plaisanterie.

     

     

    Et qu’en est-il de la préparation physique ?

    Eh bien déjà, la saison prochaine, il faudrait un bon préparateur physique aussi, en même temps que l’entraineur. Et non pas une personne qui veut s’occuper de tout, même de la diététique… Il faut arrêter, ce n’est pas son rôle. La préparation physique, ce n’est pas ça, c’est sur le terrain. Après, tout ce qui est à donner avant, les compléments alimentaires par exemple, c’est le rôle du médecin. Ce n’est absolument pas le rôle d’un préparateur physique. Les menus avant le match c’est le rôle du médecin. Peut-être avec l’apport d’un diététicien ou d’une diététicienne, mais c’est le médecin. C’est partout comme ça. J’ai été en équipe de France d’athlétisme, c’était le médecin qui faisait les menus avec l’apport d’un diététicien, c’est lui qui signait à la fin. Ce n’est pas le rôle du préparateur physique qui lui est sur le terrain, et fait de la préparation physique. Il met en forme les joueurs pour qu’ils tiennent 90 minutes.

     

    On en vient forcément à regretter Eric Bédouet.

    Eric, c’est toujours l’entraineur le plus diplômé en France. Il a tous les diplômes de la Fédé. En plus, il était prof’ d’éducation physique, ce qui ne gâche rien. Il ne venait pas de nulle part. On peut lui reprocher des choses aussi à lui, mais c’était un bon préparateur physique. Il était à l’âge de la retraite, mais il aurait pu continuer, peut-être un ou deux ans sans problème. L’argument est que les dirigeants ont pris l’équipe en cours de saison, mais tu peux faire de la préparation physique en cours de saison, tu le rattrapes… Le préparateur physique est capable, sur un élément de l’équipe qui est à la ramasse, de lui faire une préparation pendant un mois pour qu’il retrouve une forme convenable.

     

    “Il était une fois dans un monde foot”, par Marc Vernet, aux éditions amalthée. 9.90€. “Une immersion intimiste dans les coulisses du monde du football professionnel”. 

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