InterviewG4E. Lionel Charbonnier : « Je suis tout le temps attaché à ce club »

    Photo Icon Sport

    Né à Poitiers, Lionel Charbonnier aurait pu atterrir aux Girondins de Bordeaux, mais leurs chemins ne se sont pas rejoints. Il n’empêche que le gardien international français, Champion du Monde 1998 avec l’équipe de France, Champion de France avec Auxerre en 1996, entre autres, a toujours gardé un œil attentif sur le club au scapulaire. Désormais consultant sur RMC, un métier qui lui permet de relier ses deux passions que sont le football et les sports hippiques, Lionel a répondu à nos questions sur l’actualité de notre club. Interview.

     

    Avant de commencer, comment se passe le confinement pour vous ?

    Je suis très privilégié. Je suis à Auxerre donc ça fait 30 ans que je suis confiné ! Je vis au milieu de nos chevaux, on a 28 hectares de prairie au milieu de 200 hectares de bois. Personnellement, ça ne me change pas trop mon quotidien, mis à part le samedi où je sortais pour aller à RMC, sinon je travaillais depuis la maison. Donc, il n’y a qu’un jour par semaine où cela me change, mais c’est surtout les amis qui manquent puisqu’on ne voit plus personne. C’est le gros souci de ne pas voir les copains mais sinon je suis très privilégié.

     

    Au-delà de l’impact qu’a le virus et les mesures sanitaires sur nos vies à tous, le monde du football sera fortement impacté également. Comment pensez-vous que le football français pourra se relever de cette crise ?

    Ca va être difficile. Ca le sera encore plus pour les petits clubs. Un club comme le PSG, avec les Qataris, s’en sortira beaucoup mieux, bien évidemment, même s’ils seront aussi impactés. Les clubs qui étaient déjà ric-rac, qui avaient 6 mois à 1 an d’avance sur leurs finances, vont être très mal. C’est la raison pour laquelle il faut aller au bout de ce championnat afin de toucher les droits TV. Il va sûrement y avoir des remises en question salariales. J’espère que l’on va revenir à des salaires moins importants dans un futur proche.

     

    Les Ultramarines ont signé un communiqué avec 44 autres groupes français pour dire non à une reprise prématurée du football. Que pensez-vous de cette démarche et de leur message ?

    Je suis d’accord avec eux : non à une reprise prématurée du championnat, il n’y a pas de souci ! De toute façon, je pense que ça va se faire à huis-clos, même si je pense que le foot dans ces conditions-là, ce n’est pas beau. Je pense que c’est ce message que les Ultramarines et les autres groupes veulent faire passer. Ils ne pourront pas être là en live. C’est sûr que le spectacle sera moins beau, mais je pense qu’il faut penser à la survie du club, que l’on soit Ultras ou non. Il est absolument nécessaire que ce championnat se termine car les clubs ne peuvent pas se passer des droits TV qui doivent être donnés, ce n’est pas possible. Les clubs ne peuvent pas s’en passer, ce n’est pas possible. Même s’il y aura un manque à gagner, avec la billetterie, etc… mais il faut sauver à minima les meubles et les finances, tout ce qui est pris, doit l’être. Pour certains clubs, les droits TV peuvent aller jusqu’à 70% du budget total. On doit donc terminer ce championnat. C’est vrai que c’est dommage pour le spectacle, je suis désolé pour les sportifs. Je suis le premier à dire qu’un beau match sans supporter, on a parfois l’impression que c’est un match plus que moyen. Et parfois, un mauvais match avec une ambiance terrible comme savent le faire les supporters, comme à Bordeaux notamment où ça peut être très chaud, ça peut devenir un bon match. Il va falloir que les joueurs soient d’autant plus méritants de jouer à huis-clos.

     

    On va revenir à l’époque où vous jouiez à Auxerre (de 1987 à 1998). Lors de vos dernières saisons dans le club bourguignon, vous avez affronté à de nombreuses reprises les Girondins de Bordeaux. A cette époque, est-ce qu’il y avait une appréhension particulière à l’idée d’affronter Bordeaux ? Le club était-il considéré à l’époque comme un grand club de France ?

    Bien sûr ! Aller à Bordeaux pour ne pas perdre, c’était déjà un premier objectif, surtout pour l’AJA. C’était très compliqué de gagner là-bas. De mémoire, à mon époque, j’avais le sentiment que Bordeaux était beaucoup plus fort à la maison et un peu plus friable à l’extérieur. Je les craignais moins quand ils venaient à Auxerre. Mais aller là-bas, c’était déjà une grande performance de revenir avec un match nul. Je ne sais pas combien de fois j’ai gagné là-bas, mais ça doit se compter sur les doigts d’une main.

     

    Vous qui êtes né à Poitiers, est-ce que vous aviez une attache particulière à Bordeaux étant jeune au vu de la proximité géographique ?

    Oui, c’est un club qui m’aurait bien plu. Mais je n’étais certainement pas assez bon pour rejoindre le centre de formation de Bordeaux, donc je suis allé à Auxerre, qui était quand même l’un des trois premiers, donc je ne perdais pas trop au change. Je suis tout le temps attaché à ce club. Et d’ailleurs, je me trompe dans mes prédictions car j’ai souvent le cœur qui parle. Même si beaucoup de bordelais s’étaient foutus de moi, j’avais annoncé que cette année les bordelais allaient se qualifier l’Europe. Je croyais beaucoup à leur entraîneur, Paulo Sousa, et ils avaient un effectif qui tenait la route, même si je pense qu’il doit y avoir quelques petits manques psychologiques. Ils ne sont peut-être pas assez guerriers comme j’aimerais voir les bordelais parfois. Il y avait un beau football, Paulo Sousa avait bien mené sa barque. Je parle avec le cœur de bordelais, et je suis un peu d’accord avec les Ultramarines quand ils disent que c’est dommage que les matches ne se terminent pas dans des conditions normales. Je pense qu’avec un formidable public et une dernière ligne droite, il était possible pour les bordelais d’arracher quelque chose.

     

    Pour revenir à l’époque où vous jouiez, est-ce que vous avez été approché pour jouer à Bordeaux ?

    Non, Bordeaux ne m’a jamais contacté. Après Auxerre, il fallait que ce soit mieux que l’AJA pour que j’y parte et à ce moment-là Bordeaux était un ton en-dessous. Et peut-être que je ne convenais pas. Je pense que je n’aurais pas signé à Bordeaux. J’avais la possibilité de signer à Marseille, qui n’était pas plus haut que le niveau des bordelais. C’était un club qui avait gagné la Coupe d’Europe et c’était un trophée qui me manquait à mon palmarès. Mais Bordeaux ne m’a jamais contacté.

     

    A cette époque, à Bordeaux, il y avait Ulrich Ramé qui gardait les caisses de Bordeaux. Que pensez-vous de lui ?

    C’était un très bon gardien. J’ai toujours apprécié Ulrich, qui était une personne qui ne faisait pas de vague, toujours sobre, efficace. J’aime beaucoup Ulrich, que je salue d’ailleurs. Il a fait le Championnat d’Europe quand j’ai quitté l’Equipe de France. C’était vraiment mérité pour l’ensemble de sa carrière.

     

    Lilian Laslandes

    Durant votre carrière, vous avez côtoyé des anciens bordelais. Il y en a un que vous avez particulièrement mis en avant récemment, c’est Lilian Laslandes. Pouvez-vous nous parler de lui et de votre relation lorsque vous étiez à l’AJA ?

    Il y en a deux avec qui je suis particulièrement lié, c’est Bixente et Lilian. Lilian encore plus car on a vécu des choses fabuleuses ensemble. C’était un formidable coéquipier comme il a pu l’être à Bordeaux. C’est un mec très humble, qui donnait beaucoup. Dans l’After la dernière fois, je l’ai même cité comme coéquipier modèle. Lilian a toutes ces caractéristiques. Il est à l’écoute des autres, il sait vous rendre meilleur. Il a cette intelligence qui fait qu’il sait s’adapter aux situations. Il sait l’ouvrir quand quelqu’un part en couille. Il sait la fermer quand il ne doit pas l’ouvrir. Et sur le terrain, c’était un joueur extraordinaire, qui donnait énormément. C’était mon premier défenseur ! Je n’ai jamais eu un défenseur qui a marqué autant de buts que Lilian. Celui à qui je le compare, même s’il est bien sûr un ton au-dessus de Lilian, mais qui lui ressemble beaucoup dans son jeu, c’est Cavani. Cavani était très décrié à son arrivée à Paris, à cause de son inefficacité. Lilian aussi a été très décrié à Auxerre. Certaines personnes qui ne connaissaient pas le football ont même été jusqu’à l’appeler « la chèvre ». Lilian, je l’ai même vu tacler dans mes 16 mètres pour défendre sur un numéro 6. Je voyais aussi Lilian, avec son très beau jeu de tête, sur chaque corner contre nous, il était dans nos 6 mètres. Et comme on jouait la contre-attaque pour déséquilibrer le jeu adverse, Lilian était le premier attaquant pour être à la finition. Il faisait le 100 mètres à 200 km/heure ! Quand vous le faites la première fois, ça va, vous avez encore la lucidité. Mais comme nous étions une équipe qui était souvent dominée, Lilian se tapait des 100 mètres et parfois en fin de match, il ratait des occasions. Mais, nous, en tant que joueurs, on savait comment il était fort et ce qu’il apportait à l’équipe. Quand vous avez un coéquipier comme ça, c’est une chance extraordinaire. Et il est exactement pareil dans la vie. C’est un mec qui donne beaucoup, qui reçoit beaucoup, j’espère encore aujourd’hui. On a fait des fêtes extraordinaires, c’était un gai luron, comme il l’a été à Bordeaux, je le sais. Ça lui a desservi à Bordeaux. A Auxerre, on était plus confiné, c’était moins médiatisé quand on faisait les cons, parce que c’était chez nous. Lilian avait cette réputation de fêtard, mais c’était un fêtard pour la bonne cause.

     

    En plus de jouer avec Laurent Blanc en Equipe de France, vous avez également passé votre diplôme d’entraineur professionnel (DEPF) avec lui. En 2007, il devient entraîneur des Girondins de Bordeaux et devient notamment Champion de France en 2009. Cette saison à Bordeaux a été incroyable pour les supporters et de nombreux spécialistes affirment également que ce groupe était en parfaite cohésion avec le staff et Laurent Blanc notamment. Quels souvenirs gardez-vous de son passage à Bordeaux ?

    Lolo, c’est un mec très intelligent, qui a sa propre conception du foot, ce qui peut lui jouer des tours, comme ça a été le cas la saison suivant le titre à Bordeaux. C’est quelqu’un qui ne peut pas rester longtemps dans un club en France avec sa méthode de management. Il a une méthode qui se rapproche de celle de Ferguson, il manage à sa manière et il a été d’ailleurs, je pense, très influencé par sa façon de travailler. Laurent Blanc est aussi très intelligent parce qu’il sait parfaitement s’encadrer. Un Laurent Blanc sans Jean-Louis Gasset, ça n’aurait jamais marché à Bordeaux. On ne peut pas juger Laurent Blanc sans Jean-Louis Gasset, car c’est sa méthode de travail. Il connaît ses qualités et ses défauts et Jean-Louis est sont binôme parfait, et c’est pour ça que ça a marché comme ça. C’est vrai que les bordelais jouaient un football extraordinaire, bravo à eux ! C’est Lolo et Jean-Louis qui ont su grâce à leur méthodologie, leur inculquer ce football. Je trouvais ça vraiment beau. Je ne sais pas comment ça va se passer pour lui par la suite. Il sait où est-ce qu’il doit s’engager ou pas. Il a sûrement été refroidi par le championnat de France. Au PSG, ça a été un des derniers entraîneurs qui a réalisé une des plus belles saisons sous l’ère Qatari et encore on l’a évincé de suite après. Quand vous travaillez bien et que malgré tout, ça se passe mal, ça vous refroidit. Je pense que Laurent Blanc ira à l’étranger si jamais elle arrive. Mais quand les années passent et que vous ne prenez pas de clubs, je ne suis pas certain que les grands clubs vous prennent comme ça si vous n’avez pas entraîné depuis longtemps.

     

    Grégory Sertic et Yoann Gourcuff iconsport2

     

    Dans ce groupe, il y avait Yoann Gourcuff qui a fait une saison incroyable et a été élu Meilleur joueur de Ligue 1 l’année du titre, et qui par la suite n’a pas eu la même réussite. Vous avez récemment dit que de nombreux facteurs avaient influencé sa carrière : les interventions de son père, son mental pas assez costaud, ses tendances à suivre les fêtards des équipes dans lesquelles il jouait … Pouvez-vous nous en dire plus ?

    Disons que je suis déçu par Yoann parce que j’attendais beaucoup plus de lui. J’adorais ce joueur. On ne lui a pas fait de cadeau dans les différents clubs où il est passé, avec sa gueule d’ange par rapport aux gueules cassées qui l’ont démonté. J’en veux à ces joueurs-là d’avoir tout fait pour que Yoann ne s’adapte pas bien. Mais d’un autre côté, c’est dans l’adversité que Yoann aurait dû s’imposer parce qu’il avait plus d’atouts qu’eux. Il lui manquait ce mental qui fait que vous vous nourrissez de détracteurs. C’est rédhibitoire aujourd’hui dans le monde du football moderne, qui est un monde de requins. Il n’a pas su s’adapter alors que je le voyais comme le futur petit Zidane, parce que pour arriver à la hauteur de Zidane, il faut en vouloir. Il n’y aura jamais un autre Zidane, mais je pensais qu’il allait y avoir un Gourcuff. Il s’est perdu, au Milan AC aussi, il s’est perdu. Il n’a pas eu une vie de footballeur facile. Comme pour Lilian Laslandes, tout se sait. Lilian, on savait tout sur lui mais il claquait. Yoann, au fil du temps, il avait son physique qui le lâchait, tout en étant fort bien payé. Quand vous ne faites pas tous les efforts à côté, parce que tout se sait, pour au moins donner la chance à son physique de vous porter et réussir à passer les étapes, l’extra-football, on vous le met de suite dans les pattes. Yoann aurait dû être, à ce moment-là de sa carrière, plus concentré sur ses prestations. Je pense qu’il s’est trop dispersé et c’est dommage. Ça fait partie du mental d’un joueur. Pour moi, c’est un vrai gâchis, car c’était un joueur que j’adorais. Laurent Blanc l’adorait aussi, il me disait qu’il était extraordinaire, qu’il savait faire des choses incroyables. Laurent a su bien le prendre, il est arrivé à un moment donné où son corps pouvait encore endurer tout ce football de haut niveau, mais après, ça a craqué. Quand ça craque, ça a dû mal à revenir, surtout avec les années qui passent, c’est de plus en plus compliqué.

     

    On va revenir à l’actualité des Girondins. Depuis bientôt deux ans, un fonds d’investissement américain a racheté les Girondins de Bordeaux et aujourd’hui, il est difficile de voir un projet clair de la part des nouveaux dirigeants bordelais. Que pensez-vous de ce type de rachat de club par de gros investisseurs étrangers ?

    C’est compliqué, parce que ce sont des gens qui viennent pour faire de la post-formation. Se faire de l’argent sur des futurs transferts, etc… Mais est-ce que c’est vraiment l’ADN des clubs ? Et est-ce qu’ils veulent travailler comme les vrais supporters l’entendent. Je me souviens d’un centre de formation où il y avait des jeunes qui sortaient, comme les Lizarazu et compagnie. On les mettait en vitrine et on les vendait après 3-4 ans aux Girondins. Ces fonds d’investissement doivent prendre en compte la culture, l’ADN du club, c’est très important. Les américains n’ont pas du tout la culture bordelaise, mis à part dans les vignes un petit peu. Dans les vignes, ils ne font pas venir des américains, ils font venir des mecs du cru et les faire bosser. Le football, c’est la même chose. Je sais qu’il y a beaucoup d’anciens dans le club, au centre de formation, etc… Mais il faut qu’ils mettent une politique technique et financière en place qui colle à l’image des clubs qu’ils veulent reprendre. Si on revient à Bordeaux, quand on veut acheter des joueurs, les garder un an et les revendre en suivant, ça, ce n’est pas l’ADN de Bordeaux. Du moins, ça ne ressemble pas au Bordeaux que je voyais quand j’étais jeune. Il y avait à l’époque des joueurs qui faisaient des carrières dans un même club. Ça n’existe plus alors qu’il en faudrait un minimum. Il faut des mecs sur lesquels on peut s’identifier, qui restent 4-5 ans. Il faut un panel de joueurs avec 4-5 joueurs sur lesquels on peut s’identifier, 4-5 qui sortent du centre de formation, d’autres qui sont dans la post-formation. Mais le problème, c’est que ça demande du temps. Est-ce que les supporters bordelais vont donner du temps ? Je pense que si on leur explique bien, oui ! Par contre, si on leur fait miroiter des choses, en disant que l’on est un grand club, que l’on va aller chatouiller le PSG, ils ne sont pas dupes non plus. Ça a été un très grand club européen, Bordeaux, ils connaissent le football, ils savent de quoi ils parlent. Et aux supporters, il ne faut pas leur raconter n’importe quoi.

     

    Justement, actuellement, il existe une forte tension entre la direction et les supporters notamment car ces derniers reprochent à la direction de s’éloigner des valeurs du club. Les supporters ont fait plusieurs actions pour dévaloriser l’image de King Street qui est très axé sur leur aspect commercial afin de les pousser à revendre le club. Est-ce que vous comprenez cette démarche et pensez-vous que les Ultramarines et les supporters en général peuvent avoir un impact sur eux ?

    Que cela ait un impact, c’est fort possible. Maintenant, je comprends que les supporters bordelais en aient marre, mais je fais partie de ceux qui préfèrent s’en sortir en construisant et non en détruisant. Le fait de vouloir détruire quelque chose, je n’aime pas ça. Je préférerais que les Girondins préparent à construire quelque chose. Aujourd’hui, on sait ce que l’on a mais on ne sait pas ce que l’on prend derrière. Ce sont des gens puissants, même si certains supporters doivent penser être plus puissants, en tant que groupe de supporters. Quand vous êtes un nouvel investisseur et que vous savez que vous allez avoir une majorité du public qui va être contre vous, vous n’avez pas envie d’investir. Cela peut retomber contre vous, il faut donc faire attention. Quand cela fait longtemps que vous n’avez pas fait un bon parcours européen, qu’il y a des possibilités mais que ça se refroidit avec une atmosphère délétère, d’après moi, ça ne donne jamais une bonne image de vouloir détruire quelque chose. Par contre, construire un projet pour préparer leur départ, proposer quelque chose en tant que supporter, plutôt que détruire, basé sur leurs envies et valeurs, là, je dis oui. Faire comprendre au Président qu’il n’a plus personne qui le soutient et généralement, quand on se sent mal chez soi, on déménage ! Mais je préfère construire plutôt que détruire.

     

    Pour revenir au sportif, vous parliez tout à l’heure de Paulo Sousa. Il est arrivé pour s’engager dans un projet ambitieux. C’est un entraîneur qui essaie d’inculquer une culture de la gagne à ses joueurs et de proposer un style de jeu novateur. Que pensez-vous de sa façon de travailler ?

    J’aime beaucoup Paulo Sousa. Pendant un moment, je trouvais qu’il proposait un jeu qui repartait trop de derrière. Les Girondins prenaient trop de risques. J’ai des images en tête de Benoit, à qui revenait le ballon tout le temps, avec un gros pressing adverse. Ils essayaient de repartir quand même avec des ballons courts et chaque fois ils prennent des buts en faisant n’importe quoi. D’ailleurs, par la suite Paulo Sousa a fait un rétropédalage par rapport à ça. Quand vous êtes face à un pressing adverse, avec deux lignes de joueurs qui sont dans vos 30 mètres, sautez ces deux lignes. Faire une passe mi-longue, c’est du football aussi ! Là, ça n’existait plus. Ça devenait trop prévisible, du coup, on se fait prendre. Sur ce point, j’étais déçu. Car quand on veut faire du beau jeu, avoir la possession de balle, il faut aussi avoir dans sa caisse à outils pour répondre à ce type de situation. Les outils n’étaient pas préparés. Donc Paulo Sousa a appris de ses erreurs et j’ai vu Benoit Costil, voire même un arrière faire ces passes mi-longues par-dessus les lignes adverses et trouver des joueurs lancés qui pouvaient se retrouver dans un un-contre-un. Comme je travaille à la FIFA, je vois toutes les données qu’on a sur les plus grands matches que l’on analyse, le jeu direct est un jeu qui est très important aujourd’hui. Je suis d’accord qu’il faut que le jeu soit beau mais pas au détriment des matches, où vous en prenez quatre. Il y a des entraîneurs comme Jean-Marc Furlan, qui est d’ailleurs de Gironde, qui a eu beaucoup de problèmes dans les clubs où il est passé car il proposait du beau football mais il perdait son vestiaire car il prenait trop de buts. Les joueurs sont dégoûtés, votre message ne passe plus et il faut faire très attention à ça. J’étais donc content de voir que Paulo Sousa ait révisé sa copie, ça prouve que c’est quelqu’un qui sait s’adapter. Il a des joueurs qui en sont capables aussi, j’aime beaucoup ce groupe. Et il y a eu de très belles attitudes. Je me rappelle qu’ils ont eu de belles paroles par rapport à leur entraîneur quand Sousa a été critiqué, notamment lors des 2-3 matches où ils se faisaient prendre par leur propre jeu. Les joueurs l’ont défendu et ont fait corps avec leur coach. Bordeaux s’est alors repris et ça montre l’intelligence de cet entraîneur.

     

    Paulo Sousa

     

    Cette saison, les bordelais ont été irréguliers, en oscillant entre la 4ème et la 13ème place. Paulo Sousa a souvent déclaré avoir besoin de plus de joueurs sur chaque ligne. Vous aviez annoncé que Bordeaux pouvait accrocher l’Europe à un moment donné. Est-ce que vous ne pensez pas que ce groupe avait besoin de plus de joueurs de qualité pour viser l’Europe ?

    Je ne sais pas s’il manquait beaucoup de joueurs. Peut-être effectivement, un par ligne, comme Paulo Sousa le demandait. Avec trois joueurs cadres supplémentaires, ça l’aurait fait. Mais ça aurait demandé un budget conséquent et je ne suis pas sûr que les américains l’avaient et ils n’ont pas su tenir les promesses. Ce n’était peut-être pas à ce que Paulo Sousa s’attendait. Même si vous avez un bel effectif, il faut aussi avoir du mental. Dans l’adversité, quand vous savez que vous devez faire face à de grosses armadas, il n’y a qu’une chose qui marche : le mental. Ce que je reprocherais à Bordeaux, ça serait plutôt cet aspect mental des joueurs. Avoir plus de guerriers. J’ai l’impression que la vie est belle à Bordeaux, c’est une belle région, c’est un club qui, dans son management, travaille un peu comme des « fonctionnaires ». Les joueurs devraient montrer une autre image. Je suis d’accord sur le fait que l’effectif n’est peut-être pas celui qu’ils voudraient, mais les joueurs qui sont là, ils ne peuvent pas reprocher au club de ne pas avoir plus de joueurs parce qu’ils en recrutent, eux ne vont plus jouer. Personnellement, j’en veux plus aux joueurs qu’à la direction : un coup, ils jouent bien, un coup, ils ne jouent pas bien. Je pense que c’est plus un problème mental. Ce sont des joueurs qui font le résultat. Les joueurs ne vont pas de plaindre d’être sur le terrain et quand ils y sont, il faut qu’ils se donnent à 300%. Et parfois, à Bordeaux, je n’ai pas cette impression-là et ça me dérange.

     

    Justement, il y a un joueur à Bordeaux qui essaie de pousser son équipe, d’avoir des discours pour les remobiliser, c’est notre capitaine Benoit Costil. Que pensez-vous de lui, au niveau de ses prestations et de son rôle de capitaine ?

    Je trouve que Benoit est exemplaire dans tout ce qu’il fait. A un moment donné, je l’ai senti en dessous de ses capacités mentales, ce qui a joué sur son rendement. Mais ça n’a pas duré longtemps. Je trouve qu’il a un comportement exemplaire, j’adore Benoit. C’est quelqu’un qui a la grinta, qui va savoir pousser un coup de gueule quand il le faut. Il va savoir aussi garder ce qui se passe dans les vestiaires lorsque c’est nécessaire, quitte à faire de la langue de bois aux médias si besoin, tout en disant les 4 vérités aux joueurs dans le vestiaire. Il faut savoir dire les choses lorsque ça ne va pas et Benoit est capable de le faire. Et en tant que gardien de but, il est vraiment bon. Je pense qu’il a perdu sa place en équipe de France au moment où je vous disais qu’il était en dessous mentalement. Il a eu un manque, à un moment, je ne sais pas ce qui s’est passé dans sa vie. Ce n’était plus de Costil que j’avais connu, mais il est revenu. Tant mieux, ça arrive à tout le monde d’avoir des passages à vide, même aux plus grands. Je trouve vraiment que c’est un très bon capitaine pour les bordelais.

    Merci beaucoup Lionel, à bientôt !

    Lionel Charbonnier