InterviewG4E. Gustavo Poyet : « Vous ne savez peut-être pas à quel point Bordeaux est grand, à travers le monde… »

    (Photo by Fred Marvaux/Icon Sport)

    Pour être très clairs et transparents, Gustavo Poyet est, pour nous, le meilleur entraîneur passé par les Girondins de Bordeaux ces dernières années. Pourquoi ? La réponse est simple : il est celui qui a fait oublier le surnom de « La Belle Endormie », celui qui a réussi à inculquer la fameuse « culture de la gagne » à ses joueurs, en un temps extrêmement réduit. En très peu de temps également, il a su appréhender ce qu’était le FCGB, profitant du fait que les médias et observateurs n’attendaient pas les Girondins dans une course à l’Europe qui paraissait perdue d’avance, pour au final être le dernier entraîneur à avoir qualifié le club au scapulaire dans une compétition européenne. Bien sûr, il y a eu cette fin faite de quiproquos et de désaccords sur la version finale, cette conférence de presse dont tout le monde se souvient et qui soldera son passage en Gironde. Mais avec du recul, il fut certainement la première victime collatérale du rachat du club, commençant une saison et des qualifications européennes sans aucune recrue, et ce malgré le départ de trois joueurs majeurs. « Un mauvais timing » comme il le confesse aujourd’hui.

    Nous n’avons pas voulu aborder forcément ces distensions et différences de points de vue entre lui et la direction de l’époque, car tout a probablement déjà été dit, et plusieurs clauses datant du moment de leur séparation font qu’on ne peut pas tout dire non plus. Même si nous l’évoquerons quand même un peu – car cela fait partie de son histoire avec le club – nous avons préféré axer cette interview d’un point de vue sportif, mais également sur l’état d’esprit qu’il a inculqué à son groupe.

    Interview.  

     

    « Pour débuter, on voulait vous dire que vous avez été un des rares entraîneurs des Girondins qui a réussi à instaurer ce que les supporters demandaient depuis de très nombreuses années : la culture de la gagne. Comment avez-vous réussi à l’inculquer en si peu de temps ?

    C’est une bonne question (rires). Ça a été une opportunité incroyable qui m’a été proposée. Si ça avait été une quelconque équipe, ici en Angleterre, où je vis et où j’ai déjà travaillé, l’opportunité aurait été plus ‘normale’ parce que je travaille parfois à la télévision, je fais des conférences, je vais voir beaucoup de matchs. Je n’étais pas vraiment revenu en France, après mon année et demie à Grenoble. Quand on m’a appelé pour me faire la proposition de Bordeaux, c’était vraiment une belle chose. Je suis arrivé, j’ai beaucoup regardé l’équipe et j’ai beaucoup discuté avec Eric Bédouet, le préparateur physique. On s’est tout de suite mis d’accord qu’il y avait un problème et que ce dernier n’était pas technique, tactique, physique, mais plus mental. Donc c’est sûr ça que j’ai attaqué de suite. La première réaction a été magnifique après le premier match, puis on est doucement retourné dans la même situation qu’avant, en prenant des décisions. C’est facile de parler maintenant mais à ce moment-là, tu ne savais pas que ces décisions allaient marcher comme elles ont marché. C’étaient des décisions importantes pour travailler cet aspect mental, pour convaincre les joueurs que c’était possible. Tu as besoin de croire en quelque chose que l’entraîneur essaie d’inculquer tous les jours. Parce que parfois, on parle beaucoup de l’entraîneur, de ce qui se passe autour de lui et c’est vrai qu’il est la personne principale, le leader, qui est devant les joueurs. Mais tu as besoin des joueurs qu’ils te comprennent, qu’ils viennent avec toi, qu’ils continuent d’essayer de trouver des solutions. On a beaucoup travaillé dans l’apport mental.

     

    Justement, on a senti tout de suite une alchimie entre les joueurs et vous, comme si les joueurs attendaient également ça depuis un moment… Par exemple, Jules Koundé a fait votre éloge, disant que vous étiez l’entraîneur qu’il a le plus aimé. On a rapidement senti entre vous une fusion… Ça doit être quelque chose de fantastique de réussir à créer ça avec le groupe dès le départ et jusqu’à la fin d’ailleurs, puisque les joueurs sont allés jusqu’à refuser de sortir du vestiaire le jour où vous avez été convoqué par la direction…

    Ça, c’est le plus important pour moi. Quand tu es dans un club, j’ai toujours dit que tout le monde autour du club dépend des joueurs et des supporters. Si la relation entre les joueurs et les supporters fonctionne bien, si les supporters sont là pour l’équipe et l’équipe fait tout pour que les supporters passent de bons moments, le reste sera magnifique. Si cette connexion marche, je suis un meilleur entraîneur, le directeur sportif est un meilleur directeur sportif… Tout le monde est meilleur car c’est ça la partie la plus importante. Il y a beaucoup de monde qui n’aime pas cette idée et je comprends parce que tout le monde veut être en charge de ce qui permet d’aller bien dans le club. Mais généralement quand ça ne marche pas, c’est toujours l’entraîneur qui est visé, c’est plus facile. Lors de mon premier poste à Brighton en Angleterre, j’ai décidé avec mon adjoint, Mauricio Taricco, de tout le temps essayer de comprendre les joueurs. Le plus important ce sont les joueurs. Tu as besoin que les joueurs soient convaincus de ce que tu veux faire, pour que tous les joueurs viennent s’entraîner avec du plaisir, pour qu’ils soient contents d’être dans le groupe. Il faut être honnête avec eux et ça va marcher ! C’est joli ce qu’a dit Jules, vraiment. Et ce qu’ont fait les joueurs aussi. Quand mon adjoint m’a appelé pour me dire que les joueurs refusaient de sortir pour s’entraîner… Les joueurs sont compréhensifs sur le fait qu’on était là pour faire le mieux pour eux, les joueurs, le club et les supporters. On n’était contre personne, on ne voulait pas être les plus importants, ou être là pour dire des conneries. On était là pour que les joueurs soient au meilleur de ce qu’ils pouvaient donner dans le jeu. Et c’est prouvé que ça marche.

     

    Jules Koundé et Gustavo Poyet

     

    D’ailleurs Jules Koundé racontait que vous aviez mis en place une obligation pour les joueurs d’être à 10h pile sur le terrain d’entrainement. Vous aviez constaté qu’il y avait parfois un manque de sérieux ?

    Je pense qu’on parle beaucoup parfois de ces choses-là mais c’est ma manière de travailler. Dans le football, tout n’est pas noir ou blanc. Quand quelqu’un veut faire les choses d’une manière, parfois ça marche dans un club et pas dans un autre. Pour expliquer cet exemple, on s’entraîne à 10h30. Et ça commence à 10h30, ce n’est pas 25 secondes ou 1 minute plus tard, c’est 10h30. Si je suis là, j’ai besoin de toi, que tu sois là aussi ! Et le samedi, le match, il commence à 19h, pas à 19h et 30 secondes. Parce que si tu commences le match avec 30 secondes de retard, on est déjà menés 1-0. C’est une habitude de vie, de respect. Sur le terrain de jeu, de 10h30 à midi, c’est moi l’entraîneur, je suis en charge, je demande des choses, je cherche des solutions… Mais après, on va manger et Jules et Gustavo, ce sont des personnes normales. C’est fini l’heure et demie d’entraînement. Alors peut-être que j’ai forcé avec un joueur sur le terrain de jeu, mais 3-4 heures après, si je le croise dans Bordeaux, pour moi, c’est comme s’il ne s’était rien passé avant. C’est fini, jusqu’à demain matin, 10h30. Cette relation peut être bizarre lors des premières semaines pour les joueurs, mais après, c’est vraiment quelque chose qu’ils assimilent parce que le joueur comprend bien que de 10h30 à midi, c’est le travail, ils donnent tout pour être à la hauteur de ce que c’est d’être un joueur professionnel, mais après, on est des personnes normales. Je pense que ce type de relations marche très bien.

     

    Dans ce groupe, il y avait aussi Jaroslav Plasil, le joueur qui comprenait certainement le plus ce que vous vouliez sur le terrain et qui est désormais entraîneur adjoint de la réserve des Girondins. Est-ce que ce genre de joueur, dévoué, intelligent et intéressé par la tactique, le management, manque aujourd’hui dans le football ?

    Jaro, c’est quelqu’un de spécial, de différent. Je ne veux pas dire qu’il est vieux (rires) mais il est d’une autre génération. Il comprenait parfaitement ce qu’on voulait faire. C’était incroyable et dès le premier jour. Parfois, tu essaies de trouver des joueurs, peut-être plus jeunes, qui vont rester 4-5 ans, sur lesquels tu peux t’appuyer, mais à la fin, je retombais toujours sur Jaro. J’étais 100% convaincu qu’il allait faire le boulot que je lui demandais de faire. C’était facile avec lui. La relation professionnelle était magnifique. C’est pour ça qu’il a joué beaucoup plus que tout le monde souhaitait, parce qu’il comprenait tout ce qu’on voulait faire parfaitement. Des fois, on dit que l’entraîneur a besoin de quelqu’un pour être sur le terrain, un joueur qui fait un petit peu l’entraîneur. Lui, il était comme ça. C’était incroyable. Et je suis vraiment content qu’il soit resté dans le club. Des personnalités comme lui, il faut en utiliser pour le futur du club.

     

    Pour nous, il y a eu plusieurs de vos matchs qui ont été marquants, comme ce match face à Lyon où les joueurs étaient transcendés (3-1), les matches à l’extérieur face à Montpellier et Saint-Etienne (1-3 et 1-3) où tout réussissait, grâce à l’esprit d’équipe. Cela fait partie de vos meilleurs moments ?

    Oui, il y a des matchs qui sont vraiment spéciaux. On savait bien que l’on avait un petit problème : quand on prenait un but, il était quasiment impossible pour nous de renverser la situation. C’est incroyable parce que quand on l’a fait face à Lille chez nous, c’était un match important pour nous et ça a été un déclic pour nous. On s’est dit qu’on pouvait tout faire. On peut même jouer de meilleurs matchs à domicile, comme le match exceptionnel que l’on a fait chez nous contre Paris, même si on a perdu. Le groupe a vraiment eu un déclic, c’est entré dans la tête des joueurs et tout le monde a dit que l’on était monté d’un niveau. C’était vraiment incroyable la mentalité du groupe quand on jouait à l’extérieur. A Montpellier, à Saint-Etienne, le dernier match à Metz, c’était spécial Je sais que pour Metz c’était fini pour eux mais nous, on avait besoin de gagner de deux buts, que l’on devait attendre d’autres résultats. On était allés là-bas pour « les tuer ». On avait à ce moment-là la mentalité pour tout gagner. A mon arrivée, je regardais le classement dans les journaux et je me disais « mmh, personne ne parle de Bordeaux ». On parlait de Saint-Etienne, Nice, Montpellier et personne ne pensait à nous. Et petit à petit, on a gagné 3 points, plus 3 points, plus 3 points… Le groupe très fort mentalement.

     

    Gustavo Poyet

     

    On avait cette sensation sur cette fin de saison, qu’il ne pouvait rien nous arriver. Quand on voit vos derniers résultats sur cette saison que ce soit à domicile ou à l’extérieur (3-1 face à Dijon, 3-1 à Saint-Etienne, 4-2 face à Toulouse et 4-0 à Metz), nous, les supporters on était plutôt sereins avant chaque match, car l’on voyait une équipe se battre et respecter vos consignes, et ça marchait…

    Tous les jours, il y a quelque chose de nouveau. Il faut comprendre ce qui avait été fait à Bordeaux, ce dont on avait besoin, ce que les supporters demandent, pour arriver à cette connexion avec eux. C’est pour ça que je veux toujours me rappeler la célébration à Metz, même si c’est difficile à dire ça quand on parle d’un club comme Bordeaux. C’est vrai que quand on se rappelle de la célébration, on avait l’impression d’avoir gagné une coupe ou le championnat. J’espère que tout le monde va me comprendre, mais en janvier, on était dans une position délicate, le groupe n’était pas formé pour se sauver de la relégation. Alors qu’on a réussi à se qualifier en Europa League, de cette manière, et personne n’attendait ça de nous. C’était vraiment quelque chose d’important pour nous, pour le groupe. On a fait une petite célébration dans le coin, avec les supporters. On a attendu tous ensemble à la fin du match, Malcom avait un téléphone et tout le monde essayait de regarder le résultat de l’autre match. C’était comme si on était arrivés à quelque chose d’important. A ce moment-là, comme entraîneur, tu te dis que tu as franchi une étape de plus. Maintenant, on a besoin de maintenir ça et de continuer à évoluer. C’est pour ça que ça a été difficile pour moi par la suite. Parce que quand tu arrives quelque part et que tu as fait un travail qu’il faut reconnaître, alors tu te dis qu’ils vont vraiment pousser pour continuer et atteindre le top 5.

     

    Au début de la saison 2018/2019, en ne voyant aucune recrue arriver, en voyant également vos joueurs partir (Malcom, Braithwaite, Meité, puis enfin Laborde), vous avez sûrement senti que Bordeaux ne serait pas à la hauteur de vos ambitions, voire des promesses qui vous avaient été faites.

    C’est toujours difficile pour moi de reparler de cette situation. Je n’ai pas peur d’en parler, j’en ai déjà parlé 10000 fois pour raconter ce qui s’est passé. Ce que je n’aime pas, et je ne le dis pas pour qu’on dise que je cherche quelque chose de spécial là-dedans, mais quand tu es dans le club, tu connais bien ce qui se passe. Si tu me demandes aujourd’hui ce qui se passe dans le club, je ne sais pas parce que je n’y suis pas. Je ne sais pas ce qui se passe entre le président, le directeur sportif et Paulo Sousa. C’est vraiment difficile de dire quelque chose sur ce dont tu ne connais pas vraiment. Mais là, j’y étais. Tout l’été, j’étais là et je voyais que ce n’était pas possible de ramener Meité, parce que ça coûtait trop cher. Pareil avec Martin Braithwaite. Malcom, c’était 100% sûr qu’il allait partir, avec la fin de saison incroyable qu’il avait faite. Cela commençait à faire beaucoup de choses. Quand tu regardes ça et tu te dis que si tu ne cherches pas tout de suite à trouver des solutions, à trouver des joueurs qui vont maintenir voire faire évoluer le niveau de ces 3 joueurs, ça va être difficile de faire quelque chose du même niveau. Je l’ai déjà dit auparavant : tu as besoin de joueurs. On a joué 3 matchs d’Europa League et un match de championnat sans nouveau joueur, parce que Kalu est arrivé, il s’est entraîné 3 jours avec moi, mais il n’a pas joué. Des fois, c’est plus facile de dire que cette année on ne peut pas faire la même chose, on n’a pas d’argent, l’équipe ne va pas arriver à jouer à ce niveau… On a perdu des joueurs très importants et on ne peut pas les remplacer avec des joueurs de qualité. Mais dans le football, ce n’est pas possible.

     

    A ce moment-là, le message des dirigeants était de vous dire que ce n’était pas possible et au moment des événements, qui ont eu lieu une quinzaine de jours avant la fin du mercato, nous, en tant que supporters, on se disait que peut-être que si vous aviez été plus patient – car on connaît votre caractère sanguin, franc et honnête – vous auriez pu avoir vos recrues. Mais c’est sûr que nous, nous n’étions pas à l’intérieur pour savoir comment ça se passait…

    J’ai toujours dit, pas pour Bordeaux spécifiquement, mais de façon générale, que quand tu es dans un club et que tu fais le travail dès l’été, c’est vraiment facile après. Lorsque le championnat finit à Metz et on commence le travail de suite, les entraînements avec de nouveaux joueurs, de jouer l’Europa League avec un nouveau groupe pour arriver dans le championnat dans de bonnes conditions, après, c’est plus facile. Quand tu ne fais pas ce travail bien, voire que tu ne le fais pas bien du tout, c’est normal ensuite de ne pas finir dans le Top 6, voire le Top 10. Et ils ont fini 14ème. Tout ça se joue l’été, c’est le résultat du travail qui n’a pas été bien fait durant l’été. Quand on commence à sortir des choses dans la presse, comme ce qui s’est passé pour moi, en faisant ça, tu vas à l’encontre du club. La presse ou quelqu’un a commencé à parler de problèmes, du fait que je fasse jouer Sankharé en pointe… Le même jour, des choses sortent sur le Sud-Ouest et L’Equipe, des histoires contre moi… Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on essaie de faire ? Ça ne va pas aider. Imagine-toi quand je suis arrivé le matin à l’entraînement et qu’on me donne le journal, et je vois ça. Le Sud-Ouest qui raconte que certains ne sont pas contents parce que j’ai fait jouer Sankharé devant, d’un dirigeant qui parlait de moi… J’ai fait jouer Sankharé, c’est vrai, mais attends, on a gagné, non ?! Si je ne mets pas Sankharé mais un autre joueur et qu’on perd, tu vas me critiquer parce que j’ai perdu. A la fin, tu ne gagnes jamais. Et le même jour dans L’Equipe, ils disaient qu’un joueur n’arrivait pas, car mon agent devait signer avec eux… Je suis un mec pour qui, quand il signe pour un club, le club devient le plus important dans ma vie avec ma famille. C’est ma famille et mon club. Et je fais tout pour défendre les joueurs et les supporters, tout. On a besoin de tout le monde pour trouver ce standard, comme on dit en Angleterre, pour être tous au même niveau. Quand quelqu’un commence à penser qu’il est plus grand qu’un autre, qu’il commence à tirer d’un côté pour aller contre un autre, ça ne marche pas. C’est qui qui a un problème dans ce type de cas, c’est le plus honnête, moi (rires).

     

    Nous, pour tout vous dire, cela nous a choqué également qu’à chaque article sur Bordeaux, il y avait toujours ‘un dirigeant bordelais’, ‘un proche du club’, etc, sans jamais qu’il ne soit nommé, qui avait toujours un mot pour essayer de vous déstabiliser. Savez-vous qui sont ces personnes aujourd’hui ?

    Oui, je sais, mais je ne peux pas le dire. Tu sais pourquoi je le sais ? Il y a une toute petite chose dans cette information qui est sortie dans les journaux que seulement 3 personnes connaissaient. Je faisais partie de ces 3 personnes-là, donc il y en a une des deux qui reste qui a parlé. Le football, c’est quand même quelque chose d’incroyable. Encore aujourd’hui, si tu cherches sur Google mon nom, il y a encore cette conférence de presse que tout le monde regarde en se disant qu’il est fou, lui. Mais ce dont personne ne parle c’est ce que le club a fait ce jour-là. C’est incroyable. Si on va voir derrière, tout le monde est tranquille et on va parler de pourquoi ça s’est passé, ça. Normalement, c’est le plus important. Aujourd’hui, quand on demande ce qui se passe en Amérique, pourquoi il y a tous ces problèmes ? Parce qu’il y a eu cette personne qui est morte, c’était un acte raciste, etc… Il y a une raison pour que les choses se passent. Ce n’est pas quelque chose qui arrive d’un jour à l’autre. Ici, c’est incroyable que tout le monde se rappelle de la conférence de presse. Et tout le monde parle seulement de ce que j’ai dit moi, mais personne ne parle de la raison, le vrai problème de fond. Moi, j’ai dit la vérité. Je ne peux pas quitter une personne en ne lui disant pas la vérité. Dans cette situation, on a différentes opinions, je ne pense pas que ce soit quelque chose sur laquelle on peut débattre. Les gens pensent que ça arrive toujours ce genre de chose dans le football, mais ce n’est pas vrai. Ça ne se passe jamais. Si le propriétaire ou le président d’un club me dit : « Gustavo, on va vendre ce joueur. On sait que tu n’es pas content, mais on va le vendre. On a besoin de le vendre », en tant qu’entraîneur, même si tu n’es pas content, il n’y a rien que tu puisses faire parce qu’il y a quelqu’un qui est au-dessus de toi et il faut continuer à travailler et faire le mieux que tu peux. Le problème, là, c’est que je ne savais pas.

     

    Gustavo Poyet

     

    Ce que vous avez martelé, c’est le manque de professionnalisme et c’est qui ressort de l’image du club avec vos dires et ceux de certains de vos prédécesseurs. C’est quelque chose de dommageable car Bordeaux a vraiment tous les critères pour devenir, ou redevenir un grand club… On imagine aussi que l’épisode Gaëtan Laborde n’était pas le seul exemple du « manque de professionnalisme » que vous avez pu observer, pour en arriver là ?

    Je pense que le plus important ici est de parler de Bordeaux. Je l’ai déjà dit l’année dernière lors d’une interview, mais vous ne savez peut-être pas à quel point Bordeaux est grand, à travers le monde. Quand tu parles de Bordeaux en Uruguay, en Argentine, tout le monde dit « Waouh, top ». Alors quand tu penses que tu vas aller à Bordeaux, tu es content car c’est le top. Et après, il se passe les choses qui se sont passées. Il y a la possibilité, j’espère, même si je sais qu’il y a beaucoup de problèmes actuellement, mais il faut essayer de mettre Bordeaux, petit à petit, au niveau de reconnaissance qu’il a dans le monde. C’est vraiment quelque chose que l’on oublie : Bordeaux c’est une équipe top, avec le respect de tout le monde. Parce que le PSG, il y a 10 ans, il n’existait pas. Un mec arrive avec beaucoup d’argent et là le PSG devient plus connu que tous. Mais, au niveau d’un club et de son histoire, c’est Bordeaux. Pour moi, c’est le Top 3 en France et c’est une chose qui faut démontrer tous les jours. C’est ce que je voulais faire, j’ai essayé vraiment de démontrer ça et de convaincre que le club avait vraiment besoin d’aller sur ce standard. Mais ce n’était pas possible.

     

    Est-ce que vous pensez que le changement de propriétaires est tombé au mauvais moment pour vous ? 

    Oui, le timing n’était pas tellement bon pour moi, c’est vrai. Si on avait su que M6 restait propriétaire ou si on savait que les américains allaient acheter, ça aurait été plus facile pour moi. C’est sûr que ça n’a pas aidé mais il n’y a pas de responsables. C’est une situation de rachat, ça dure beaucoup de temps, mais c’est sûr que ça n’a pas aidé.

     

    Vous disiez d’ailleurs dans une interview que Nicolas De Tavernost était très peu présent. C’est compliqué quand les propriétaires ne sont pas là, on le voit aujourd’hui…

    J’ai rencontré 5-6 fois M. De Tavernost, la relation était professionnelle, il n’y avait pas de problèmes. Et je l’ai dit plus d’une fois, je la comprenais très bien, sa situation. Moi, si j’étais propriétaire de Bordeaux, que je veux vendre et partir, je ne vais mettre 20 millions pour acheter un joueur. Sinon, ça serait fou ! Donc, je comprends bien ça. C’est logique, normal. Le problème, c’est que moi, j’étais au milieu. Le plus important dans ce genre de situation, c’est qu’il faut se mettre à la place de la personne que tu as devant toi. Si toi, tu es au top et tu te mets dans la position du président, du dirigeant et le mec va parler dans la presse… Il faut comprendre que c’est lui qui va mettre la tête là-dedans et tu as besoin de le comprendre. Le président a besoin de comprendre par exemple le directeur sportif, qui va être le responsable pour les joueurs qui arrivent. Et le directeur sportif, il faut qu’il se mette à la place de l’entraîneur, car c’est le mec qui va entraîner les joueurs qu’il a amenés. Et l’entraîneur doit se mettre à la place du joueur. Si tout le monde fait cette progression à la fin, ça marche. Personne ne s’est mis à ma place. Ils pensaient que l’objectif était d’être compétitif tous les jours et finir dans le Top 5. Je ne pense pas qu’il y ait un entraîneur qui aurait fait mieux que ce qu’on a fait, en finissant 6ème, alors que je ne sais pas encore aujourd’hui comment on a fait. Et l’année d’après, tu finis 14ème. Tu ne peux pas ça. Tu veux continuer à minimum maintenir, voire améliorer. Mais je pense que c’était ça, personne ne s’est mis à ma place.

     

    De façon générale, depuis plusieurs années, on note un manque d’investissement général. Même si on s’en rendait déjà compte à votre époque, avec les dirigeants de l’époque qui étaient différents de ceux d’aujourd’hui, on se rend compte que Paulo Sousa est exactement dans le même cas de figure que vous, avec peu d’investissements. Il a voulu instaurer une philosophie et une tactique (3-5-2) mais, voyant que c’était trop compliqué, il est revenu à un schéma plus simple (4-4-2 ou 4-3-3). C’est compliqué d’être dans cette situation et de viser une qualification européenne s’il n’y a pas le groupe et les moyens, derrière.

    Comme je disais avant, c’est difficile de parler sur ce qui se passe actuellement, car je ne sais pas ce que le club a dit à Paulo, comment ils allaient le faire, quels joueurs ils ont amené ou pas… c’est difficile. Ce que j’ai toujours dit, c’est que le centre de formation de Bordeaux, c’est un Top 5 de France. Alors, si on s’appuie sur des jeunes qui sont dans le Top 5 de France, il faut les voir intégrer chaque année l’équipe première. Moi, quand je suis arrivé au club, Jules Koundé avait 19 ans, je pense, et il avait déjà joué 3-4 matchs avec Jocelyn Gourvennec et Eric Bedouet. Il avait la qualité, la mentalité pour jouer tous les matchs. Ce n’était pas moi, c’était Jules. J’étais vraiment convaincu que Tchouameni et Youssouf pouvaient prendre une part importante dans notre groupe de joueur. Ils ont joué pratiquement tous les matchs d’Europa League, les trois. On a donc commencé l’Europa League avec 3 joueurs qui avaient à peu près 19 ans. Je n’avais pas peur parce que je savais qu’ils avaient la qualité et la mentalité pour être là. C’est à eux de le démontrer, je n’ai pas eu peur de les faire jouer. Mais tu sais que pour les maintenir en consistance dans l’année, tu as besoin de quelque chose de plus. Il faut au moins un attaquant qui marque 15 buts. C’était qui le dernier attaquant qui en a marqué autant ? On parle de Bordeaux ! Avec tout le respect pour les autres équipes, on ne parle pas d’une équipe qui joue le maintien, on parle de Bordeaux. Ça devrait être le Top 5. Alors si pour être à ce niveau, tu n’as pas un joueur qui va rester quelques années, qui va marquer 15 buts, on se trompe d’objectifs. Et ce n’est pas un problème de supporters, d’entraîneur ou de comment tu les entraînes. C’est un problème financier où il faut trouver des solutions mais qui sont plus difficiles. Il faut essayer de maintenir un groupe de personnes qui travaille pour le même objectif. Si on choisit de jouer les prochaines années avec de jeunes joueurs, tout le monde va savoir que Bordeaux a une équipe majoritairement jeune. Tu vas gagner beaucoup de choses mais tu vas en perdre aussi : l’expérience, la consistance. Mais c’est une option. Tu vas trouver un joueur qui est spécialiste devant le but et en lui donnant 2-3 ans, tu vas faire de lui ce joueur qui met 15 buts. On va trouver un système de jeu que l’on pourra garder pour quelques années, comme celui que l’on a trouvé nous, ce 4-3-3, qui a été magnifique avec nous. Tu sais, l’important pour l’entraîneur, c’est de pouvoir s’adapter. Quand Meité n’était pas là, tu faisais rentrer Lerager et ça pouvait marcher. Mais tu as une boule au ventre qui te rappelle qu’il faut que tu joues bien. Lors de la deuxième année, j’ai demandé des joueurs qui avaient l’habitude de jouer le jeudi et le dimanche. Tout le monde pense dans le football que c’est facile, mais non. Les joueurs qui sont dans un club qui joue les compétitions européennes chaque année, ont l’habitude de jouer jeudi et dimanche tout le temps. Et il y a ceux qui n’ont pas cette habitude-là et ces joueurs-là auront besoin de plusieurs années pour être au même niveau jeudi et dimanche. Pour illustrer ça, on peut prendre l’exemple d’un club qui joue la Champions League. Le mercredi, ils jouent un match à l’extérieur contre Liverpool à Anfield et dimanche, tu joues contre l’équipe qui est dernière du championnat de France. Quel match les joueurs ne veulent pas manquer d’après vous ? (rires). Tu as donc besoin de joueurs vraiment forts mentalement pour être sûr que le dimanche ils vont jouer avec le même niveau que mercredi. Et à ce niveau, tous les joueurs ne sont pas les mêmes. Les gens pensent que comme ils prennent de l’argent, il faut qu’ils jouent, point. Mais ce n’est pas ça. C’est mental, une habitude que les joueurs doivent prendre. Nous, on avait des jeunes, jamais ils n’ont joué jeudi et dimanche. Poundjé, Otávio n’ont pas beaucoup joué jeudi et dimanche. Lerager et Laborde aussi avant de partir… On avait un groupe de joueurs qui jouait le plus qui n’avait pas l’habitude de jouer jeudi et dimanche. Tu as donc besoin d’un groupe plus grand, ce qui te permet de faire des changements ou alors il te faut des joueurs qui aient l’habitude d’enchaîner ces matchs. Comme ça tu peux enchaîner les performances similaires sur les deux compétitions. J’ai regardé comment ça s’est passé après. L’Europa League, c’était pas mal du tout mais après le dimanche, c’était autre chose (rires). Mais quand tu dis ça comme entraîneur, ils pensent que tu dis ça contre eux. Alors que non. Je suis avec vous. Je dis ça car je veux jouer au même football le jeudi et le dimanche. Je connais ce genre de situation, je l’ai connue quand j’étais à Saragosse, à Chelsea. Il y a des joueurs qui ont l’habitude d’enchaîner ces matchs-là et d’autres qui ne l’ont pas. Si tu as un groupe vraiment jeune, avec des joueurs qui ont de l’adrénaline et de l’énergie tout de suite, tu sais que 3 mois plus tard, le niveau va baisser car tu sais qu’ils ne pourront pas maintenir ce niveau. Donc tu as besoin des autres joueurs pour maintenir ce standard. Mais non, tout le monde pensait que c’était moi qui étais fou (rires).

     

    Gustavo Poyet

     

    Que pensez-vous de Paulo Sousa, qui est l’entraîneur des Girondins aujourd’hui ?

    Je n’ai pas regardé beaucoup de matchs, mais je pense qu’il sait bien ce qu’il veut. Je ne sais pas si c’est bien de le dire, mais je sens qu’il n’est pas content. J’ai regardé 2-3 interviews de lui et c’est ce qui est ressorti. J’aimais beaucoup Paulo quand il était à la Fiorentina. Ouf ! Cette équipe de la Fiorentina jouait à un niveau exceptionnel et je me disais que lui, jouait à un très bon niveau. Après, avec les entraîneurs, ça varie selon là où tu es. Pour ma part, j’ai bien aimé mon temps à Brighton, à Sunderland, à l’AEK et à Bordeaux et ça n’a pas marché au Betis. Alors que j’étais le même et qu’ils parlaient la même langue que moi, l’espagnol. Et ça n’a pas marché. Tu ne sais jamais, mais je pense qu’il connaît bien ce qu’il veut. Je ne le connais pas personnellement. Je pense qu’à Bordeaux, tout le monde doit s’asseoir ensemble pour fixer un objectif pour l’année avec un ce groupe de joueurs, voir ce qui est possible ou non, que tout le monde parle. Il faut fixer un objectif, voir comment le faire et trouver les personnes qui vont le faire, et que tout le monde aille dans la même direction. On parle toujours de viser le Top 4 alors que tu as des joueurs qui sont du niveau Top 12. Il faut savoir être réaliste.

     

    Aujourd’hui, les Girondins sont sous pavillon américain. Et depuis leur arrivée, il y a une forte tension avec les Ultramarines qui s’est accentuée des derniers mois. Les Ultramarines remettent en cause la mauvaise gestion du club notamment, ce que vous avez mis en avant également en tant qu’ancien entraîneur. Avez-vous suivi l’actualité du club ces derniers mois et surtout que pensez-vous de la place des Ultramarines dans un club comme les Girondins ?

    La situation actuelle, je l’ai suivie un peu, mais de loin. Mais il y a une chose dont je voudrais toujours me rappeler, c’est lorsqu’on a eu une réunion avec les supporters. C’était spécial, unique pour moi. C’était en début de saison, avant de commencer l’Europa League. Je me rappelle que quand tu regardes un supporter dans les yeux, tu peux voir l’importance du club pour ce groupe de supporters. Tu peux sentir ce qu’ils ressentent. Les mecs, ils m’ont dit : « Gustavo, s’il te plaît, on va venir à Ventspils, en Lettonie, à 30 ou 40 personnes. Mais pour y aller là-bas, il faut faire je ne sais pas combien de vols. Alors, s’il te plaît Gustavo, à la fin du match, il faut venir nous voir sur le corner ». J’ai dit bien sûr, pourquoi pas ! Et ils me disent que des fois, ils font des choses qui sont incroyables pour eux, et quand le match est fini, et qu’on a perdu, peut-être, tout le monde part. Je me rappelle de ce match, Youssouf a marqué en début de match et on a gagné. Et j’ai dit aux joueurs qu’on allait aller les voir car ces mecs-là, ils ont fait n’importe quoi pour venir ! Je sais que des fois il y a des tensions, que parfois certains vont plus d’un côté que de l’autre. Mais à la fin, on a tous besoin de tout le monde. Et si on n’est pas d’accord, ça ne marche pas. C’est le message que je veux donner à tout le monde. Il faut que tout le monde prenne un peu de recul, qu’il se mette d’accord sur un objectif, je ne sais pas lequel, ce n’est pas à moi à le dire. Mais on a besoin de tout le monde. Bordeaux a besoin que tout le monde soit du même côté, ça sera plus facile pour avancer.

     

    Pour finir, on voulait en savoir un peu plus sur vos projets professionnels. On a parlé de vous en tant que sélectionneur du Cameroun, entraîneur en Grèce, à Dijon en France… Qu’en est-il réellement, et quelles sont vos attentes aujourd’hui ?

    J’essaie de retrouver une place dans un club, pour montrer ce que je veux faire. J’ai eu pas mal d’appels dont deux possibilités qui étaient viables. On était arrivé à un accord financier avec un club mais il y a eu d’autres choses qui ont fait que ça ne s’est pas fait. J’essaie de trouver cet endroit où je pourrai avoir du temps pour travailler. Je suis convaincu que ça marchera. J’aime cette relation, je veux trouver un groupe qui aime bien jouer ce football que l’on aime avec mon adjoint. Si c’est en Angleterre, c’est bien. Si c’est en France, après cette expérience à Bordeaux qui a été magnifique, bien. Je pense que si je dois dire quelque chose aux clubs en France, c’est qu’il faut me connaître. Il ne faut pas regarder une interview (conférence de presse, ndlr), ou plutôt qu’ils parlent avec les joueurs que j’ai entraînés. Parce qu’à la fin, ce sont eux qui jouent. Il faut convaincre. J’espère que ça va arriver là, après la crise que nous sommes en train de vivre. Ma première année à Bordeaux a été difficile, et après ce qui s’est passé, il y a eu cette interview partout… Après cette année, j’ai eu des pistes qui ne se sont pas finalisées mais j’étais vraiment proche de deux clubs. Après, j’ai des appels de toute part. C’est la folie du football, un jour c’est l’Amérique du Sud et le lendemain, c’est l’Australie (rires). J’espère que je pourrai rester ici, en Europe. On va voir… ».

     

    Un très grand merci à Gustavo pour le temps qu’il nous a accordé. Nous lui souhaitons de trouver rapidement un projet qui colle à ses souhaits et sa personnalité.

    Remerciements également à Sebastián Giovanelli qui a oeuvré à ce que cette interview se fasse.

    Gustavo Poyet