Triaud: « Une seule démission »
Deuxième partie de l’interview de Jean-Louis Triaud, tirant un bilan sur la saison des Girondins de Bordeaux. Cette partie concerne notamment l’entraîneur Jean Tigana.
Avez-vous vu venir le décalage qu’il existait avec ses joueurs ?
Jean-Louis Triaud : D’entrée, j’ai senti qu’il y avait une forme de management différente de la précédente avec une adhésion des joueurs. Ils disaient avoir besoin de discipline, d’organisation et d’un peu de contraintes. Lorsque cela se passe mal, tout est condamnable. Il est vrai que dès le début, Jean Tigana a instauré des règles un peu strictes. Cela marche un peu comme à l’école. Un bon élève ne se plaint pas de la discipline. Au contraire, un mauvais élève adresse en 1er un reproche à son professeur. Alors assez vite, les résultats ne suivant pas, j’ai senti les réactions négatives arriver.
Peut-on parler d’un fossé générationnel entre le souvenir de la carrière de joueur de Jean Tigana et ses joueurs actuels ?
Je ne crois pas. Peut-être que tout le monde aurait du s’adapter et y mettre du sien. Encore une fois, lorsque tout va bien, les cadres de fonctionnement sont facilement acceptés. A l’inverse, nous avons tendance à chercher des explications partout. Le rejet peut se produire. C’est peut-être à ce stade-là que tout le monde doit donner avant d’exiger.
A la conférence de presse de présentation de Jean Tigana, vous aviez affirmé, avec un peu d’humour, que l’obligation minimum était « de passer un bon moment ensemble »…
J’ai passé un bon moment avec lui. J’étais bien sûr contrarié par les résultats sportifs, les modes de fonctionnement du staff, des tentatives d’explications de certains joueurs, mais Jean Tigana est un homme de qualité. L’équipe a démarré la saison avec Michel Pavon comme adjoint, et tout allait très bien. A partir du moment où les résultats sportifs étaient mauvais, les joueurs ont surement eu quelques attentes auxquelles Jean Tigana ne souhaitait pas répondre. Michel Pavon a essayé de jouer entre les uns et les autres. Cela n’a pas marché. Il a eu le tort de croire qu’il pouvait apporter une réponse à lui tout seul. Cela a provoqué une sorte de rupture entre lui et Jean Tigana. C’est un problème que nous avions évoqué. Je suis allé à Rabat à la reprise car je voulais provoquer une réunion entre les 2 hommes afin que les choses soient claires. J’ai dit à Jean Tigana qu’il était mon choix. Je lui ai fait comprendre que s’il n’y avait pas de chance de voir évoluer les choses et que s’il pensait que pour le club le mieux était de se séparer de Michel, cela serait fait. Il m’a répondu non. C’est quelqu’un de généreux. Il voulait que les choses se passent bien. La réalisation n’a pas suivi.
Une fois Michel Pavon parti, Jean Tigana a-t-il pu renouer le dialogue avec ses joueurs ?
En tout cas, il était plus détendu dans son mode de fonctionnement. Il a pu appliquer exactement ce qu’il souhaitait. Les résultats sportifs n’étant pas tout à fait au rendez-vous, la situation est restée très tendue en termes d’ambiance. Quand on est mal sportivement, nous avons tendance à tout décortiquer dans la presse, quelles que soient les personnes concernées. Cela frise un peu la paranoïa à ce moment-là. Plutôt que de livrer, les uns et les autres à une chasse aux sorcières, nous aurions mieux fait de nous concentrer sur le terrain.
Faut-il absolument recruter un entraîneur et son staff ou, au minimum, son adjoint ?
Je pense que c’est mieux. Lorsqu’un entraîneur arrive dans un club qu’il ne connaît pas ou qu’il connaît peu, il a besoin de se sentir accompagné, même s’il trouve des affinités sur place ainsi que la volonté de travailler avec tous les gens en place, il a besoin de son adjoint. D’abord, cet adjoint peut être son confident, son homme de confiance. Il est donc son allié dans le cas où il y aurait des adversités. Il connaît bien son fonctionnement. Cela permet de soulager l’entraîneur pour bien faire passer son message. En ce qui concerne Jean, comme il avait arrêté depuis de nombreuses saisons, ses adjoints n’étaient pas disponibles : Stéphan est à Marseille et Damiano à Rome. Quand nous avons évoqué le nom de Michel Pavon, ils étaient persuadés que cela fonctionnerait. Cela n’a pas été terrible.
Avez-vous compris la démission de Jean Tigana à 4 journées de la fin du championnat ?
Pour être clair, notre programme était de continuer avec Jean pour une 2ème année. C’est dommage pour lui car il aurait pris la mesure du Club. Au-delà de la déception des résultats sportifs, les événements qui ont concerné sa fille ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Il a été dit que le choix de Jean Tigana était davantage celui de l’actionnaire…
C’est faux ! Nous faisons des choix en commun.
Combien de démissions vous a présentées Jean Tigana cette saison ?
Une seule. Il s’est posé plusieurs fois la question. Il nous a dit qu’il sentait qu’il fallait qu’il arrête mais, je pense que c’était davantage pour savoir si lui faisions toujours confiance. Il n’avait pas envie d’arrêter. Il ne souhaitait pas partir sur un échec.
Finalement, est-ce que le groupe n’a pas un peu vécu avec la nostalgie de l’entraîneur précédent ?
Il est toujours difficile de changer d’entraîneur. Le groupe s’attache. Il faut changer de principes de fonctionnement. Il y a 2 époques du tandem Blanc-Gasset à Bordeaux. Les 2 premières années, ils étaient détendus et frais. Ils avaient beaucoup à prouver sans pression particulière. Tout le monde présentait ce tandem comme des débutants. Quand cela a bien fonctionné, que nous avons été champions, le poids a commencé à peser sur leurs épaules. Tout le monde attendait que cela se renouvelle. Laurent a un peu changé dans son management du groupe. Il est passé de 2 attaquants à domicile et un à l’extérieur, à un attaquant dans tous les cas. Le turn-over mis en place a été moins mis en application sur la 3ème saison. La pression des résultats fait que, pour cette finale de la coupe de la Ligue face à Marseille, il était impossible d’en faire l’impasse. Alors que le Club s’en fichait. Nous ne crachons pas sur une coupe de la Ligue mais nous étions 1er du championnat, toujours qualifiés en Champions League, ces 2 objectifs majeurs nous paraissaient très suffisants. Cette coupe devenait un objectif secondaire. J’aurai fait jouer une équipe prise dans le groupe, qui aurait peut-être mieux joué car les joueurs aurait été frais. Même les hommes, dans leur fonctionnement, à la suite d’événement heureux ou malheureux, peuvent avoir des comportements différents. Le groupe s’en est rendu compte. Ils ont adoré le tandem Blanc-Gasset des 2 premières années. Ceux qui ont moins joué, la 3ème année, ont moins apprécié. L’ambiance était un peu moins bonne.
Source: Girondins.com