Sir Alex Ferguson vu par Bellion
De passage durant deux années à Manchester United, David Bellion a côtoyé l’emblématique Sir Alex Ferguson. Dans cette interview accordée à So Foot, l’attaquant bordelais revient en détail sur son passage en Angleterre, et sa relation avec l’entraîneur anglais.
Comment se sont déroulés tes premiers contacts avec Sir Alex Ferguson ?
Il me suivait depuis deux ans lorsque j’étais à Sunderland. On est allé jouer un tournoi amical à Jersey auquel participaient également Manchester United, le Sporting Portugal, Tottenham et Barcelone. J’ai été élu meilleur joueur du tournoi, il était présent, il a contacté mon agent et l’affaire s’est conclue très facilement. Je l’ai ensuite rencontré dans la maison de son fils, Jason. C’était fantastique de discuter un mec comme ça.
Il n’avait pas directement pris contact avec toi au moment de te recruter ?
Je ne sais pas si c’était lui ou des recruteurs de Manchester qui avaient contacté mon agent, mais je l’ai rencontré très vite après. Je l’ai ensuite revu une deuxième fois dans l’hôtel où il a l’habitude de séjourner près de Monaco. Il vient régulièrement en France pour se ressourcer, et comme j’étais de passage à Cannes à ce moment-là, j’en ai profité pour passer le voir.
Comment t’a-t-il accueilli lors de ton arrivée à Manchester ?
C’était exceptionnel. Il est venu me chercher à l’hôtel pour me faire visiter les infrastructures et ensuite il m’a présenté à tout le reste de l’effectif pour me mettre à l’aise. Après c’est allé très vite. Le premier entraînement c’était des toros, avec d’un côté les anciens, de l’autre les jeunes. Moi je n’avais pas compris donc je me suis retrouvé dans le toro des anciens avec Veron, Keane, Scholes, van Nistelrooy, Giggs, Butt, Neville, Barthez…
Quels types de rapports Ferguson entretient-il avec ses joueurs ?
Le véritable entraîneur c’est Micky Phelan, son fidèle bras droit. Ferguson est paternaliste, amical avec les joueurs. L’intelligence des grands managers, c’est de savoir quand est-ce qu’il doit prendre du bon temps, s’amuser, rigoler avec ses joueurs, et quand est-ce qu’il doit prendre du recul pour faire des choix.
Il dialogue beaucoup avec son effectif…
Il est très, très proche des joueurs.
Il se comporte de la même manière avec les joueurs de banc qu’avec les stars ?
Totalement. Il ne consacrait pas plus de temps aux titulaires qu’aux remplaçants. Sur ce plan-là, c’était parfait.
Tu as été marqué par des anecdotes le concernant ?
Je suis arrivé à Manchester en même temps que Cristiano Ronaldo, Djemba-Djemba, Kleberson et Tim Howard. Et Cristiano, Djemba-Djemba et moi, on s’amusait souvent à imiter Ferguson. C’était pas méchant, on l’imitait devant Giggs ou Solskjaer et ça le faisait rire, c’était bon-enfant. Tous les trois on faisait beaucoup d’imitations, on imitait sa dégaine, sa démarche. Au moment du repas de Noël qui se tenait dans la cantine du club, la tradition voulait que les jeunes de l’effectif se déguisent en un des cadres, le caricature. Jonathan Spector, qui devait imiter Ferguson, nous a tous fait mourir de rire. Une autre anecdote : tout au début, j’étais allé discuter avec son fils qui m’avait demandé si tout se passait bien à l’entraînement. Je lui avais répondu que ça se passait super bien, et il m’avait dit que c’était parce que je n’avais pas encore expérimenté le « hair-dryer ». Le « hair-dryer », le sèche-cheveux en français, c’est le surnom qu’on donne à ses gueulantes, mais à l’époque je ne savais pas vraiment ce que cela voulait dire. Quelques jours plus tard, en Champions League on s’est déplacés au Bayer Leverkusen ou à Stuttgart, je ne sais plus, en tout cas il y avait Kevin Kuranyi en face, et on a perdu 2-0. A la mi-temps de ce match, j’ai découvert le « hair-dryer ». Un coup de gueule incroyable ! J’en rigole maintenant mais c’était vraiment impressionnant. Dernière anecdote pour la route, Alex Ferguson nous disait toujours la même chose avant qu’on entre sur le terrain : « Amusez-vous comme des enfants ! ». C’était vraiment extraordinaire. J’étais un jeune qui ne jouait pas souvent et chaque semaine il me disait : « Prépare-toi, tu vas devenir un grand joueur avec les qualités que tu as ! ». Et ça, ça booste.
Qu’as-tu appris à ses côtés ?
Il voyait souvent des choses qu’on ne voyait pas. Son coaching était génial. Selon les situations, tu t’étonnais qu’il fasse rentrer tel joueur et pas un autre, mais cela portait quasiment toujours ses fruits. Il ne parlait pas tout le temps, il venait à l’entraînement avec sa doudoune et son bonnet, il observait, il arrêtait le jeu une ou deux fois, pas plus, pour nous expliquer certains trucs, c’est tout.
Et sur un plan personnel ?
Il m’a beaucoup apporté d’un point de vue mental. Je jouais comme dans la rue, tout en dribbles, et il a su me rendre heureux. Ma manière de jouer de l’époque n’a rien à voir avec ma façon de jouer actuelle, j’étais vraiment un dribbleur un peu fou et l’objectif de Ferguson était de me rendre heureux, c’est pour cela qu’il aimait discuter avec moi. Un truc qu’il m’a beaucoup reproché et qui m’a fait progresser, c’était que j’étais trop aspiré par le ballon. Je ne regardais pas ma position sur le terrain, je ne regardais que le ballon. Il m’a appris à rester à ma place et à attendre que le ballon arrive. Mais le principal, c’est qu’il m’a rendu heureux. Il avait compris que si je me levais le matin en étant heureux d’aller jouer au foot, je donnerais le meilleur de moi-même. Il voulait que je prenne le ballon avec le sourire et que je joue ma partition. Il me disait toujours: « Ne t’inquiète pas, fais ce que tu sais faire, il y a des joueurs pour t’aider derrière ». En gros, il me demandait de me replacer un minimum et de dribbler un ou deux joueurs pour faire la différence.
C’est un type de discours que tu as entendu ailleurs par la suite, ou c’était particulier à Ferguson ?
C’était particulier à Ferguson. C’était aussi du au fait qu’on avait les meilleurs joueurs de la planète à tous les postes. Cela crée une telle confiance, que tout le monde joue sa partition sereinement. Le but de Ferguson, c’était de maitriser le ballon, de le garder et de faire courir l’adversaire. Quand tu raisonnes comme ça, tu sais ce que tu as à faire quand tu as le ballon. Par contre, si tu ne l’as pas, replace-toi. Souvent, dans le foot moderne c’est plutôt « si on n’a pas le ballon, il faut faire telle ou telle course pour le récupérer ». Alors que lui, son projet était d’avoir le ballon. On le récupère une fois, et on le garde pendant longtemps. Mentalement, ça change la donne. A chaque fois que je rentrais sur le terrain, il y avait un mec comme Rio (Ferdinand, ndlr) qui me disait : « toi, fais ce que tu as à faire, t’inquiète pas, on sera là pour défendre ». Quand t’as un des meilleurs défenseurs du monde qui te dit ça, en tant qu’attaquant t’es obligé de jouer relâché. Tu te dis que t’es payé pour attaquer, bon bah t’attaques, quoi. Parce que lui il sait que si il y a une perte de balle, il te demandera de te replacer, bien sûr, mais il sera là pour faire le job. C’est juste une histoire de confiance. On avait confiance en nos défenseurs qui avaient confiance en nous.
Tu avais retrouvé un peu de cet état d’esprit dans le Bordeaux de Laurent Blanc ?
Lors des deux premières saisons de Laurent Blanc à Bordeaux, oui. Ce que j’ai beaucoup aimé dans la première, c’était que Laurent Blanc avait une « folie anglaise ». Je jouais devant avec Marouane (Chamakh, ndlr), il y avait Alonso à droite, Jussiê ou Wendel à gauche, Fernando et Micoud au milieu, et quand on menait un à zéro, Laurent Blanc avait la particularité de nous demander d’en mettre un deuxième puis un troisième en nous disant qu’il y avait toujours la place. Pour les attaquants, c’était super. Et c’était un jeu de fou parce qu’on prenait pas mal de buts mais on en mettait toujours un de plus que l’adversaire. Bien sûr, ce n’était pas la meilleure façon de jouer parce qu’on a été champion l’année d’après en réglant nos problèmes défensifs qui étaient liés à toute l’équipe. Le discours d’Alex Ferguson est incomparable, il fête ses 25 ans à la tête de Manchester United, il a tout gagné, mais à son arrivée à Bordeaux, Laurent Blanc a fait des choses extraordinaires. Francis Gillot, je ne le connais pas plus que cela, mais j’ai un caractère bien trempé, et lui il aime produire du jeu. Et moi j’adhère toujours à ça.
Dans le coaching de Laurent Blanc, tu vois une filiation avec Alex Ferguson ?
Bien sûr. Il a côtoyé Ferguson, mais aussi plein d’autres grands entraîneurs à Naples, à l’Inter, au Barça, à Saint-Etienne, à l’OM, à Auxerre quand c’était les belles époques… Il a appris partout, mais c’est sûr qu’il prend exemple sur Ferguson au niveau de la gestion. Gestion des matchs, et gestion des hommes. Ferguson a une grande confiance en son groupe. Par exemple, en 2004 on a perdu 1-0 à Chelsea lors de la première journée, et au match suivant il me titularises à domicile face à Norwich et je marque. On aurait pu se dire qu’à l’occasion du premier match de la saison à domicile il aurait du mettre la grosse armada pour les atomiser 10-0, mais non, il m’a mis à droite et j’ai marqué. C’est là que tu te dis qu’il a confiance dans tout ses joueurs.
Au fait, quel est le parfum du chewing-gum d’Alex Ferguson ?
A mon avis c’est un des Wrigley’s qu’on nous propose avant les matchs. Tiens, tu savais que Wrigley est la première marque au monde à avoir équipé ses produits d’un code-barre ?