Battiston, marqué à vie

    Il y a 30 ans, le foot français renaissait. A l’occasion de l’anniversaire du match de légende France-Allemagne le 8 juillet 1982 à Séville, les médias ont concocté de nombreuses rétros. Lawrence Leenhardt a rencontré Patrick Battiston pour l’Equipe (papier puis site), pour témoigner une nouvelle fois sur l’attentat de Schumacher.

     

     

    Patrick Battiston, pourquoi êtes-vous entré en jeu au milieu ce jour-là ?

    Aujourd’hui, je peux mieux comprendre. Les gens ne se souviennent que des images du choc. Moi, je me rappelle très bien de “l’avant”. En arrivant en Espagne, je n’étais pas du tout certain d’être titulaire, loin de là, même si c’était ma deuxième Coupe du monde. La concurrence était rude et cette année-là, j’avais été plutôt remplaçant. Heureusement, j’ai fait un bon stage de préparation qui m’a permis d’être titulaire contre l’Angleterre. Et donc de disparaître ! (Il rit). On avait perdu 3-1 et je n’avais pas été brillant. J’avais souffert de la chaleur, beaucoup, même énormément… Comme une insolation en fait. Le match suivant, direction les tribunes. J’ai réussi à rebondir en grande partie grâce à Marc Bourrier, l’adjoint de Michel Hidalgo. Après l’Angleterre, j’avais dit : «J’arrête ! Je suis déçu de moi, je laisse tomber.» C’était tellement brutal de passer au travers comme ça, d’avoir failli, pour les copains. Marc ne m’a plus lâché jusqu’à me redonner l’envie, la confiance en moi, même si je savais que j’étais de côté. J’ai travaillé comme un fou, dans ma bulle. Les bouquins que Bernard Pivot nous avait donnés -je lisais le Monde selon Garp !-, ma musique, Julien Clerc, Fleetwood Mac, je me suis libéré totalement. Comme ça, j’ai regagné une place dans le groupe. On connaît la suite.

     

    Et dans cette demi-finale, ça a continué…

    Je suis dans le match mais tranquille, sans stress particulier car je me dis que l’équipe va bien jouer, qu’il n’y a pas de raison pour que je rentre en jeu, d’autant que je suis défenseur. Je me souviens d’avoir fait la réflexion à Christian Lopez, depuis le banc de touche un peu encaissé : «T’as vu, le gardien chez eux, il est chaud, agressif, c’est étonnant, il est excité !» Bon, sans plus. Après coup, ça n’a pas la même valeur, hein ! La blessure inattendue de Bernard Genghini au mollet, à la mi-temps, m’a vraiment surpris. Je rentre au milieu de terrain et je me sens hyper à l’aise. Très étonnant ! Je réussis tout. Je repense souvent à toutes ces circonstances qui ont fait que… Moi qui suis quelqu’un qui me pose des questions, parfois trop, qui pèse le pour et le contre, là rien ! Je suis trop bien.

     

    Euphorique ?
    Oui, un rêve. Je réussis tout depuis mon entrée en jeu, au milieu de terrain en plus alors que je suis défenseur. Oui, je pense que cette forme d’insouciance me pousse à jouer à fond ce ballon de Michel Platini. Nous avions des automatismes à Saint-Etienne. Je me dis : «C’est pour moi, j’ai les Champs-Elysées devant moi.» Je me sens tellement bien, libre, dans un état qui me permet tout. Sans ces sensations d’euphorie, j’aurai pensé ne pas y aller, rester en place. J’y vais. Mais je vois une ombre, mon champ de vision se noircit. Mmmm… C’est pas bon. Mais j’ai très envie de toucher le ballon, au moins de terminer l’action. En fait, je pense que je peux toucher le ballon du gauche et l’esquiver. Et je sais que c’est trop tard. Mais je suis trop pris par le désir de le toucher un peu. Et Boum. »