Alain Giresse revient sur l’épopée européenne des Girondins en 1984-1985, match par match, avec des anecdotes incroyables

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    Hier, sur RMC, Alain Giresse est revenu en longueur sur le parcours en Ligue des Champions de son équipe, les Girondins de Bordeaux, lors de la saison 1984-1985. Gigi a expliqué longuement chaque rencontre, donnant toutes les anecdotes de ces matches qui ont vu finalement le FCGB s’arrêter en demi-finale contre la Juventus.

    L’Athletic Bilbao

    “Des anecdotes il y en a, avec des à-côtés… Dès le premier match, c’était assez particulier, rare, et heureusement ça n’existe plus à l’heure actuelle. Le premier match c’est Bilbao, à Bordeaux. On gagne 3-2. Le retour, il se trouve qu’à ce moment-là, la France extradait les prisonniers basques et les redonnait à la justice espagnole. Nous devions partir pour 350km, mais nous avions l’interdiction de prendre le bus. On prend un avion qui nous fait atterrir à Bilbao, et sur la piste des chenillettes (tanks) de partout. On est encadrés par la Guardia Civile, mis en sécurité. On fait le match, un 0-0. On repart avec le bus, encadré de la même façon, à chaque péage ils descendaient, au cas où il y aurait une attaque de l’ETA. Une fois arrivé à Hendaye, on était soulagés. C’était un commencement d’une campagne un peu épique […] Ce match-là, on l’a bien joué, on avait été solides. Dominique Dropsy nous avait fait un match héroïque. Mais cette année-là, c’était la période où on était au summum. On ne rentrait pas sur le terrain, notamment à Bordeaux, en se demandant si on allait gagner, mais par combien on allait gagner. C’est rare d’être dans ces situations-là. On le faisait sans suffisance, sans orgueil mal placé par rapport à l’adversaire. On se sentait forts ».

    Dinamo Bucarest

    « On reçoit les premiers encore une fois, on gagne 1-0. Le second match à l’extérieur, tout d’un coup dans la rencontre, on sent qu’on monte en puissance. Je me rappelle, je me disais ‘ils sont morts, on les tient’. On les a usés, et sur ce match on a senti qu’on passait au-dessus avec une facilité de faire les efforts. Eux ne pouvaient pas suivre le rythme qu’on imposait au match ».

    Dniepropetrovsk

     « On fait 1-1 à Bordeaux. Le retour ? D’abord, la ville est interdite aux étrangers, il fallait jouer en Crimée. Ensuite, les Pays de l’Est, et notamment l’Union Soviétique, n’acceptait pas les avions étrangers. Ce sont eux qui envoyaient leurs avions pour venir nous chercher. Voilà le contexte. Le Président Bez dit alors : ‘pas question que je prenne un avion russe, nous prendrons un avion français’, et il n’en a pas démordu. Nous partons un lundi matin de Bordeaux, et il faut faire une escale à Kiev parce que Kiev, c’est là où nous faisons les documents de police. Il se trouve que quand on descend de l’avion, ils nous disent qu’on ne peut pas repartir car il y a du brouillard sur notre lieu de destination, donc on doit dormir à l’hôtel. Ça, c’est la première information que l’on a quand on arrive à Kiev. Le lendemain on descend avec nos valises, le mardi, la veille du match, et on nous dit qu’il y a toujours du brouillard. Aimé Jacquet nous emmène alors nous entraîner dans un gymnase, comme dehors il y a de la neige, le mardi matin. Après la sieste on redescend avec nos sacs, et on nous rétorque la même chose, qu’il y a du brouillard. Là, il y a de l’inquiétude, parce que le lendemain, c’est le match. Ils nous proposent alors un train de nuit. Là, le Président s’occupe de l’affaire, ‘on s’en occupe, terminé de rigoler’. On est dans ces grands hôtels soviétiques, Claude Bez est au milieu avec le comité directeur, il se chauffe un peu à la boisson locale, et il s’énerve un peu… Il y a le représentant du ministère des sports soviétique, et Claude Bez dit à l’interprète : ‘dites-lui que c’est un con’. L’interprète ne veut pas le dire (rires). Le Président dit alors : ‘puisque c’est comme ça, on rentre’. Et alors là, j’apprends ça, je fais venir tous les joueurs dans ma chambre, et je leur explique le problème. Ils me disent qu’ils ne peuvent pas repartir comme ça, perdre sur tapis vert. Je redescends, le Président était très énervé, je vais voir Madame Bez, et je lui explique qu’il faut qu’elle lui parle, car on ne peut pas repartir comme ça. A force de discussions, ça accepte, mais on se retrouve le mardi soir à dormir à Kiev. Le lendemain matin, les pilotes d’Air France partent seuls de leur côté, en ayant négocié, et reviennent vite en nous disant qu’il n’y a pas le moindre brouillard, mais un plein soleil. Donc vite, on embarque, on arrive à 14h là-bas. Vite, on mange, pour aller au match qui était à 18-19h. Comment on joue après ça ? Des situations comme ça, il y a deux cas de figure : ou vous êtes complètement laminés et vous êtes amorphes, ou vous avez une équipe qui a du caractère, un mental et qui se mobilise. Et on était comme ça, on a puisé dans nos ressources psychologiques, en se disant : ‘tout ce qu’ils nous ont fait, ils vont le payer’. C’est dans cet état d’esprit qu’on est rentrés sur le terrain. On aurait pu être balayés, et au contraire, on a affronté l’adversité en se disant qu’on allait tout mettre. On l’a fait, on a réussi, on l’a emporté aux penaltys avec le fameux penalty de Fernando Chalana, qui était le dernier frappeur. On savait très bien qu’il était gaucher, et il se met en position comme s’il était droitier… On le voyait du rond central, on se demande ce qu’il nous fait… Il frappe du droit, il la met au fond, et voilà on est qualifiés. On lui a demandé pourquoi il avait fait ça. Il nous a répondu ‘mais quel est le problème ?’ (rires). Je lui ai dit qu’il aurait pu nous avertir avant. On est heureux pour la qualification, on se met les uns sur les autres, et lui était dessous… On se relève, et il ne se relevait plus (rires). Il soufflait, on l’avait étouffé ! On est ensuite rentrés dans le vestiaire. Le Président avait mis le béret basque avec l’écharpe, et on a tous chanté très fort dans ce grand vestiaire, la Marseillaise ».

    Juventus

    « L’arbitre suisse est parti en Ferrari…Gernot est poussé par les deux mains par Michel Platini sur un but, alors qu’il y a faute. C’était le premier match qu’on jouait à l’extérieur, au niveau du match aller. On était vraiment dans un contexte du grand match européen… Le contexte, l’ambiance, tout était là. Et c’est cette approche qu’on n’a pas bien appréhendé. C’est ce qui nous a joué des tours. On avait des qualités, mais sur l’approche d’un match de ce niveau-là, et d’un premier match, on est passés à côté. En plus, avant le match, on était dans un vestiaire, au calme, et tout d’un coup on entend frapper à la porte, et Michel est rentré : ‘salut les gars, ça va ?’. Ça nous a surpris. Ce n’est pas ça qui a fait basculer le match attention. Michel Platini avait une certaine aisance pour aborder une demi-finale de Coupe d’Europe, alors que nous, on était dans un état qui était la concentration extrême. Pour lui, ce n’était pas un événement, non. A l’aller, donc, 3-0 pour la Juve […] Ce match retour ? Sportivement, oui c’est un regret, avec le match aller. Il y avait eu un élan extraordinaire, une mobilisation régionale extraordinaire. Les gens y croyaient. C’était impressionnant. Je dis toujours que dans ce match, il y en a qui ont eu le son, mais pas l’image, parce qu’il y avait 42000 personnes à Lescure… […] Il y a toujours cette interrogation derrière, quand on sait quelle finale il y a eu après… On se pose des questions, on n’a pas la réponse. La finale, on l’a tous regardée ensemble, on s’est tous retrouvés dans le Médoc. Quand on a vu ça, les événements qu’il y eus, on s’est dit qu’on aurait pu être là… Les bordelais, les gens du Sud-Ouest auraient été là aussi… ».

    Retranscription Girondins4Ever