Tribune. Laurent Perpigna : “Ensemble, supporters, nous sommes le ciment de ce club. À minima, ne détruisons pas ce socle à notre tour, de rage ou d’impuissance”

Ses déclarations se font rares, bien qu’il soit toujours – évidemment – lié aux Girondins de Bordeaux, jusqu’à son dernier souffle. Laurent Perpigna, actuellement à des milliers de kilomètres physiquement de ce qu’ont vécu les supporters au stade René Gallice, a tenu à vous parler, à exorciser probablement sa colère, et les mauvais rêves qu’il fera, comme nous, cette nuit. Ce cauchemar semble pourtant bien réel, mais l’Ultra demande à ce que chacun reste digne, dans ce qui s’annonce inéluctable. Même si mathématiquement rien n’est encore fini…
“Dans nos vies de supporters, nous avons connu des moments
d’angoisse, de colère, de doutes. Mais ce sentiment d’impuissance
qui nous anime ce soir, jamais. En tout cas en ce qui me
concerne.
On peut tourner le problème dans tous les sens ; bien peu de
solutions se présentent à nous.
Notre club sombre, corps et âme. Les Girondins de Bordeaux sont un
navire à la dérive, dont le naufrage parait désormais inexorable.
Nous aurions pu jouer 500 minutes aujourd’hui, cela n’aurait rien
changé. Même à 11 contre 9. Même à domicile. Même avec des milliers
de supporters encore là à donner de la voix, là où ceux de tant
d’autres clubs auraient tout lâché, ou tout cassé.
Si mathématiquement, le pire n’est pas encore certain, il est bien
difficile d’imaginer une issue positive à cette saison.
Que faire ? Personne ne le sait. Y’a-t-il seulement quelque chose à
faire ?
À qui la faute ? Bien malin celui qui pourra répondre. Une chose
est sûre, quand un club est bon dernier d’un championnat, la faille
est forcément collective.
En revanche, aujourd’hui, je vois parfois mon groupe, les Ultras,
être accusé de « complicité ». De « vendus », même, c’est nouveau.
Pas assez véhéments pour certains, trop interventionnistes pour
d’autres, nous nous retrouvons bien malgré nous dans l’œil du
cyclone. C’est dans l’air du temps : il faut des coupables. C’est
absurde, aussi. À moins de vouloir tirer sur l’ambulance.
Des milliers de kilomètres avalés, de nombreuses prises de parole
auprès des joueurs – tantôt virulentes, tantôt positives –, des
alertes récurrentes passées à la direction depuis des mois, que
pouvaient faire de plus les Ultramarines ? Envahir la pelouse ?
Ceux qui nous reprochent d’être trop « mous » auraient été les
premiers à nous clouer au pilori. Demander la tête de Gérard Lopez
? Pensez-vous une seule seconde que si une campagne d’affichage
WANTED LOPEZ – qui est à la fois président et propriétaire, rien de
plus casse-gueule – avait fleuri sur les murs de Bordeaux, nous ne
serions pas lanterne rouge ce soir ? Sérieusement ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il va nous falloir rester dignes dans
cette épreuve, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Il est aisé de
l’être dans les moments de gloire, beaucoup plus difficile quand
tout dérape. C’est pourtant aussi ça, le football.
Dans les souvenirs marquants de ma vie ultra, je garderai en
mémoire ces milliers de visages, me faisant face, lors du dernier
Bordeaux-Troyes. Regards hagards, anéantis, abasourdis comme un
patient à qui l’on vient de diagnostiquer une maladie grave, mais
l’écharpe toujours fièrement nouée autour du cou. Il flottait dans
l’air un mélange de profonde tristesse et de dignité sur le Virage
sud que je n’avais jamais connu, et qui, je dois l’avouer, m’a
submergé.
Je me suis dit que ces fidèles ne méritaient pas ça. Qu’aucun
supporter des Girondins ne méritait cela, quelles que soient nos
différences, notre vision des choses.
Pourtant, nous en sommes là, tel l’orchestre du Titanic qui
continue de jouer alors qu’il sait que son sort est déjà
scellé.
Reprenons du poil de la bête : rien n’est fini. C’est clairement
très mal barré, mais nous ne pouvons pas tourner les talons.
Ensemble, supporters, nous sommes le ciment de ce club. À
minima, ne détruisons pas ce socle à notre tour, de rage ou
d’impuissance.
Loin de vous, mais probablement dans le même état, je voulais
adresser toute mon affection à celles et ceux qui dormiront mal ce
soir. À Florian, également, accusé des choses les plus absurdes par
une meute virtuelle, qui ne cherche qu’à passer ses nerfs sur des
cibles faciles. Votre colère est compréhensible, vos interrogations
aussi. La forme et ces allégations sont purement et simplement
lamentables. Et je pèse mets mots.
Quoi qu’il en soit, nous avons une saison à terminer. Restons
ensemble, au chevet de cette institution malade. Et si notre équipe
ne le mérite plus, notre club et son histoire eux, le valent. « Si
tu n’es pas à mes côtés quand je tombe, alors je n’aurai pas besoin
de toi quand je remonterai au sommet ».
Et je sais d’avance que ce club pourra, même en enfer, compter sur
des milliers de personnes”.