InterviewG4E. Bruno Ecuele Manga : « Franchement, ce serait très difficile de dire non à Bordeaux »
Il y a dix ans maintenant, nous faisions la connaissance de Bruno Ecuele Manga. C’était même il y a un peu plus de dix ans, lorsque nous le suivions attentivement avec la réserve des Girondins de Bordeaux. Pour nous, il ne faisait aucun doute qu’il allait signer professionnel, tant ses qualités étaient évidentes, tout comme sa marge de progression. Les supporters de la main courante ont certainement toujours en mémoire le staff des professionnels le faisant travailler, même après les séances. Malheureusement, le football n’est pas une science exacte et même malgré la volonté farouche de Patrick Battiston de le conserver, Bruno n’eut pas cette chance. Aujourd’hui, il nous confia même qu’il apprit par le SCO d’Angers que les Girondins, et Laurent Blanc, ne le conserveraient pas à l’issue de son contrat. Il faut dire que ce fut l’année du titre de Champion de France du club au scapulaire, une année où il y avait une concurrence féroce à son poste, une année où d’autres joueurs sont aussi restés sur le carreau (on pense notamment à Paul Baysse ou Matthieu Saunier qui eux ont tout de même eu la chance de signer professionnel). De son départ de Bordeaux, en passant par Cardiff où il évolue actuellement, tout en évoquant la sélection du Gabon avec qui il compte près de 78 sélections, voici notre interview de Bruno Ecuele Manga qui remercie encore Bordeaux aujourd’hui pour tout ce que ce club, son club, notre club, lui a apporté.
On te voyait réellement signer professionnel aux Girondins, et puis ça ne s’est pas fait. Tu te souviens des raisons qui t’ont été données à l’époque ?
Les raisons, je ne m’en souviens pas vraiment. Mais je me souviens juste que quand j’étais à Rodez, je n’arrêtais pas d’appeler Laurent Blanc qui me disait qu’il fallait toujours que j’attende la réponse, parce qu’il fallait que Bordeaux termine la saison. J’étais stressé parce que j’étais en fin de contrat. Rodez voulait me garder, mais je ne voulais pas y rester (Rodez évoluait en National à l’époque, ndlr), et derrière j’ai été très déçu d’apprendre la nouvelle. Parce qu’en fait, c’est Olivier Pickeu qui m’a appelé, le directeur sportif d’Angers, pour me dire qu’il venait d’avoir Bordeaux, qui lui a dit qu’ils ne me gardaient pas. Ça m’a vraiment surpris parce que je n’étais pas au courant. J’étais vraiment surpris. Je leur ai donc dit tout de suite, sans hésiter, que s’ils étaient intéressés par mon profil, qu’il n’y avait pas de souci. C’est comme ça que ça s’est fait.
C’était donc Laurent Blanc à l’époque qui n’avait pas souhaité te conserver. Ca a d’ailleurs été la même chose pour d’autres joueurs comme Grzegorz Krychowiak, entre autres, qui ont fait de belles carrières ensuite…
J’étais très, très déçu de ne pas avoir signé pro. Mais je garde de très bons souvenirs… A côté de Laurent Blanc et aussi des joueurs à mon poste, j’ai eu la chance de m’entrainer avec eux. J’ai beaucoup appris, et ça m’a beaucoup aidé pour la suite. Ce n’était pas évident pour un jeune de sortir de là. En plus, c’est l’année où ils ont été Champions de France (rires), donc… Je m’entrainais avec les pros, et pour moi c’était un réel plaisir de m’entrainer avec eux. Je n’espérais pas jouer pour être honnête. Même le match de Coupe d’Europe face à Panionios (son seul match en professionnel avec Bordeaux, ndlr), je ne m’y attendais pas. Pour moi, ce n’était que du bonus, je prenais beaucoup de plaisir d’être avec eux, m’entrainer avec eux, et donc faire ce match que j’ai eu la chance de faire.
Patrick Battiston confiait que tu faisais partie des joueurs qu’il aurait aimé garder aux Girondins, que ton départ l’avait attristé… (lire ICI)
Je me souviens qu’il m’avait appelé pour me demander de ne pas prendre le train pour Rodez à l’époque (rires). J’ai eu la chance de le connaitre, avec Marius Trésor. J’étais très attaché à eux, je n’arrêtais pas de leur demander des conseils vu que c’étaient de grands défenseurs centraux. Je discutais beaucoup avec eux, après les entraînements et après les matches. Je pense que ça m’a beaucoup aidé. En dehors d’être de bons entraîneurs, ce sont des mecs bien, très bien même. Je n’arrêtais pas de leur demander des conseils parce que je voulais progresser, avancer, et je ne voulais pas seulement m’arrêter à Bordeaux, je voulais aller plus loin. Ils m’ont beaucoup aidé pour ça.
On imagine donc que ça a dû être un énorme regret de ne pas signer, car Bordeaux est et restera toujours important pour toi…
Bordeaux reste toujours un club très important. J’ai fait mes débuts à Bordeaux (sourire). Je venais du Gabon, je suis allé directement à Bordeaux. Je suis toujours en contact avec beaucoup de gens, avec Marius Trésor on s’appelle régulièrement, avec Patrick Battiston aussi. Avec quelques joueurs également. Je ne garde que du positif de Bordeaux.
Pour rester sur Bordeaux, tu as dû voir que les Girondins avaient été rachetés par un fonds d’investissement américain. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Je n’ai pas trop de commentaires à faire là-dessus. Ce que j’espère juste, c’est que ce sont des mecs qui vont surtout s’intéresser sur l’aspect sportif. Je pense que Bordeaux reste un grand club, et il faut essayer de garder cette étiquette. Bordeaux a besoin de toujours honorer son blason, comme le Bordeaux qu’on a connu il y a quelques années. Ils ont besoin toujours d’être au top et pour cela, il faut que ce soit de bons investisseurs qui viennent, et surtout pour le sportif. J’espère que ça va bien se passer. Sans le sportif, ça ne fonctionnera pas, exactement.
Aujourd’hui, tu évolues à Cardiff, en Premier League, après quatre saisons en Championship. C’est vraiment le meilleur championnat du monde selon toi ?
Je n’ai pas joué en Turquie, je n’ai pas joué en Espagne, mais pour avoir joué en Championship et en Premier League… Franchement, pour moi, c’est le Top. Déjà, au niveau des stades, ça n’a rien à voir avec la France. Bon, attention, je compare juste les championnats où j’ai joué, je ne sais pas comment ça se passe ailleurs. Mais seulement au niveau des stades, puis de l’engouement, comment les anglais abordent le football, et surtout sur le terrain… C’est impressionnant. J’ai la chance aujourd’hui de jouer en Premier League, je prends beaucoup de plaisir à y jouer et y être, ce n’est que du bonheur. On rencontre des joueurs qui font partie des meilleurs joueurs du monde, des équipes comme Chelsea, City, Man United, des équipes qu’on supportait quand on était gamin (sourire). Aujourd’hui, c’est juste une chance de jouer contre eux, de fouler leur pelouse. Ce n’est que du bonheur, pour moi c’est le Top.
Cardiff est actuellement 18ème, à 4 points de Brighton (premier non relégable, ndlr). Penses-tu que vous avez encore des chances de vous sauver ?
Pour te dire honnêtement, la fin de saison va être très, très compliquée. Ça va être compliqué dans le sens où on est à quatre points de Brighton, on n’a pas de match facile, et aujourd’hui ça ne dépend plus de nous, ça dépend surtout d’eux. Il suffit juste qu’ils fassent un match nul et derrière c’est mort… On est vraiment déçus parce que quand on voit l’équipe qu’on a, les joueurs qu’on a, et tous les efforts qu’on a eus à faire pendant toute la saison… Honnêtement il y a beaucoup de regrets.
D’autant que vous n’avez pas été aidé avec l’événement qui touche aussi Bordeaux, et donc Cardiff, la disparition d’Emiliano Sala. C’est quelque chose qui a forcément perturbé le groupe…
Je t’assure que… Que ce soit les supporters, le staff, et même chez les joueurs, sans l’avoir vu, sans l’avoir connu, on a été vraiment attristés. On était vraiment touchés. On avait hâte qu’il arrive, d’avoir un attaquant aussi qui nous marque des buts parce que c’est ce qui nous a fait défaut un peu cette saison. Mais on a été vraiment touchés par rapport à sa disparition. On aurait aimé le connaitre, partager des bons et des mauvais moments avec lui sur le terrain. C’est vraiment triste. C’était vraiment quelqu’un qui se battait sur tous les ballons, un combattant, quelqu’un dont on aurait eu besoin et qu’on aurait aimé connaitre.
Quelle est ta situation contractuelle et personnelle avec Cardiff ? En cas de descente, penses-tu continuer la saison prochaine ?
J’ai une année en option avec la montée. Donc en fin de saison, il me restera un an de contrat. Je ne sais pas… Pour moi, vraiment, sans langue de bois, le plus important c’est les deux matches qu’il reste. Il faut bien terminer la saison et on verra ce qui pourra se passer la saison prochaine. Pourquoi ne pas revenir à Bordeaux (rires) ? Non, je rigole…
Tu rigoles, mais il y a eu des rumeurs à un moment donné quand tu évoluais encore en France…
Oui, c’était quand j’étais Lorient. Mais il n’y a jamais eu de contacts, c’était juste un rumeur (sourire).
C’est quelque chose qui t’aurait plu ?
Franchement, ce serait très difficile de dire non à Bordeaux. C’est un club qui m’a fait connaitre beaucoup de choses, qui m’a donné beaucoup aussi. Non seulement sur le plan sportif, mais humainement aussi. Ce serait vraiment difficile de dire non aux Girondins (sourire).
A la fin de la saison, malheureusement, tu n’iras pas à la CAN, puisque le Gabon n’est pas qualifié. On imagine que c’est une grande déception, toi qui es très attaché à ton pays (Bruno compte 78 sélections avec le Gabon, ndlr).
Une très, très, très grande déception. Quand on regarde la poule qu’on avait, il y avait quelque chose à faire. C’est juste dommage de ne pas y participer à cette CAN, qui va de 16 à 24 équipes. La déception est vraiment énorme, que ce soit pour les joueurs, le staff, et surtout pour le pays. J’avoue que même encore aujourd’hui, je n’arrive pas à digérer… Je n’arrive pas à digérer ça, et surtout à comprendre comment les choses ont pu se passer. Après, c’est le football, il faut apprendre dans ce genre de moment, et accepter tout simplement. Oui, d’autant que j’aurai participé à la cinquième CAN consécutive de ma carrière.
Aaron Boupendza est en équipe nationale avec toi. Que penses-tu de ce joueur, qui est toujours sous contrat avec Bordeaux, mais qui n’arrive pas à s’imposer ?
Bien sûr qu’il peut y arriver à s’imposer, il n’a pas signé pro aux Girondins par hasard. S’il a signé pro, c’est parce qu’il a du talent, de la qualité. Mais il faut juste qu’il soigne son comportement. Je lui en ai déjà parlé une fois en sélection. C’est un très bon joueur, mais tant qu’il aura ce comportement, ce sera difficile pour lui. Avec toutes les qualités qu’il a, ses capacités, c’est vraiment quelque chose d’énorme, d’incroyable. S’il essaye de régler juste ce petit détail, je pense que ce sera un grand joueur. Sa communication sur les réseaux sociaux ? Malheureusement, ce sont les jeunes d’aujourd’hui (sourire). Ils ont du mal à faire la part des choses. Le jour où il comprendra qu’il faut faire la part des choses, qu’il y a un temps pour se concentrer sur le foot qui est d’abord son métier, ce qui le fait vivre, ce qui lui permet d’acheter des bouteilles en boite, d’aller en vacances… Le jour où il prendra conscience de ça, je pense que ça ira beaucoup, beaucoup mieux.
Tu as dû suivre la chose et en parler avec lui, mais André Poko a dû s’en aller de Bordeaux pour avoir porté le maillot de Marseille, tout en fumant de la chicha. Quel regard portes-tu sur ça ?
On en a parlé vite fait… Il m’a dit que pour lui c’était normal, il fumait la chicha chez lui, avec le maillot d’un ami. Il ne pensait pas que ça allait prendre cette tournure. Il était vraiment surpris. Ça reste un bon mec, Poko. C’est un super mec. Déjà, sur le terrain ça se voit, avec les efforts qu’il fait. En dehors aussi, c’est un bon garçon. Je pense qu’on n’avait pas besoin d’en faire trop par rapport à ça. On aurait dû plus de concentrer sur ses performances sur le terrain, et je pense qu’à Bordeaux il n’était pas mauvais… Je regardais les matches, et il faisait ses matches. Il est jeune, il a encore une grosse marge de progression, il a besoin d’encore progresser. Mais je pense que du moment où il faisait le travail sur le terrain, ça n’aurait pas dû prendre cette ampleur. C’est vraiment dommage, mais avec tout ce qui se passe avec les réseaux sociaux, ça ne l’a pas trop aidé…
On termine sur le match de samedi, entre tes deux anciens clubs, les Girondins de Bordeaux et le SCO d’Angers. A Angers, il y a ce qu’on appelle « la dalle angevine », tu vois ce que c’est ?
(rires) Oui, c’est ce qui leur permet de se maintenir (sourire).
Comment vois-tu cette rencontre, toi qui suis toujours les matches des Girondins…
Je regarde tous les week-ends les matches de Bordeaux (rires), quand ça ne tombe pas en même temps que mes matches. Ça va être un bon match, il y a des qualités des deux côtés. Bordeaux traverse une période un peu difficile… Mais je pense qu’ils jouent à domicile, la saison se termine, et ils voudront bien finir pour eux, et pour les supporters aussi forcément. Angers n’est pas mal aussi sur les derniers résultats, et ils auront envie de continuer sur cette lancée. Ce sera un bon match parce que les deux équipes, collectivement, sont très solides.
Comme tu suis beaucoup Bordeaux, que penses-tu de Jules Koundé, issu de la formation bordelaise comme toi, qui évolue également à ton poste…
C’est un bon joueur, oui, il a beaucoup, beaucoup de qualités. Je pense qu’il peut encore progresser, il a une grosse marge de progression. Il est dans le club qu’il faut pour ça. Je n’ai pas de doutes sur lui, il va continuer à progresser, continuer à faire ses matches, et exploser.
Un très grand merci à Bruno pour le temps qu’il nous a accordé en pleine Ligue des Champions à la télévision. Nous lui souhaitons le meilleur, lui qui est resté le même que l’on a connu il y a près de dix ans : simple et bienveillant. Peut-être à bientôt sur Bordeaux ? Le football est tellement imprévisible…