InterviewG4E. Laurent Calippe : « On a une cellule de scouts à l’étranger, mais finalement, on recrute en France. A quoi ils servent ? »
Le mercato hivernal des Girondins de Bordeaux terminé, nous avons eu l’idée de le « refaire » ou plutôt faire le bilan de celui-ci avec Laurent Calippe, ex-recruteur du club au scapulaire. Mais avant d’évoquer chaque mouvement du mercato bordelais dans un prochain article, nous avons également voulu connaitre sa position sur beaucoup de choses qui se passent au club, ainsi que sur les personnes qu’il a côtoyées lors de son passage aux Girondins, lui qui a été débauché par Ulrich Ramé. Voici la première partie de notre interview.
Laurent, peux-tu nous dire ce qui se passe pour toi depuis ton départ des Girondins de Bordeaux ?
« L’épisode de Bordeaux, de me débaucher de Montpellier, alors que j’étais bien là-bas, pour me retrouver au bout de six mois l’année dans la merde, je ne veux pas que ça se renouvelle… Je prends le temps. Plus que de travailler pour un club, je veux travailler avec des gens que je connais, qui sont propres. Ça part tellement en vrille en ce moment.
On sent à travers tes messages et communication que ce métier est pour toi une grande partie de ta vie.
Je vis ça, c’est ma vie. Quand j ai vu les difficultés qu’avait Bordeaux pendant ce mercato, j’ai proposé au Président de venir lui prêter main forte, proposition que celui-ci a déclinée en me disant que c’était incompatible avec le fait qu’Eduardo Macia était le patron du sportif et que nous avions un passif tous les deux. Je pourrais venir gratuitement travailler pour les Girondins si le club avait des ennuis financiers, j’aime ce club avant tout. Quand je supervise un joueur et qu’il n’est pas bon, il n’est pas bon un point c’est tout. Tu as ta crédibilité, je me refuserais de prendre une commission qui ne fait pas partie de mes attributions, ni dans la plupart des cas du métier de scout. Quand je suis parti, je faisais vraiment confiance en Ulrich Ramé, qui m’a fait venir. Et deuxième chose, l’important était l’Institution de Bordeaux. Pour moi, c’était exceptionnel Bordeaux. Je m’y voyais y finir ma carrière, y faire quelque chose de bien, à Bordeaux. Ce n’est pas l’argent qui m’attire mais cette addiction à la réussite d’un joueur préalablement observé. Franchement, dans le football, beaucoup se trompent, mais tu n’as pas besoin d’argent. Regarde Angers, tu peux faire des super coups sans avoir d’argent.
Que peux-tu nous dire à ce niveau sur Eduardo Macia ?
Quand j’ai été viré, j’ai été reçu par Varela et Macia. Varela m’a dit : ‘moi, je ne m’occupe pas du sportif, au niveau du choix des scouts. Ton patron c’est Macia, en qui j’ai entièrement confiance’. Donc, quand on te dit ça… Ce n’est pas parce que Varela est parti que ce n’est plus son homme, c’est lui qui l’a mis en place et choisi. Pour moi, Varela est parti, mais une partie de lui est restée. Au niveau des transferts, des recrutements, rien n’a changé.
C’est ce qui revient souvent ces derniers temps sur les réseaux sociaux et par les alertes des Ultramarines, au sujet de diverses commissions. Mais peux-tu nous expliquer comment cela fonctionne ?
Je ne sais pas exactement comment ça se matérialise. Mais j’ai déjà entendu parler de la manière dont ça fonctionne, dans un club si tu veux le faire, c’est facile. Tu augmentes la commission avec des mandats clubs, que tu fais payer par des gens à l’étranger, des commissions à l’étranger. Le salaire, au lieu de le donner à 90000€, tu vas donner un salaire à 120000 ou 140000€ et comme l’agent touche 10%, il va partager ce qu’il a au-dessus. Parfois, il y a des mandats clubs, c’est facile de toucher une commission, parce que tu touches deux fois. Tu touches par le club qui va te faire un mandat pour vendre, et de l’autre côté tu as le club aussi qui est peut-être acheteur sur un autre, et qui va demander un mandat de recherche. Alors que dans les deux, ils se connaissent, et qu’ils n’ont besoin de personne. A Bordeaux je ne sais pas comment ça se passe mais j’entends comme vous ces rumeurs insistantes qui se propagent sur le net. Si tu es un agent affilié à la FFF tu peux être contrôlé par la DNCG des agents mais ça c’est uniquement si tu es agent français travaillant avec une licence d’agent FFF. Mais quand tu es un agent étranger, tu n’es pas contrôlé. Et après il y a bien sûr des opacités que l’on ne connait pas. C’est très facile de prendre un intermédiaire à l’étranger, de lui faire toucher une commission en mandat de recherche, et après tu lui fais un virement tout à fait normal au niveau de la DNCG, parce que le gars a fait son travail et a signé un mandat de recherche. L’argent va à l’étranger, et là, l’argent à l’étranger, il fait ce qu’il veut ! Il suffit qu’il y ait une tierce personne ailleurs qui lui fasse une facture pour sa comptabilité, une facture de « consulting » ou autre, et il refait une facture derrière. Tout est possible.
Qu’en est-il d’Ollie Waldron ?
Le mec responsable du recrutement à Bordeaux, c’est Ollie Waldron. Un responsable data, un champion du monde de la data. Je l’appelle Fifa 2019. Alors, que tu te serves de la Data, bien sûr, c’est une complémentarité pour nous les scouts, mais en aucun cas ça peut remplacer l’œil d’un superviseur.
Quel est ton avis sur la série de scouts travaillant aux Girondins de Bordeaux aujourd’hui ?
Si j’avais voulu rester à Bordeaux, c’était facile. Il fallait que je dise oui à tout à Varela et Macia. Ils voulaient qu’on soit les rabatteurs pour Varela en somme… Moi, je suis scout, je ne suis pas agent. C’est pour ça que tous les scouts étaient à l’étranger. Ce sont tous les mecs avec qui il avait l’habitude de travailler, sa garde rapprochée qu’il avait dans les clubs précédent où il était passé. Ce sont toujours les mêmes. On a une cellule de scouts à l’étranger, mais finalement, on recrute en France (rires). A quoi ils servent ? Je me pose la question. Tu n’as pas besoin de dix scouts. On était quatre : Thierry Bonalair, Eric Guérit, Paul Marchioni, et moi. Et on faisait l’Europe entière, largement de quoi couvrir à quatre. Les trois sont de super scouts expérimentés, anciens joueurs pros avec la connaissance et un œil avertit et un gros réseau de personnes qui nous renseignaient. Nous, on connait le championnat de France, on le connait par cœur, on va à l’essentiel. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’Eric Guérit et Gérald Druet qui venait de la cellule recrutement des jeunes et même si ca n’enlève rien à ses qualités de recruteur, il devait coûter moins cher que nous !
Comment cela se passe en temps normal au niveau d’une cellule de recrutement, avec les nouvelles personnes au club ?
C’était impressionnant de voir comment ça se passait quand tu leur proposais un joueur. Avant de partir à la CAN au mois de mai-juin, je leur propose Hicham Boudaoui. A cette époque, Boudaoui, tu le payes 0€… Il espère un salaire de 15000€, et qui augmente de 10000€ tous les dix matches. Et ils désiraient un pourcentage sur une prochaine revente, on aurait fait 70% pour Bordeaux et 30% pour le Paradou. Je leur dis à l’époque : ‘il faut le prendre, parce que quand on va revenir de la CAN, il aura pris du volume’. Tu reviens de la CAN, il vaut déjà plus cher, l’agent demande 500000€ et 25000€ de salaire. Ce qui est encore raisonnable. Et tu ne le prends pas… Et là, en Ligue 1, il a trois mois d’actif à Nice, tu vois son niveau, tu imagines quand il aura fait une saison ? Je leur ai dit Ishak Boussouf aussi, c’est pareil. Ça ne coûte rien. Le petit Romain Perraud, c’était 2M€ de transfert et environ 35000 de salaire, alors qu’il n’y a pas de latéral gauche en France. Pour l’instant, il manque encore un peu de rythme, de ceci, de cela, mais on sait que c’est un gros potentiel. En plus, faire la saison qu’il fait aujourd’hui à Brest, où c’est difficile, tu peux le comprendre… Brest, ce n’est pas Bordeaux. S’il avait été à Bordeaux, il ne jouerait pas de la même façon parce qu’il aurait été mieux entouré.
Pourtant, c’est pour ce genre de « coups » que l’on t’a fait venir à Bordeaux ?
C’est pour ça qu’Ulrich me débauche de Montpellier. Montpellier, mon fait d’arme, c’est Nordi Mukiele que tu prends à Laval à 800000€, et tu le revends 20M€ à Leipzig un an et demi après. Ulrich sait qu’il y a ce manque-là à Bordeaux. Ulrich c’est un taiseux, un besogneux. Tout le monde lui a mis plein de choses sur le dos, parce que c’est un garçon qui n’a pas voulu éclater les murs, défoncer les portes après Jérôme Bonnissel. C’est un bosseur, il fait son travail, il s’est installé, et il commençait à mettre ses équipes en place. C’est son caractère, mais il savait ce qu’il faisait et où il allait, tranquillement. Il savait qu’à Bordeaux tu avais besoin au niveau du centre de formation. Dès que je suis arrivé, on a instauré avec les autres scouts de nouvelles choses comme quand l’après-midi il y avait un match des U19 ou 17Nat, on allait les voir et on remontait les informations au centre de formation. C’était d’aller voir les équipes nationales, les réserves des pros en N2 et N3. Il faut déjà vérifier ce que tu as dans le championnat de France et après en seconde étape tu vas à l’étranger. Là, tu prends dix scouts à l’étranger… Il faut m’expliquer à quoi ça te sert.
Il y a aussi ce système de recoupement avec les autres recruteurs, quand un joueur te saute aux yeux.
Quand je vois un joueur, je fais la croisée. Éric Guérit va voir mon joueur, moi je vais voir le sien. On en parle. Et au dernier moment avant de choisir, je prends ma voiture, et pendant deux-trois jours je vais à l’entrainement dans son club. Il est convoqué le matin à 9h30, moi j’y suis à 8h30. Je regarde à quelle heure il arrive pour savoir s’il est concerné, s’il arrive cinq minutes avant ou une heure avant. Je vais voir son comportement à l’entrainement, comment il est. Tout ça, ça fait partie de notre job. Eux, à Bordeaux, ils ne font pas ça : data. Eux, ils sont recruteurs, et ils ne le font pas. Et quand tu leur dis ça, en plus, ils se foutent de ta gueule… ‘On est des vieux, on est des anciennes générations, on ne comprend rien’…
Que penses-tu du « loft » qui a été créé l’été dernier ?
La gestion du loft cet été, ce n’est pas au coach que ça impute. Le coach fait ses choix, des joueurs qu’il garde ou ne garde pas. A partir du moment où il a gardé ces joueurs, les autres doivent être mis à la disposition du directeur sportif. Et le directeur sportif gère le loft. Il va prendre les joueurs, discuter avec eux, il les met sur la liste, il essaye de trouver avec eu un arrangement, etc. Là, non, rien, rien du tout, il a fui le dialogue pendant tout l’été Eduardo Macia. Il n’a pas parlé avec les joueurs. Ce n’est pas un directeur sportif ça. Il faut rappeler qu’à Leicester, il n’est pas directeur sportif, il est recruteur à Leicester […] Ulrich, lui, a appris le métier, et il était au début. C’est pour ça qu’il y a des moments où je suis dur avec des gens, quand ils disent qu’il n’a recruté que de la merde. Non, ce n’est pas vrai. Déjà, il y a eu l’époque Jérôme Bonnissel, ce n’est pas lui. Et ensuite, oui, il a fait quelques conneries. Qu’on ne me sorte pas Cafú, ce n’est pas lui, c’est Charles Camporro. C’est comme Paul Baysse, ce n’est pas lui. Après, il n’avait pas encore la possibilité de taper du poing sur la table pour refuser ça. Quand il m’a fait venir, je lui ai dit qu’il fallait qu’il explique ses choix aux supporters, qui a fait les choix, comment ils ont été faits, si c’était la cellule ou pas. Il faut expliquer les choses, personne ne t’en voudra de faire une erreur. Il ne parle jamais à la presse, il n’aime pas le bling bling… Il faut montrer son travail parce que si tu ne le montres pas on te juge sans connaitre ton travail… Et quand personne ne parle, les gens affabulent. On dit qu’Ulrich n’a pas forcément tout le temps été bon, je vous l’accorde, il a fait des erreurs, mais tous les recruteurs font des erreurs. Mais en termes de légitimité avec 525 matches à Bordeaux, il l’est. Il sait de quoi il parle, il connait. C’est le deuxième derrière Alain Giresse.
Petite question sur Souleymane Cissé, dont on entend peu parler. Concrètement, quel est son rôle ?
« (rires) C’est le responsable du centre de formation, mais comme il n’a pas le diplôme, comme il ne l’a jamais été… Il est couvert par Patrick Battiston. Le travail du recrutement c’est Yannick Stopyra qui le fait, et lui normalement derrière doit gérer le centre de formation. Bah tu vois comment il est géré le centre de formation… Il se dit qu’il a été responsable, et ce serait même sur son CV selon certains. Je ne l’ai pas vu, mais on me l’a rapporté. Sur son CV, il a été directeur de formation d’Evian. J’étais à Evian, et je ne l’ai jamais vu directeur. Je connais les trois directeurs du centre de formation, et je n’ai pas vu son nom. Je sais qu’à Monaco, on lui a demandé de partir, rapidement. C’est la même clique que Varela, Macia, Waldron… Quand j’ai repéré Hicham Boudaoui, derrière, comme par hasard, j’ai su que Hugo Varela avait appelé le Président du Paradou. Le petit truc aussi… Comment tu fais pour être le créateur du RCA d’Abidjan, que tu as de la famille qui travaille aussi dans le club, que le club a un contrat de partenariat avec Nice, et que toi tu es responsable du centre de formation de Bordeaux… Un bon joueur qui sort à Abidjan, tu le mets où ? A Nice, ou à Bordeaux ? Conflit d’intérêts. Ça, tu vas sur internet et tu regardes, tout est marqué…
On sent qu’il faudrait un grand changement dans ce club… Que penses-tu par exemple de Bruno Fievet ?
Je suis à 100% pour des hommes comme Bruno Fievet. Il y a des gens qui vont dire qu’il n’est pas milliardaire, mais on s’en fout, au moins lui il a géré leur fortune et il ne leur a pas fait perdre d’argent (rires). S’il réussit à réunir l’argent pour racheter le club, et qu’il le gère en bon père de famille et avec une réelle envie de faire évoluer le club, ce n’est pas un problème d’argent. A Montpellier, on avait 43 millions d’euros de budget, et on y arrivait très bien. Le tout est de ne pas rincer personne et que ça se passe bien. Lui a l’air d’être un homme franchement honnête. J’ai des retours de gens qui discutent avec lui, tout le monde me dit que c’est un passionné, un mec qui a envie. Pour moi, c’est le mec qui a le plus d’envie qui doit être à la tête des Girondins. S’il rachète le club, chaque année ensuite à Bordeaux, on peut équilibrer. Quand tu laisses le club au mois de novembre l’année dernière, tu es en positif, et que ce n’était plus arrivé depuis très longtemps, c’est que tu étais sur le bon chemin. Je pense que sa passion alliée à la confiance de ses partenaires ainsi que son amour réel pour les Girondins, font de lui le parfait repreneur.
Rendez-vous dans quelques jours pour « on refait le mercato des Girondins », avec Laurent Calippe, sur Girondins4Ever