#Portrait. A la rencontre de Jussiê, sans langue de bois. [Partie 1/3]

    Bordeaux’ Brasilian forward Ferreira Vieira Jussie gives a press conference on September 23, 2010 in Nancy, a day after the French League Cup football match Nancy vs Bordeaux. AFP PHOTO / JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP PHOTO / JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

    Girondins4ever est allé à la rencontre de Jussiê Ferreira Vieira, retraité des terrains depuis la fin de son contrat à Bordeaux en 2016. Le franco-brésilien nous parle de sa carrière, de ses débuts à Cruzeiro à son départ mouvementé des Girondins, mais aussi du Japon et bien sûr, de son histoire d’amour avec la capitale girondine. Portrait.

    Jussie Jerem

    SES DÉBUTS AU BRÉSIL

    Tu as commencé ta carrière à l’âge de 17 ans, à Cruzeiro, qui a toujours fabriqué des excellents joueurs. Et à l’âge de 20 ans, tu es prêté au Kashiwa Reysol. Pourquoi le Japon ?

    C’était l’occasion… Je ne jouais pas beaucoup à ce moment-là à Cruzeiro. L’entraîneur qui était en place là-bas était brésilien, c’est lui qui m’avait lancé en professionnel à Cruzeiro. C’était le moment, l’occasion, ça s’est fait naturellement. Je ne jouais pas beaucoup à ce moment-là, c’était un entraîneur que je connaissais, alors pourquoi pas tenter l’expérience ? Ça me faisait un an à jouer, pour une première expérience à l’étranger. Ça s’est très bien passé, j’étais content! Cela m’a donné une base pour la suite.

    Il y avait beaucoup de brésiliens à cette époque au Japon.

    Oui, en plus, c’était juste après la Coupe du Monde au Japon, que le Brésil a gagné. En plus de ça, il y a eu pas mal de brésiliens qui sont passés là-bas comme Zico. Nous les brésiliens, quand on arrive au Japon, nous sommes très bien accueillis. Mon séjour d’un an là-bas s’est très bien passé.

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    Jussiê contre Gamba Osaka. Photo Gettys Images

     

    Beaucoup de joueurs brésiliens se font naturaliser. Pepe avec le Portugal, Thiago Motta avec l’Italie ou encore Thiago Alcantara avec l’Espagne. Tu as aujourd’hui la nationalité française. Tu te serais vu sous le maillot de l’équipe de France si un sélectionneur avait fait appel à toi ?

    Bien sûr, carrément! Pourquoi ? Ma naturalisation et celle de ma famille, c’était une décision importante, car cela permettait aux Girondins d’avoir une place de joueur extra-communautaire en plus, et nous avions envie de rester en France. J’ai eu la double nationalité il y a 5 ans. Donc il y a 5 ans, j’avais déjà en tête, avec ma famille, de rester ici. Si je n’étais pas français, je ne pouvais pas rester ici après le foot. On aime beaucoup la France, on aime beaucoup Bordeaux, surtout Bordeaux. Donc oui, si un jour un sélectionneur avait fait appel à moi, cela aurait été un grand honneur de représenter la France. Pour moi, l’histoire avec la France, c’est une histoire d’amour. J’ai tellement été bien accueilli ici… Dès le départ, j’ai tout fait avec ma famille pour bien m’intégrer, parler le plus rapidement français, connaître la culture du pays, et son Histoire. Et dès le départ, je me sentais à la maison. C’est pour cela que nous avons fait le choix de pouvoir rester en France. J’essaie de me faire bien comprendre, de bien écrire, d’essayer de bien parler. Ce n’est pas facile! Il faut l’humilité d’accepter qu’on nous corrige. La plupart des gens se disent « Oh, c’est Jussiê », alors ils ne me disaient rien quand je parlais mal. Mais mes amis me reprenaient souvent, cela m’a aidé. Ma femme, elle, a plus de mal. Si quelqu’un la corrige, elle ne se sent pas bien. Pour moi, c’est le contraire, c’est de l’apprentissage, donc je prenais toutes les remarques.

     

    Après tes débuts à Cruzeiro, tu as eu quelques clubs, mais tu n’es jamais revenu au Brésil, comme le font beaucoup de brésiliens en général, tu n’en ressentais pas le besoin, ou n’as-tu pas eu de propositions ?

    J’ai eu beaucoup de propositions, j’ai même failli signer à l’Atletico Paranaense. Ça ne s’est pas fait. Les joueurs veulent revenir au Brésil, et rester y vivre. Moi, non. Je n’avais pas cette envie, donc à chaque fois, je n’étais pas partant pour y retourner, ma femme non plus. Mes enfants, ils n’ont jamais connus le Brésil, sauf pour les vacances. Ils ont toujours vécu à Bordeaux. Donc la famille jouait aussi dans la décision. J’ai eu beaucoup de propositions mais je n’ai jamais accepté. Ou alors, j’ai toujours mis une barrière. Le mec me proposait X€, je demandais deux fois X€. Il me proposait deux fois X€, je demandais trois fois X€. Je mettais à chaque fois une barrière dans les négociations car, au fond de moi, je ne voulais pas revenir au Brésil. J’adore le Brésil, c’est mon pays. Quand j’y vais en vacances, je suis content. Mais je me sens à la maison en France aujourd’hui.

     

    LE RACING CLUB DE LENS

     

    Tu signes à Lens en 2005, pour une première expérience en Europe. Tu avais quoi comme propositions à l’époque ?

    Lens était le seul choix que j’avais. Je me dis, pourquoi ne pas tenter ? J’avais fait une bonne saison à Cruzeiro, j’y étais bien mais finalement… A Bordeaux, j’y étais bien aussi, sauf à un moment donné quand je suis parti à Al Wasl, j’avais besoin de souffler, j’avais vécu plusieurs choses ici, des bonnes des très bonnes, des mauvaises et des très mauvaises. J’avais besoin de prendre l’air et revenir. Mais Bordeaux, c’est le seul endroit où je n’ai pas senti le besoin d’aller ailleurs. Donc Cruzeiro, à ce moment-là, ma seule proposition c’était Lens. J’ai dit oui, je vais essayer. Pour un brésilien qui arrive dans le Nord, il fait très, très froid. C’était un sacré challenge… J’arrive à Lens, et puis ça se passe très bien. Les supporters étaient chaleureux, les gens aussi… Encore aujourd’hui, j’ai de très bons amis là-bas! On garde toujours contact.

     

    Tu t’étais renseigné sur Lens, à travers d’autres brésiliens par exemple ?

    Non non, j’ai juste pris deux-trois infos comme ça, sans plus. A partir du moment où j’avais décidé de venir, c’était un défi pour moi. Je ne venais pas en me disant « Ah non, il fait trop froid, je ne veux pas y aller », il n’y a pas de lieu parfait. Je me dis que j’y allais pour travailler, pour bosser, donc on verra.

    jussie lens
    Jussiê RC Lens

     

    Que retiens-tu de ton expérience Sang et Or ?

    C’était mon baptême en Europe. J’y ai passé deux années top! Je suis arrivé en 2005, il y avait les supporters… La dernière fois qu’ils avaient été champions c’était en 1998, il y avait toujours cette ambiance de passion. Les deux années que j’ai vécues là-bas étaient tout simplement top! J’ai beaucoup appris, c’était Francis Gillot à l’époque. Il m’a beaucoup aidé, il était patient avec moi. Quand je suis arrivé, il y avait Vitorino Hilton. Je venais d’un pays où il y a la passion pour le foot. Et des fois, quand il y a la passion, il y a l’excès. Au Brésil, c’est l’excès, un peu comme à Marseille, mais en dix fois plus! Je suis arrivé à un endroit où le respect était présent, donc je me sentais apaisé, tranquille. Cela m’a donné une bonne base pour la suite.

     

    Tu les quittes pour un prêt aux Girondins en 2007. À l’époque, il se dit que tu pars de Lens car ta famille ne s’acclimate pas au Nord-Pas-de-Calais, c’est l’unique raison ?

    C’est faux. J’ai dit ça pour ne pas créer d’histoires, pour partir en douceur. Six mois avant, pendant le mercato d’été, j’avais une proposition de Saint-Étienne pour partir. Lens me dit « Attends encore un petit peu, on a besoin de toi… ». Le club marchait bien, montait en puissance, on avait une belle équipe. Avec mon agent, on leur dit « Si on reste dans cette dynamique là et que je reçois une bonne proposition pour Lens et pour moi, vous me laissez partir ? », et ils me disent « ok ». L’hiver arrive et je commence à parler avec Bordeaux. Bordeaux parle avec Lens, mais Lens n’est pas chaud, ils ne veulent pas, et c’est là le problème. Ce qu’ils ont fait, c’est qu’ils m’ont retenu jusqu’au dernier jour du mercato et ils sont arrivés vers moi et m’ont dit « Tu peux partir si tu veux ». Ils savaient que ça allait être très difficile. Et donc, quelques mois avant, pour les vacances, je prends l’avion. Et dans l’avion, il y a Wendel, Fernando et Ricardo, qui était l’entraîneur à l’époque. Avec Bordeaux, on ne savait pas trop, c’était froid, c’était chaud… Dans l’avion, je parle avec Ricardo et il me dit « Bon, qu’est-ce qu’on fait ? On veut que tu viennes, tu as envie ou tu n’as pas envie ? », je lui dis « Oui, j’ai envie », il me répond « Ok, pas de problème ». On arrive, il appelle Michel Pavon. Mon agent vient, ça se fait. En gros, ça s’est concrétisé dans l’avion avec Ricardo (rires). Donc j’ai dit ça, pour ne pas balancer. Les supporters lensois non plus, n’étaient pas contents que je parte. Alors si en plus je racontais que c’était à cause de Francis Collado, à l’époque directeur financier de Lens. C’est à cause de lui que je suis parti, et que cela s’est fait de cette manière-là.

     

    Que penses-tu de la situation de Lens ?

    Je ne comprends pas… Après, le constat est simple. La mauvaise gestion, les mauvais choix… L’Histoire d’un club, c’est lié à ça. A l’époque, on disait que le maillot faisait gagner des matchs. Tu regardais les Girondins de Bordeaux contre une équipe de troisième division, souvent, c’était la grande équipe qui gagnait le match. Parce que la petite équipe avait peur… Il y avait un décalage. Aujourd’hui, il n’y a plus ça. Forcément, si on ne fait pas les choix qu’il faut… Là, on commence à avoir un exemple avec Bordeaux. Il faut faire attention, il ne faut pas prendre à la légère des moments comme ça. Lens, à l’époque, on était très bien. Je suis parti, ils devaient aller en Europa League, ils n’y ont pas été. Et depuis ça, tous les ans, ça baisse… Ils ont laissé s’installer quelque chose, qu’aujourd’hui, ils regrettent beaucoup. Pour moi, c’est la mauvaise gestion. Et maintenant, c’est une course contre le temps!

    Gervais Martel

     

    Peut-elle arriver à Bordeaux ?

    Ça peut arriver avec n’importe qui. Il ne faut pas prendre ça à la légère! Quand on voit des supporters qui gueulent, qui disent que c’est inadmissible cette situation… Tu peux toujours dire « Ça va, vous faîtes du foin pour rien, c’est une tempête dans un verre d’eau… », mais ça va très vite! Si on ne fait pas attention, ça peut devenir très difficile. C’est très embêtant.

     

    LE BORDEAUX DE SON EPOQUE

     

    Tu as connu Ricardo, Laurent Blanc, Jean Tigana, Francis Gillot et Willy Sagnol comme entraîneurs de Bordeaux. Lequel t’as apporté le plus personnellement ?

    (sans hésitation) Blanc! Et Gasset. C’est eux qui m’ont le plus apporté. J’ai pas envie de dire que c’était les seuls… J’ai beaucoup appris avec les entraîneurs au Brésil, mais j’étais jeune, donc j’avais plus « de place » pour apprendre. Mais en France, les seuls dont j’ai pu tirer quelque chose, c’était Blanc et Gasset.

     

    Et sur quels points t’ont-ils le plus apporté ?

    Tactique. Technique. La gestion d’un groupe. Après, ils avaient les pièces pour. C’était une sorte de puzzle qu’ils ont réussi à bien monter, et ça marchait très bien. C’est complexe car des fois, tu as les bons éléments et tu n’y arrives pas. Et des fois, tu as des bons et des mauvais, et ils arrivent à faire en sorte que ça marche. 

     

    Grégory Sertic et Yoann Gourcuff iconsport2

     

    En 2009, tu es champion de France avec les Girondins, et vous faites une campagne européenne incroyable, où vous battez le Bayern, la Juventus notamment, qui se finit en quarts contre Lyon, qui n’était pas meilleur que Bordeaux finalement. Tu crois que vous auriez pu aller jusqu’en finale cette année-là ? D’un œil de supporter, on vous sentait imbattables!

    Oui, on aurait pu! On se sentait imbattables. Il y avait deux sentiments. Contre Monaco là-bas, on perdait 3-0 à la mi-temps. On avait un peu peur, normal, mais on n’était pas pressé, on faisait nos actions, on savait qu’on allait marquer. On savait pas si on allait gagner, mais on savait qu’on allait marquer. Déjà, notre défense, elle était très solide. On se disait « Derrière, c’est cool. Devant, on va marquer. Tôt ou tard mais on va marquer ». On se sentait imbattables mais on a déconné au match aller contre Lyon. Dans le sens où on n’a pas su gérer les deux matchs. On fait une barre à la fin… Mais le sentiment que les supporters avaient à l’époque, nous, on l’avait aussi. Mais parfois, et c’était l’autre face, que j’ai aussi connu à Bordeaux. On marquait, mais on savait qu’il fallait ensuite défendre! Sinon, on allait prendre un but, ne pas réussir à gagner. On se sentait faible. Et quand on se sent faible, on a une mentalité de faiblesse. Avant de rentrer contre une équipe comme le PSG par exemple, on rentre sur le terrain et je me dis « Ça va être chaud, on va prendre le bouillon. Ça va être difficile. » Ici, j’ai vécu les deux côtés, et c’est intéressant.

     

    Malgré tout, on ne doit pas se sentir imbattable souvent au cours d’une carrière…

    Dans ma carrière, je ne l’ai senti qu’à l’époque de Laurent Blanc. Je peux parler au nom de tous les joueurs, mais on se sentait en confiance, ça se passait hyper bien.

     

    Quels sont tes meilleurs souvenirs sous le maillot bordelais ?

    C’est cette époque-là, avec les titres… Le titre, ça vient couronner les efforts, le travail. Les victoires aussi mais les titres encore plus. Ça couronne un objectif, ce qu’on s’était fixé au départ. Il y a des clubs qui commencent une saison en se disant « On va faire les choses pour rester en Ligue 1 ». D’autres visent le milieu de tableau. Certains la League Europa, les 6-7 premières places. Et lors de la première année de Blanc, les objectifs étaient déjà élevés!

     

    Jussie et Gasset

     

    As-tu gardé des contacts avec des joueurs ?

    Pas beaucoup. Avec tous les brésiliens déjà, les sud-américains comme Cavenaghi ou Alonso. Même quand j’étais dans le monde du foot, ça ne me tournait pas la tête. J’ai toujours gardé un petit écart par rapport au foot. Et même aujourd’hui, je suis les Girondins bien sûr, mais je ne suis jamais allé au stade depuis mon départ des Girondins. Je regarde à la télé.

     

    Si le club t’invite au stade Matmut Atlantique, tu y vas ?

    Si j’y vais, je vais avoir une envie de jouer… Ça peut m’emmener une certaine tristesse par rapport à ça. C’était mon choix d’arrêter ma carrière mais je n’ai pas trop ce côté « supporter ». Ça m’angoisse, de devoir supporter et de ne pouvoir rien faire. A la télé ça va, je regarde, je suis bien, je ne suis pas bien, mais une fois le match terminé, c’est fini. Donc je garde contact encore, avec quelques joueurs, mais ce n’est pas intense. Et d’ailleurs, dans le milieu du foot, j’ai eu très peu d’amis. C’est un monde spécial, où il y a beaucoup d’argent. Il y a le côté « notoriété », le côté « image », les gens qui gravitent autour… J’ai vécu longtemps dans ce monde et je ne le regrette surtout pas. Le foot m’a apporté tellement… Tout ce que j’ai aujourd’hui, c’est grâce au foot!

     

    As-tu déjà eu des contacts avec des tops clubs européens durant ton aventure bordelaise ?

    Non. J’ai eu des contacts à l’âge de 22 ans à Lens avec Arsenal, c’est le seul club qui m’avait approché. Mais ça n’a pas abouti.