InterviewG4E. Romain Brégerie : “On sait qu’en France, Bordeaux est un club qui a un poids historique énorme. Mais on n’a plus trop le droit à l’erreur”

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    Né à Talence, formé aux Girondins de Bordeaux, Romain Brégerie est un pur produit bordelais, amoureux du club. Il signa professionnel dans son club formateur à 20 ans, en 2006, puis partit s’aguerrir à Sète en National où il fit une belle saison. A son retour, il fut confronté à une grosse concurrence à son poste, mais réalisa son rêve : celui de jouer en professionnel avec son club de cœur, à Lescure. A la genèse de la saison où le FCGB sera Champion de France, Romain décide d’aller chercher du temps de jeu au FC Metz. Un choix assumé, sans regrets, qui débouchera sur une grosse expérience acquise, et surtout sur huit années de haut niveau en Allemagne : “la meilleure décision qu’il a pu prendre”. Retraité des terrains depuis 2019, et après une courte expérience dans le monde des agents de joueurs, l’ex-défenseur central est revenu en France et dans sa région, avec sa femme et ses deux enfants, pour briguer une carrière dans l’accompagnement des sportifs chez IDProSport. Interview.

     

    D’abord, on aimerait avoir de tes nouvelles. Que deviens-tu, et quelles sont tes activités aujourd’hui ?

    Je suis rentré d’Allemagne après dix ans passés avec ma famille au mois de juin. On est rentrés tous les quatre. Cela faisait quand même longtemps que j’étais parti parce j’avais fait trois ans à Metz avant ça. C’était un souhait de me rapprocher de ma famille et de mes amis. Je suis arrivé en juin, et depuis peu je commence en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Après ma carrière, j’avais assez vite enchainé, j’ai travaillé pendant un an et demi en partenariat avec une grosse boite allemande d’agents de joueurs : je faisais de l’intermédiation et du travail d’agent, ce qui n’était pas du tout prévu pour moi. Mais ça s’est fait, ça a été hyper intéressant. J’ai beaucoup appris sur le monde du foot, même en ayant été 13 ans professionnel, on se rend compte qu’en tant que joueur il y a énormément d’informations qui ne nous arrivent pas, qui sont filtrées. Peut-être pour le mieux, mais pas forcément toujours. Ca m’a permis de mieux comprendre le monde du foot dans son ensemble, la partie business, la partie backstage, tout ce qui est non-sportif. J’ai trouvé ça hyper intéressant, mais je ne suis pas sûr que ce soit fait pour quelqu’un comme moi. Donc je me suis orienté vers quelque chose qui me correspond mieux. Je commence, et je prends énormément de plaisir à apprendre ce métier. Le service qu’on apporte est très bienveillant, très important quand on sait ce que peut être une carrière et une après carrière de footballeur. Ca a énormément de sens, et ça peut apporter une vraie plus-value, quelque chose de vraiment bien pour les joueurs. Ca me correspond vraiment.

     

    C’est vrai que, de l’extérieur, on a l’image de toi de quelqu’un de terre à terre. C’est peut-être ça qui a fait que tu ne t’es pas reconnu dans le monde des agents ?

    J’ai ça de mes parents. Je suis loin d’être parfait, mais j’ai des valeurs qui sont bien ancrées. J’essaie de vivre toujours en phase avec ça, de pouvoir me regarder dans la glace tous les jours, en suivant quelques idées de vie, en étant le plus naturel possible. J’ai toujours été terre à terre parce que c’est dans ma nature, même si je n’ai jamais eu non plus de quoi m’enflammer (rires). Je n’ai jamais été considéré comme le prochain phénomène. Je me suis toujours adapté, mais toujours en étant moi-même, sans changer du début à la fin. C’est le retour que j’ai eu de beaucoup de monde, et c’est l’un des plus beaux compliments qu’on puisse me faire à chaque fois. J’ai adoré le contact avec les joueurs, et tout ce qu’on peut retirer de bien du monde du foot, et il y en a énormément. C’est ce métier d’aujourd’hui qui m’intéresse, avec de l’accompagnement, de l’aide ; quelque chose de bienveillant. C’est sûr que je suis resté dans un milieu que je connais bien, et où j’ai des connaissances. Ca aurait été différent si j’avais été projeté du jour au lendemain dans une entreprise qui fait complètement autre chose. On gravite quand même dans le monde du foot, cela demande de connaitre le sport, les performances, ce qu’est une carrière de footballeur. Il faut savoir préparer la suite, ce qui n’est pas toujours forcément le cas quand tu es en centre de formation. Il faut au moins essayer de tirer le meilleur de sa carrière, en termes de relations, de réseaux, et utiliser la partie financière du mieux possible : c’est là où nous essayons d’apporter notre expertise. C’est un truc trop peu développé, et je trouve ça dommage car il y a énormément de jeunes joueurs qui sont amenés très vite à gagner beaucoup d’argent, et pour une grande majorité qui viennent de milieux – comme moi – où il n’y en a pas énormément. Quand on se retrouve à 17-18-19-20 ans à toucher parfois des sommes complètement folles… C’est vraiment un métier de savoir gérer de l’argent, ça peut être vite n’importe quoi. Cela ne veut pas dire de ne pas en profiter, mais de ne pas essayer d’en faire quelque chose pour la suite, c’est du temps un peu perdu. Quand il y a des gens qui sont là pour donner les grands axes et les grandes idées, je pense que ça peut être un vrai plus. J’ai eu la chance, de par ma famille et mon père, qui a les pieds bien ancrés sur terre, qu’on m’apporte ça. Si je n’avais pas coché les cases de choses plus importantes dans la vie, mon père n’aurait eu aucun remord à me sortir du centre de formation. Ca nous fait garder le contact avec la réalité parce qu’on peut vite s’écarter. Tout est fait pour que ça aille dans ce sens-là, je ne jette pas la pierre aux joueurs. Tout est fait pour qu’on n’ait plus les pieds sur terre, pour qu’on se concentre uniquement sur le terrain. C’est une bonne chose, les clubs investissent aussi beaucoup d’argent sur les joueurs, et ils attendent que les mecs soient 100% intéressés au terrain, ne pensent qu’à ça, et aient le moins de problèmes possibles. Mais du coup, ça n’aide pas à être vraiment intégré dans le monde de tous les jours. C’est pour ça que ce genre de métier m’attire et pour l’instant ça ne trompe pas, c’est avec beaucoup de plaisir que je le fais.

     

    Juste après ta dernière saison en Allemagne, on t’a vu t’entrainer avec le Stade Bordelais, c’était en août 2019…

    J’en avais discuté avec Pierre (Ducasse) et Alex Torres (entraineur du Stade Bordelais), qui m’a gentiment accueilli. A ce moment-là, il devait me rester encore un an de contrat, et contre toute attente mon club est descendu pendant que j’étais en prêt, en troisième division. Cela a rendu mon contrat caduc. Du jour au lendemain, avec un âge déjà un peu avancé pour le monde du foot, je me suis retrouvé sans club, ce qui ne m’était jamais arrivé. Je les ai sollicités pour m’entrainer, je voulais retrouver les terrains avec de l’entrainement collectif, etc. Je me suis entrainé quatre semaines avec eux. C’était pour rester en forme, avec la possibilité que cela puisse matcher et qu’éventuellement il y ait un retour. Ma femme est allemande, et c’était trop rapide pour reprendre une décision de vraiment revenir habiter en France. Ce projet aurait pu être sympa, quand j’étais en équipe je me serais bien imaginé revenir jouer ici quelques années, aider le Stade Bordelais autant que je pouvais, et prendre encore un peu de plaisir, puis enchainer sur une après carrière. Mais par rapport à ma famille, ça a été un peu trop rapide. Donc je suis resté quelques mois en Allemagne, et quelques mois après le Covid est arrivé, tout a pris d’autres directions. Avec la pandémie, sans la possibilité de passer les frontières, on s’est rendu compte qu’on aimerait bien revenir dans la région. On a pris la décision ensemble, et on est rentrés : un retour aux sources.

     

    Au final, tu as fait un très beau parcours en Allemagne, où tu as également construit ta vie personnelle…

    Tant au niveau foot qu’au niveau privé, c’était la meilleure décision que j’ai pu prendre. Ce n’était pas encore démocratisé comme aujourd’hui. Il y avait très peu de français quand je suis arrivé en Allemagne. Ca s’est fait comme ça, je n’ai pas hésité longtemps, et quand je suis arrivé, après une semaine ou dix jours, je savais que je ne reviendrai jamais. Je le savais, c’était incroyable. Ce que j’ai pu vivre à mon niveau, dans ma carrière, je ne pouvais pas rêver mieux. Le foot, là-bas, ça a vraiment une autre dimension. J’adore la France, j’adore mon pays, et je trouve que le niveau de la L1 et la L2 est souvent un peu sous-évalué, c’est beaucoup plus élevé que ce qu’on pense et que ce qu’on peut en dire parfois. Mais le foot en Allemagne, c’est quand même différent. En termes de culture, d’intensité, d’importance : c’est vraiment un niveau au-dessus. J’étais en Ligue 2 avec Metz et quand je suis arrivé en Allemagne, en deuxième division, il y avait trois mondes d’écart. On jouait avec des affluences de haut de tableau de Ligue 1, en deuxième division. Et tous les week-ends. C’était une nouvelle vie pour moi. Ca m’a vachement plu, et ça collait parfaitement en plus avec ma façon d’être. Il y a des clichés sur les allemands – qui ne sont pas complètement faux non plus, même s’il ne faut pas les réduire à ça – mais quand on parle de discipline, de respect, de sérieux, de rigueur… C’est comme ça. Ca allait exactement avec mon profil, je n’avais pas besoin de forcer ou de mentir pour être comme ça. J’ai été super bien accueilli et j’ai pu m’intégrer vachement vite. Comme tu te sens bien, tu apprends vite la langue, les gens voient que tu t’intéresses, que tu as envie de t’intégrer. C’est un cercle vertueux. Tout s’est bien enchainé, et j’ai eu la chance de passer huit années là-bas, en prenant énormément de plaisir, avec évidemment les hauts et les bas d’une carrière. A mon niveau, j’ai pu vivre des choses, jouer dans des stades de très haut niveau. Ma grosse réussite c’est d’avoir pris ce chemin et d’avoir vécu autant de belles choses là-bas. C’est un petit coup de chance aussi parce que je ne savais pas où j’allais, ce n’était pas écrit.

     

    C’est vrai que le championnat français est décrié par les français, souvent, alors qu’on voit que les joueurs étrangers qui arrivent en France, ont besoin d’un réel temps d’adaptation…

    Le championnat français est très compliqué, il y a un impact physique que je n’ai jamais retrouvé en Allemagne, c’était complètement différent. Quand j’étais en Ligue 2, c’était tactiquement du très haut niveau ce qu’on faisait. C’était extrêmement poussé au niveau défensif, surtout quand j’étais à Metz. Les deux premières saisons, on ne prenait que très peu de buts : si tu marquais le premier but, avec l’équipe qu’on avait, tu avais les trois points. En Allemagne, en tant que défenseur central, il fallait accepter rapidement de prendre quatre buts un week-end sur deux… Ca fait un peu bizarre. Tu te retrouves à défendre à deux contre quatre, des contres de partout… C’était 20 minutes de match de Coupe, mais tous les week-ends et pendant 90 minutes (rires). C’est pour ça que les gens viennent au stade aussi. Mais c’était un autre truc, il y a par conséquent plus de ferveur, c’est plus porté vers l’offensive, il ne faut pas avoir peur, toujours faire du pressing haut… C’est ce qu’a proposé Klopp en premier, c’est dans l’esprit de ce que la plupart des coaches proposent. Forcément, tu t’exposes plus, tu peux prendre plus de buts, mais tu en mets plus parce que tu récupères le ballon haut. Ca a matché sur tous les points, et j’ai eu la chance de rencontrer ma femme très rapidement, dès que je suis arrivé. Je me suis dit que je partais en Allemagne, que ce n’était pas forcément là que j’allais me poser, et la première femme que j’ai rencontrée là-bas, c’est ma femme aujourd’hui. Comme quoi, il ne faut pas faire trop de plans…

     

    Avant ça, tu as signé pro avec ton club formateur et de cœur. Tu n’as jamais réellement eu ta chance, mais il y avait des clients… (Planus, Diawara, Henrique, Ecuele Manga, Baysse, Baldé…).

    Oui, on peut dire mon club de cœur, ah ouais… Après, quand on prend les carrières de tous les joueurs, il y a énormément de tournants, de petits moments où tout se fait. Mais je n’ai pas de regrets parce qu’au moment où j’étais là, même si j’avais du potentiel, je pense que je n’étais pas prêt à cet âge-là pour performer comme l’équipe performait à cette époque… J’ai toujours été un peu en retard. Je sais que je n’avais pas vraiment de limites, j’aurais pu m’adapter quasiment à tous les niveaux, mais j’étais toujours un peu en retard. Pierre (Ducasse), lui, était là, comme d’autres de ma génération, et à 16-17 ans ils étaient déjà prêts… Je suis arrivé assez tard, plus tard que tous les autres qui sont sortis pros aux Girondins. J’ai toujours été bien, mais j’avais mon rythme, je n’ai signé qu’à 20 ans, et je sentais que je n’étais pas assez prêt. J’avais le niveau mais dans la tête, je n’étais pas comme ceux qui, à 18 ans, sortent et ont une confiance débordante. Devant moi aussi, l’année où je suis revenu de mon prêt, il y avait Marc (Planus), Souley (Diawara) et (Carlos) Henrique… Il faut avouer qu’il y avait des clients. J’ai eu la chance d’être beaucoup sur le banc, d’avoir joué ces trois matches en Coupe d’Europe, qui sont quand même de supers souvenirs. Surtout, je pense que ça aurait été vraiment un regret si je n’avais jamais joué à Lescure… J’y allais depuis tout petit, j’y ai vu un maximum de matches, avec mon père énormément, et notamment lors de la saison 98-99 quand on est Champions… J’ai vu vraiment pas mal de matches dans le Virage Sud quand j’étais encore un peu plus jeune. Si je n’avais pas joué là-bas, pour mon club, ça aurait été difficile. Heureusement, il y a eu le retour contre Tampéré à l’époque… Quelques potes et membres de la famille ont pu voir ça, et ça reste un vraiment bon souvenir pour moi. J’ai fait plein de bancs, c’était une équipe qui fonctionnait super bien, on est vice-champions, à n’être pas loin de claquer les lyonnais… En fait, je savais que j’avais du potentiel, et qu’il fallait que je joue, et c’est pour ça que j’ai décidé de partir pour ma troisième saison en discutant avec Laurent Blanc. J’aurais pu rester, je me sentais tellement bien, j’étais chez moi, l’équipe marchait super bien, il y avait une super ambiance… Tous les feux étaient au vert. Les 3-4 premiers mois, je n’étais pas assez prêt dans ma tête, et c’est peut-être pour ça que je n’ai pas eu ma chance aussi.

     

    Tu avais peut-être ce besoin d’être bousculé peut-être, qu’on te sorte du cocon…

    Ouais… Dans ma formation, j’ai eu des bons coaches, et j’ai souvent entendu : ‘tu as tout ce qu’il faut, mais il faut que tu te lâches !’. J’étais plus le mec qui avait l’impression que les autres étaient meilleurs que lui… Ce n’était pas vraiment le cas, mais c’était plutôt comme ça, je voyais plutôt le côté négatif que le côté positif sur le terrain, je ne sais pas trop pourquoi. C’était important que j’aille encore franchir un palier puisque j’avais joué l’année précédente à Sète en National, et j’avais été vraiment très bon. C’est là où l’option du FC Metz s’est présentée. C’était un gros club, surtout à l’époque, qui descendait juste. Quand je les ai rejoints, qu’ils voulaient absolument remonter, c’était vraiment pile ce qu’il me fallait à ce moment-là pour jouer, pour engranger du temps de jeu… Ca n’a pas été facile parce qu’il me restait un an de contrat avec Bordeaux, mais c’était ce qu’il fallait faire. A cet âge, il fallait jouer.

     

    Tu pars juste avant le titre de Champion de France en 2009. Est-ce que tu sentais déjà que cette équipe pouvait atteindre ce niveau et obtenir le titre ?

    Oui et non. Il ne faut pas oublier qu’à ce moment-là, Lyon avait été sept fois Champion d’affilée. Tu ne te dis pas ‘on va les éclater l’année prochaine’. Mais tu sentais que ça fonctionnait vachement bien. Cette équipe venait de se qualifier en Ligue des Champions, et avec un recrutement pour améliorer encore ton effectif… Il y avait une ambiance, de la qualité, les coaches et le groupe, ça se passait bien : tout était nickel. C’était encore l’ancienne direction, il y avait une osmose avec l’équipe… Tous les feux étaient au vert. J’aurais pu rester et être Champion, mais j’aurais joué entre zéro et cinq matches, et peut-être des bouts de match… Ce qui m’a toujours plu dans le foot, depuis que je suis tout petit, c’était jouer. Plus que les à-côtés, que l’argent… J’ai toujours été malheureux lorsque je ne jouais pas. J’imagine que c’est la même chose pour ma majorité des joueurs. Ce qui m’intéressait, c’était de jouer au foot, d’avoir le ballon, les matches, la compétition, l’adrénaline, les émotions… J’ai toujours été un amoureux du ballon. J’avais besoin de jouer et me prouver en partant que… C’était hyper important. Ma première saison pro à Sète m’avait déjà beaucoup aidé, et là je suis parti vraiment loin, à Metz, je signais pour trois ans… Je suis vraiment sorti du cocon. C’était une grande famille, je connaissais tout le monde à Bordeaux, dans le club, autour… Tu te sens forcément très bien, je me sentais à la maison. Mais j’avais besoin d’un truc pour me bousculer. Je suis arrivé dans un groupe de très grande qualité pour un club de Ligue 2, à Metz, et c’est là où il fallait un peu se sortir les doigts pour vraiment s’affirmer. Quand je suis arrivé là-bas, je n’étais pas grand monde, donc il fallait vraiment gagner sa place. Là, pour le coup, je n’étais pas dans l’attente qu’on gagne tous les matches comme avec Bordeaux, et d’être sur le banc. C’était le move qui fallait pour moi, à ce moment-là, et ça s’est avéré un choix positif.

     

    Il y a eu ce titre de Champion mais depuis, et jusqu’à aujourd’hui, il y a eu une espèce de dégringolade du club avec notamment depuis les années américaines qui ont été plutôt catastrophiques… Comment as-tu vécu cette descente aux enfers ?

    C’était dur. Je suis toujours les Girondins, là c’était de loin. J’avais les échos des joueurs, des gens dans le club, de comment ils ont vécu les différentes directions, les changements de stratégie… Ca n’a pas été facile pour les vrais amoureux du club, et quand tu es loin comme ça… Tu as envie que ce soit différent. J’ai l’impression que là, on est reparti sur une courbe ascendante, mais on est triste de voir un club qui ne devrait normalement pas être là, en tout cas pour nous en tant qu’amoureux de ce club. Je mets toujours Bordeaux dans les grands clubs. Quand je dis ça à des mecs qui ne s’intéressent pas au foot et regardent le classement, ils me disent ‘ton club, c’est nul !’… Mais on sait qu’en France, c’est un club qui a un poids historique énorme. C’est une équipe qui doit être, pour moi, quasiment tous les ans européenne. Maintenant, il faut essayer de prendre les meilleures décisions vis-à-vis de la situation actuelle, arrêter de trop se tromper… On n’a plus trop le droit à l’erreur, on n’est pas passé loin de trucs qui seraient encore plus catastrophiques… Alors, on le voit de manière positive et on se dit que ça a l’air d’aller de mieux en mieux, mais il faut du temps malheureusement. Ce n’est pas en un claquement de doigts qu’un club redevient ce qu’il était. Il y a eu d’autres clubs qui ont eu des moments très compliqués avant de connaitre de nouveau des moments superbes, donc ça peut encore tourner, et ça va tourner. Mais c’est sûr qu’il faut avoir une certaine patience quand même.

     

    Tu parles d’une courbe ascendante, c’est ce que tu ressens ?

    Disons qu’on est dans le creux de la vague. On n’a quasiment jamais été aussi bas, mais je me sens quand même mieux aujourd’hui qu’en mai-juin où c’était la catastrophe… On était proches de la disparition, on a eu peur. Je suis allé deux fois au stade, et il y a d’autres années avec cette équipe, quand on était menés… On est souvent menés cette saison, et on arrive à retrouver des ressources quand même, et ce n’est pas une ou deux fois, c’est très souvent qu’on égalise ou qu’on revient au score… Ce sont quand même des petits signes qui montrent qu’il y a du feu dans le vestiaire, qu’il y a un vrai truc, une vraie envie. Après, qu’il n’y ait pas tout le talent, mais avec les recrues il y en a… Il faut que la mayonnaise prenne, il faut un minimum de temps et de travail, ça c’est sûr, ça ne se fait pas comme ça. Mais tu sens qu’au moins le groupe vit, alors que ce n’était pas le cas quand il y a eu des problèmes dans le vestiaire… Là, il y a des petits signes. Ce n’est pas encore l’Eldorado évidemment, mais ce sont des trucs qui me mettent plutôt en confiance. C’est positif, et il faut au moins ça sinon ce serait vraiment la fin.

     

    Tu as joué avec Paul Baysse en réserve notamment, bien qu’il soit plus jeune que toi. Quel regard portes-tu sur son parcours ? Il s’est fait deux fois les croisés mais va revenir…

    Pour la petite histoire, Paul était surclassé avec moi quand j’étais en U13 à Saint-Médard-en-Jalles. Il était en Benjamins, et il jouait déjà avec moi… J’ai vécu énormément de trucs avec lui, je le connais depuis toujours. Je suis un grand fan du mec. Je sais que mentalement, c’est un monstre, il ne lâchera jamais rien. C’est un mec qui est attaché à son club, qui est revenu, qui a été capable de faire des efforts financiers quand il a prolongé. Il a arrangé le club pour essayer que tout se passe bien. C’est un vrai mec du cru, du club, qui lui donnera tout à chaque match. On ne peut pas lui enlever ça. Il a montré aussi à maintes reprises dans sa carrière que c’était un vrai bon défenseur central. J’adore le mec, c’est vraiment un pote à moi. Un mec comme ça, dans une équipe comme ça, il fera toujours du bien. Ici et là, il sera décrié sur certains trucs, mais je vois ce qui se fait en ce moment en défense à Bordeaux sur toute la ligne… Avec tout le respect que j’ai pour tout le monde, s’il revient en forme – parce que c’est toujours la condition sine qua none – il fera toujours du bien à cette équipe, surtout si on joue dans une défense à trois. Je sais que de toute façon, c’est quelqu’un sur qui Bordeaux pourra toujours compter. Il fera toujours du bien, il a ce qu’il faut. Et cela fait du bien aussi d’avoir des mecs qui sont d’ici, qui sont formés ici, qui se battent, qui ont vraiment cet amour du maillot. Je ne veux pas faire le supporter de base, mais là ça vient de partout, il y a plein de nationalités différentes. Ça, c’est top quand ça marche, mais tu as vite tendance à pointer ça du doigt quand la mayonnaise ne prend pas, et tu te reconnais un peu moins dans le groupe forcément quand tu es supporter bordelais depuis 30-40-50 ans. Nous, on a connu des périodes où il y avait plus de mecs du cru. Dans le groupe pro, il y avait 14 mecs qui étaient formés ici, de différentes générations, de 83 à 90, parce qu’il y avait Henri Saivet qui était déjà avec nous, presque la moitié du groupe était dans l’équipe…

     

    On a vu notamment l’importance de cette représentativité quand on a failli perdre notre identité sur les dernières années…

    Même si j’espère, parce que ça devrait être le minimum, que tous les joueurs pros donnent 100% de ce qu’ils peuvent, quand tu as une relation sentimentale au club, une émotion particulière pour ça, c’est toujours un truc en plus. Quand tu es sur le terrain, tu essayes toujours de faire le max, mais quand tu vis pour ce club-là, quand ça ne va pas, le joueur va faire encore plus attention à ce qu’il y a à côté, à encore plus travailler… Lui, quand il sera sur le terrain, ce sera peut-être un poil plus que 100% qu’il va donner, parce qu’il y aura une dimension particulière. Par exemple, j’étais un mec qui s’identifiait toujours à ses clubs, je trouvais que c’était important. Après, tu ne peux pas embrasser l’écusson à chaque fois que tu changes de club et que tu viens d’arriver depuis trois semaines… Mais par contre, t’identifier à ce que veut dire le club, ce qu’il représente dans la vie… ça, les allemands, c’est important pour eux, et chaque club a une vraie identité. A Bordeaux, on sait ce que c’est, on sait ce que veut dire le club, et les mecs du cru doivent avoir forcément un truc en plus. Je sais que si j’avais pu porter de nouveau le maillot de Bordeaux, ça aurait été un truc exceptionnel. Et quand je t’en parle, j’en ai presque la chair de poule… C’est un truc un peu spécial. Tu sais que tu es à 2000 parce qu’il y a un truc un peu spécial. Après, si tu mets 11 mecs de la formation qui ne sont pas bons, ça ne marche pas non plus… Mais pour en revenir à Paul, je suis un grand fan. Est-ce que je suis objectif ou non, je ne sais pas, mais c’est mon avis.

     

    On a cité beaucoup de noms précédemment, mais la formation bordelaise a souvent été critiquée ces dernières années. Quel est ton avis sur le sujet ?

    Franchement, je n’ai aucun argument pour taper sur la formation bordelaise. Pour l’avoir vécue de l’intérieur, avoir suivi, connaitre pas mal de gens qui sont encore dedans, qui travaillent pour… Je pense qu’on a de la chance d’avoir ça. On peut toujours faire mieux, il y a toujours une histoire de scouting en amont, et si tu as la pépite, etc… Mais en même temps, est-ce ce n’est pas Bordeaux qui a formé Jules Koundé, Aurélien Tchouaméni ? Ce sont deux monstres du futur de l’Equipe de France. Ce sont des mecs du coin ! A partir du moment où on évoque ces joueurs-là, ou Gaëtan Laborde qui régale tous les clubs de Ligue 1 dans lesquels il passe, c’est difficile de dire que la formation bordelaise est mauvaise. J’ai du mal à le concevoir. Si on parle des 15 dernières années, je trouve qu’on est pas mal… On doit être quand même dans le Top5 des centres de formation français.

     

    Ce week-end les Girondins de Bordeaux se déplacent à Metz, le 18ème contre le 20ème. Est-ce qu’on peut parler de match de la peur un match qui peut compter double ?

    En tout cas, c’est un match très important. En tant que joueur, je n’aimais pas trop dire ça, parce que tous les matches valent trois points. La seule différence purement mathématique c’est que si tu prends trois points, eux ne les prendront pas, mais après… Les mecs vont se mettre en condition pour jouer un match important. Evidemment, ce n’est pas un match décisif, ce n’est pas une finale, il se passe tellement de choses dans le foot… Mais tu as envie que ton équipe réponde présent ce jour-là, qu’ils n’aient pas peur, qu’ils soient prêts pour la bagarre, qu’ils aient un vrai plan de jeu, qu’ils arrivent à mettre ça en place. Ça m’intéressera de voir ce match dans son contenu, comment les mecs vont réagir…

     

    Réagir, ou agir ?

    Par expérience et en connaissance de cause, parce que j’ai joué dans pas mal d’équipes qui jouaient contre la descente, ce n’est pas du tout pareil. Une équipe qui joue le haut du classement et où ça déroule, ça n’a rien à voir que de jouer avec la peur au ventre, la pression, les critiques… Tu as peur d’aller chercher la balle, tu te montres moins, tu ne peux veux pas que ce soit de ta faute et tu commences à te cacher un peu : c’est le pire qui peut arriver. C’est là que tu vois le caractère d’une équipe. Aujourd’hui, on a encore de vrais bonhommes dans le vestiaire, et cela peut faire vraiment du bien. Avec tout ce qu’on peut dire sur Jimmy Briand, c’est lui qui était là, à ce moment-là face à Reims, Paris… C’est là que tu comptes sur les mecs. On est dans un moment important, ce genre de match ne fait pas rêver sur le papier, ce n’est pas le choc de la journée, mais il est très important.

     

    Bordeaux est la deuxième pire défense de Ligue 1 avec 27 buts encaissés… Comment peut-on remédier à ça ?

    27 buts, c’est vrai que c’est beaucoup. Autant j’ai vu Bordeaux-Rennes, et j’avais trouvé qu’on avait été plus que moyens alors que Rennes avait été très bon. Je ne croyais pas une seconde qu’on puisse prendre un point dans ce match. Et j’étais au stade contre Paris, j’ai trouvé que c’était hyper intéressant. J’étais surpris, lors des dix premières minutes ils les ont agressés hyper haut, ils n’ont pas eu peur. On est menés 0-2 à la mi-temps et pour moi c’était complètement contre le cours du jeu. Après, on n’a pas été très dangereux dans la dernière passe et la dernière idée pour finir les actions, mais on n’avait rien à envier à Paris. Eux, évidemment, ils viennent deux fois dans ta surface et tu as des génies devant qui te font des trucs que tu ne peux pas faire… Mais si on joue comme ça, ça peut le faire. Par contre, si tu prends autant de buts… Sur les dernières années, on n’avait pas le truc de s’arracher et de revenir au score… Mais il faut savoir que quand tu prends trop de buts, tu descends. Il faut quand même se baser sur une défense assez solide, même si tu ne peux pas non plus redevenir une équipe qui ne fait que défendre, qui attend, qui subit, qui espère un contre… A la fin tu perds toujours 1-0, 2-0, et tu es une équipe maussade. Là, ils sont plus actifs, plus courageux. Peut-être que tout n’est pas encore bien réglé, il y a beaucoup de nouveaux joueurs, même si là ils commencent à avoir deux-trois mois derrière eux, il n’y a plus trop d’excuses. Mais bon, le coach est arrivé aussi tardivement. Je pense qu’on va prendre de moins en moins de buts, l’assise défensive va se mettre en place. Je ne pense pas que ce soit un problème de qualité, je ne vois pas de joueurs qui sont… Je ne critique jamais les joueurs, je ne dis jamais qu’un joueur est nul à chier, et franchement cette année je ne le trouve pas, d’ailleurs. On va en prendre de moins en moins, et offensivement c’est intéressant. Reste à ce que Hwang Ui-Jo soit en forme, lui qui est capable de faire mal… En tout cas, j’ai bon espoir sur ce groupe, ça ne me fait pas trop peur surtout par rapport à d’autres équipes., même si ça ne suffit pas d’avoir des noms, il faut que ça prenne… La première étape de ce week-end sera très importante pour la suite du championnat.

     

    Toi qui es supporter des Girondins, est-ce que tu as joué à Metz avec Sylvain Wiltord ?

    Non et j’étais fou ! J’ai été prêté juste avant qu’il arrive ! Pour le coup, il m’avait vraiment fait vibrer en 98-99… J’ai eu la chance de jouer avec Jo Micoud qui m’avait aussi fait vibrer à Bordeaux. Mais j’avais été prêté quatre mois sur la deuxième saison sur la phase retour, à Châteauroux. Et pile à ce moment-là, Sylvain Wiltord est venu… Je l’ai raté.

     

    Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

    Je me sens super bien, je n’ai pas vu autant ma famille et mes amis depuis énormément de temps. C’était le premier été que je passais à Bordeaux depuis 2007… Tout le monde s’est plaint de l’été pourri qu’on a eu, mais quand on sort de dix ans d’Allemagne et trois ans de Moselle, autant te dire que c’était le Sud, je me suis régalé (rires). Dans des moments comme ça, si tu es en bonne santé et que les gens autour de toi le sont aussi, tu as déjà fait une grosse partie du chemin. Il me reste à prendre du plaisir dans mon travail, ce qui est un gros luxe. De pouvoir faire ce que j’aime le plus au monde comme travail, ça a été le top. Et si maintenant je peux continuer à prendre du plaisir et y aller avec la banane, c’est génial. Et puis on peut souhaiter un Bordeaux européen d’ici deux ans, et l’affaire est dans le sac !

     

    Un très grand merci à Romain pour le temps qu’il nous a accordé, et que du bonheur pour la suite !