InterviewG4E. Pierre Issa : « C’est un match où Marseille a beaucoup plus à perdre que Bordeaux, qui est dans le ventre mou du championnat »

    (Photo by FRANCK FIFE / AFP)

    A quelques jours du très attendu Bordeaux-Marseille, la pression monte petit à petit dans les rangs des supporters bordelais. Mais qu’en est-il du coté marseillais ? Pour jauger la température, rien de mieux que d’échanger avec un ancien joueur phocéen. A cette occasion, nous avons contacté Pierre Issa, qui a gentiment accepté notre requête. Du titre bordelais 1999 au match de vendredi soir, en passant par sa vision des Girondins, le sud-africain a abordé plusieurs sujets en notre compagnie. Amis lecteurs, à vous de jouer. Bonne lecture !

    Quelle est votre image globale de Bordeaux ? Auriez-vous aimé porter le maillot bordelais ?

    « C’est un club emblématique et historique de notre championnat. Un club qui a végété dans le ventre mou ces dernières années, c’est dommage. Peut-être que cela sera mieux avec les nouveaux acquéreurs et le nouveau coach. Il y aura plus d’ambition sur les saisons prochaines de nouveau à Bordeaux.

    J’ai toujours été dans l’idée de faire une carrière dans un même club, et notamment à l’OM. A la base, j’étais dans cette idée-là, donc changer pour le maillot des Girondins ou un autre, ce n’était pas dans mes préférences. C’est quand même un maillot respectueux et fier pour un joueur. Etant à Marseille, je me voyais plus jouer à Marseille que dans un autre club en France ».

     

    Avez-vous des souvenirs de vos confrontations contre Bordeaux ? Avez-vous une pression particulière avant d’aborder ce match ?  

    « Bien sûr. La saison après mon arrivée, les Girondins avaient fait une belle saison, et Rolland Courbis venait d’arriver à Marseille. J’ai aussi suivi l’épopée de Bordeaux, et notamment à la bonne période avec Dugarry, Zidane, Lizarazu. C’était un Bordeaux dominateur et révélateur en Europe. On a toujours suivi leur parcours, et c’est aujourd’hui dommage qu’il y ait un peu moins d’ambition dans le club. Je pense que cela va revenir rapidement dès la saison prochaine.

    Il y avait complètement une pression particulière. Tout le monde s’est mis dans la tête ce record historique, que l’OM n’a plus gagné chez vous depuis 40 ans. A force d’aller là-bas, on a toujours cette envie d’éliminer cette mauvaise série. C’était une bonne pression à l’époque, c’est un gros match, un match à enjeux, les matches que l’on aime jouer quand on est footballeur. Aller jouer à Bordeaux, dans ce stade mythique, cela donnait une source de motivation supplémentaire, de la bonne pression bien sûr ».

     

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    Pensez-vous que le titre de 1999 vous a échappé et est-ce que Paris a joué ce match à fond, avec ce fameux but de Pascal Feindouno en fin de match ?

    « Le titre nous a échappé, tout simplement. A la dernière journée, c’est malheureux, on loupe le coche. C’était une belle série, Coupe d’Europe, championnat de France. Et sur les deux tableaux, on n’a rien eu. On est resté bredouille. C’est dommage pour le public, pour les joueurs et aussi pour le coach Rolland. Cela fait partie du métier. C’était une période positive pour nous, que ce soit avec les Ravanelli, Blanc, Dugarry et toute sa bande. C’était assez impressionnant de faire une telle série comme ça en championnat et en Coupe d’Europe.

    Les Parisiens préféraient surement que ce soit les Bordelais qui soient champions de France. C’est un match de football, on ne va pas rentrer dans les détails sur ce qui se passe ou pas. C’est la dernière journée de championnat, il n’y a pas de calcul à faire. Si tu gagnes, et que l’autre gagne, tu n’es pas champion. Si tu gagnes et que l’autre perd, tu es champion. Le destin n’était pas entre nos mains, c’est dommage que ce soit arrivé vers la fin. Le titre leur revient logiquement, on ne peut pas revenir sur ça, c’est le football ».

     

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    Votre plus grand succès est d’avoir joué une finale de Coupe UEFA. Quel souvenir gardez-vous de ce match ? Parlez nous aussi des matches de Coupe du Monde que vous avez pu jouer.

    « C’est dommage, car on perd cinq joueurs majeurs en demi-finale. On s’est retrouvé face à Parme, qui était un géant de l’Italie à l’époque. Il y avait des champions du monde, de grands joueurs italiens et argentins comme Buffon, Veron, Thuram, Cannavaro et j’en oublie. C’était une finale malgré tout mais on peut dire que l’on est parti avec un handicap. La demi-finale nous a coûté très cher au niveau des suspensions.

    La Coupe du Monde, c’est un rêve de gamin. Il y a beaucoup de joueurs, malheureusement, qui n’ont pas pu la joueur comme Weah ou autres. Ce n’est pas une pression supplémentaire, c’est une fierté de représenter son pays pour chaque sélection que ce soit en Coupe d’Afrique ou en Coupe du Monde. Mais aujourd’hui, je pense que la compétition qui est la plus respectable, la plus difficile à jouer, la plus chère et que l’on a envie de jouer, c’est la Ligue des Champions. Pour moi, c’est la meilleure compétition au monde qui se fait ».

     

    Vous avez pu jouer avec des noms familiers en Gironde, comme Jean-Pierre Papin ou Christophe Dugarry. Pouvez-vous nous parler de ces deux joueurs ?

    « Deux grands joueurs. Papin, on n’a pas besoin de le présenter, il a tout gagné avec l’Olympique de Marseille, le Milan, le Bayern de Munich, que des grands clubs. Dugarry, c’est un ami, que j’ai eu la chance de côtoyer en dehors du terrain. Il a beaucoup de classe. Humainement, c’est quelqu’un d’énorme et sur le terrain c’est quelqu’un de difficile à jouer. Il était bon, il était méchant, il avait la technique, la vitesse. Pour moi, c’était un joueur qui était sous-estimé parfois avec toutes les qualités qu’il avait. Nous, en tant que coéquipiers, étions contents de l’avoir dans notre équipe. Pour moi, il aurait pu être un grand comme son ami Zidane. Il a peut-être moins travaillé car il les avait facilement, ses qualités. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup sportivement et humainement ».

     

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    Coté Bordeaux, le club vient d’être racheté par un fonds d’investissement américain, à l’image de l’OM il y a quelques temps. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle étape dans la vie du club. Est-ce que cela peut lui permettre de passer un cap et de revenir sur le devant de la scène ? Quelles sont les attentes que doivent avoir les supporters girondins ?

    « C’est toujours un plus car on sentait que Bordeaux était dans une période où les investisseurs ne voulaient plus trop investir d’argent et n’avaient plus trop d’ambition. C’est ce que réclamait le public bordelais et tous les gens qui aiment Bordeaux. Je pense que l’OM est redevenu compétitif avec le changement même si l’on sait très bien que c’est difficile de rivaliser sur une saison avec le PSG. Mais voir de nouvelles personnes qui investissent dans des clubs tout en respectant le passé de chaque club, je pense que c’est intéressant pour la suite. On a vu qu’ils avaient rapidement changé les choses avec la nomination de leur nouveau coach. En espérant que dès la saison prochaine, ce championnat puisse avoir un Bordeaux avec de l’ambition. Ce serait top pour le championnat de France.

    Vous savez, on n’a pas trop de temps dans le football. Que ce soit Bordeaux, Marseille, ou un autre club, l’impatience a des limites. Il faut voir le mercato qui va se faire, les dirigeants qui vont se mettre en place. Je pense qu’il faut être honnête et intelligent dans la manière de communiquer avec les gens.  Si jamais les investisseurs veulent que Bordeaux soit en course pour le titre dès l’année prochaine, ils vont annoncer des choses qu’ils ne pourront pas tenir. S’ils ont un plan sur trois ou cinq ans, d’atteindre la Champions League, oui c’est faisable. Une deuxième place, ou une Coupe, c’est faisable aussi. Plus les équipes vont être compétitives, plus ce sera dur pour le PSG d’aller jouer dans ces stades mythiques. Peut-être que le PSG aura moins de points d’avance et aura plus de mal à aller chercher le titre de Champion de France, qui leur est quasiment acquis chaque année maintenant ».

     

    Marseille

     

    Comment voyez-vous la rencontre de ce vendredi entre Marseille et Bordeaux ? 

    « Je pense que c’est un match où Marseille a beaucoup plus à perdre que Bordeaux, qui est dans le ventre mou du championnat. Marseille a fait 2-2 contre Angers alors qu’il avait les clés en main pour faire 2-0. Marseille est un peu sous pression. Les cadres commencent à ne plus être titulaires. Je suis curieux de voir la réaction de l’OM. Mais je pense que ce sera difficile pour eux, car pour les bordelais, c’est un match mythique, avec pour objectif de garder le record. Je pense qu’ils vont se donner à fond sur ce match-là et que ce sera difficile pour l’OM. En espérant ramener un point de là-bas, mais cela ne suffira pas pour être en Champions League l’année prochaine. Le nouveau coach aura aussi envie de montrer qu’il peut battre l’OM. C’est normal que lui, les joueurs, le staff et la direction veuillent gagner ce match ».

     

    En tant qu’ancien défenseur central, que pensez-vous de l’explosion de Jules Koundé ?

    « On est dans des clubs où il y a de plus en plus de jeunes qui tapent à la porte et on leur donne leur chance. Je pense que c’est quelqu’un de vraiment prometteur, et s’il continue à enchaîner les matches comme ça en étant titulaire, et faisant des bonnes prestations, je ne sais pas si Bordeaux pourra le garder. En tout cas, Bordeaux fera aussi une affaire sur le plan financier, et c’est toujours intéressant pour acheter d’autres joueurs. C’est pareil avec Boubacar Kamara en face, j’étais des partisans à le faire jouer quand l’OM a eu des problèmes dans l’axe central. Je pense qu’aujourd’hui, il ne faut plus avoir peur des jeunes joueurs qui sont bons et qui font le boulot, il faut leur donner leur chance et de la stabilité dans leur progression. On est tous passé par là-bas. Quand tu joues titulaire, puis trois-quatre matches sur le banc avant de revenir titulaire, tu n’as pas la même approche dans ta carrière. C’est bien qu’il y ait des coachs qui confirment leur choix et leur progression. Et ils leur rendent bien, donc il faut continuer ».

     

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    Pour finir, que pensez-vous du schéma tactique à trois défenseurs centraux mis en place par Sousa à son arrivée, et qui devrait être aligné face à l’OM ?

    « C’est un peu à la mode, pas mal de coachs l’utilisent. Je pense que c’est un bon système. Quand l’équipe n’est pas vraiment en confiance ni en sécurité, c’est bien de passer à trois derrière car on a une personne en plus qui peut colmater les brèches. Cela permet aux latéraux d’apporter aussi offensivement, cela peut être pas mal. Le système doit être bien huilé. Je pense que le coach en place aura besoin de temps pour avoir les joueurs et le système adéquat. C’est en tout cas un système qui est redevenu à la mode et qui est utilisé dans des grands clubs. Personnellement, j’aimais bien jouer dans un système comme ça, cela permettait d’avoir de la liberté et d’avoir une personne en plus dans un coup dur dans un match ».

     

     

    Un grand merci à Pierre Issa pour le temps qu’il nous a accordé et pour ces analyses ! Bon match vendredi !