Cédric Anselin : « J’avais planifié mon enterrement, qui allait être là, combien de personnes allaient être tristes, allaient pleurer… »

    anselin

    Cédric Anselin, comme nous vous le rapportions précédemment, a été malade de longues années. Cette maladie s’appelait la dépression. L’ancien joueur des Girondins de Bordeaux parle de ses moments difficiles, qui l’ont amené à plusieurs tentatives de suicide, pour aller finalement vers le chemin de la guérison.

    « En septembre 2015, ma femme décide de partir à l’université à Londres. Elle part toute la semaine, elle revient le vendredi, j’ai deux enfants, donc c’est un travail à plein temps pour moi. Sur ma première année, je me suis vraiment senti très seul et c’est sur les trois premiers mois que la dépression a grappillé mon cerveau, mais d’une rapidité impressionnante. Est arrivé juin 2016, je voulais me suicider, mais je me suis dit que je ne pouvais pas faire ça, que ma femme n’allait pas pouvoir reconstruire sa vie, et avec deux petits garçons, je me suis dit que je ne pouvais pas faire ça. J’avais pris l’option de lui dire que je ne l’aimais plus, que je voulais la quitter. C’était un mensonge, mais c’était la seule façon de lui laisser vivre sa vie. Je savais très bien que de vivre avec quelqu’un qui a une dépression… Je n’étais plus le même. La dépression affecte la personne qui est en dépression. Mais cela affecte aussi les personnes autour, une famille, les enfants… Et ces personnes-là ne sont pas aidées. Quand vous êtes en dépression, vous êtes un peu égoïste. Tout est autour de vous. Mais ce que vous ne comprenez pas, c’est que ça affecte la personne qui est dans votre vie. Je lui ai dit en juin 2016 que je voulais la quitter, et elle ne m’a rien dit. Est arrivé octobre 2016, et là c’est elle qui me dit qu’elle me quitte. Là, ça m’a fait vraiment très mal, mais je le savais, on ne peut pas dire à une femme qu’on ne l’aime plus. Au mois de novembre, j’ai décidé de me suicider. Un lundi soir, après un entrainement de mon sport-études… J’avais planifié ça le jour d’avant, j’avais acheté la corde, j’avais tout planifié. Je faisais l’entrainement, il pleuvait, il faisait gris, sombre… Je me suis dit que c’était aujourd’hui. Sur le chemin de mon boulot à chez moi, j’étais content, j’avais planifié mon enterrement, j’avais planifié qui allait être là, combien de personnes allaient être tristes, combien de personnes allaient pleurer… C’était comme si je rentrais dans un match de football, en avant match. C’est cette zone-là. Je n’avais aucune peur, c’était une joie. Je suis monté dans le grenier, j’avais la corde autour de mon cou, j’étais sur le rebord avec mon téléphone dans la main, et j’avais utilisé ma torche comme j’étais dans le noir. En tournant le téléphone, c’est m’a ébloui les yeux, et j’ai eu la réaction d’appeler quelqu’un. J’ai appelé mon ami, Clarke Carlisle, qui a fait une grosse dépression en 2014. Lui, il a sauté devant un bus… Il m’a répondu tout de suite, je lui ai dit tout ce qui s’était passé, en une heure et demi, deux heures, sur mes 14 ans… Je l’ai appelé car je savais que je pouvais lui faire confiance, comme il avait déjà été dans cette situation-là. Je savais très bien qu’il allait pouvoir utiliser les bons mots, les mots exacts. Quand vous êtes cette phase suicide, il faut vraiment faire attention parce qu’il peut y avoir des mots qui peuvent vous faire ‘activer’. Lui ne m’a donné que les bons mots, les mots que je voulais entendre, les termes exacts, les phrases exactes. Il m’a dit de ne pas dormir tout seul ce soir, de dormir chez un ami, et d’aller voir le docteur le lendemain matin. Le lendemain, c’est ce que j’ai fait, et il m’a mis tout de suite en contact avec un hôpital psychiatrique. Ils sont venus me voir, me poser des questions. Le docteur m’a dit que j’étais surement en dépression et à partir du moment où il m’a dit ça, c’est comme si j’avais un sac sur mes épaules, qui était tombé. Parce que là, je savais ce qui n’allait pas en moi. Ça, c’était le premier pas vers le fait de m’en sortir. Le deuxième était d’accepter que la dépression était une maladie. Et troisièmement c’était bien évidemment de prendre des cachets. La première chose que j’ai faite à l’hôpital, c’était faire mon lit. Je le fais encore maintenant, tout de suite. Ça me met tout de suite dans un bon état d’esprit dans ma tête. Et je m’étais promis de faire cinq choses positives dans la journée… Ça pouvait être ouvrir une porte à quelqu’un, faire une tasse de café à quelqu’un,  parler à quelqu’un… Je suis resté un mois et demi à l’hôpital. Mon dernier jour, j’avais un entretien pour avoir ma lettre de sortie. La personne m’a dit que j’avais un nom à Norwich, ajoutant : ‘tu n’as jamais pensé faire un article et en parler ? Ça ne va pas que t’aider, mais aussi aider beaucoup de personnes’. J’ai fait un article dans Le Guardian, et depuis cet article, j’ai ouvert d’autres portes. Ça m’a aidé aussi à avancer dans ma vie. J’ai complètement tout changé dans ma vie. Les gens qui ne me comprenaient pas, qui ne voulaient pas m’écouter, je les garde à un bras de distance. Je me suis entouré d’amis qui, quand je sais que ça ne va pas, ils vont être là. Je suis entouré de personnes qui peuvent me protéger. Je regarde assez rarement la télé, j’écoute beaucoup de musique, je lis beaucoup de bouquins, et ça me fait du bien… Ça ne fait que 16 mois, c’est encore frais. La pente est là, elle monte ».

     

    Aujourd’hui, s’il ne s’estime pas encore totalement guéri, Cédric explique être sur le bon chemin. « Maintenant, j’ai beaucoup plus de confiance en moi pour en parler, j’en parle tous les jours, à beaucoup de personnes. Je suis devenu ambassadeur du département ici, je fais beaucoup d’entretiens avec des services ici, des entreprises, des lycées, des collèges, des clubs professionnels, amateurs. Je suis devenu commentateur pour des matches de Norwich City à la radio, je vais voir des matches… Maintenant, je m’occupe d’un sport-études, c’est vraiment important d’avoir mes élèves autour de moi, ils m’ont beaucoup aidé dans des moments difficiles […] J’en parle tous les jours parce qu’il y a un besoin. Il faut parler des choses comme ça. Il y a des gens qui en souffrent silencieusement, et il ne faut pas. La dépression, c’est comme le temps, ça va, ça vient, il fait beau, il pleut, tu es dans le trou noir… La dépression ne partira jamais de ma vie, et ça m’a fait du bien de me réinvestir dans un club en tant que joueur parce que ça me libère de jouer 1h30. C’est un endroit où je suis heureux et où je ne suis pas jugé. C’est quelque part où je suis quand même bon, et ça m’a beaucoup manqué. Le football m’a amené beaucoup d’échecs, mais il m’a beaucoup instruit. C’est grâce au football que j’ai survécu ».

    Slate

    Retranscription Girondins4Ever

    https://soundcloud.com/slate-fr/une-vie-qui-fourche/s-XJ1PJ